L’histoire en question est publiée dans Marvel Comics Presents #33, un numéro qui, sous une couverture de Paul Ryan et Bob McLeod mettant Captain Britain en vedette, propose un feuilleton dédié à ce dernier et dessiné par Erik Larsen (je ne sais pas si on l’a eu en français, ça, et pourtant, le nom de Larsen associé à Brian Braddock, ça me parle), un autre consacré à Coldblood, le personnage de Doug Moench et Paul Gulacy, la série vouée à T’Challa et ce dernier segment, par Don McGregor et un jeune Jim Lee, encré ici par Chris Ivy.
Dans cette courte aventure, qui présente la particularité d’être muette, Namor s’amuse avec une raie près d’un bord de mer verdoyant.
Il saute de récif en récif, et c’est un Prince des Mers joyeux et insouciant que nous retrouvons ici, un portrait assez rare pour être signalé. On est loin du monarque ombrageux qui voit toujours le verre à moitié vide et le mauvais côté des âmes.
Quand il atterrit, toujours imperméable au malheur ambiant et tout à sa joie, il met le pied dans une substance qui n’a rien à faire là. L’absence de dialogues n’empêche nullement au lecteur de comprendre que la matière est aussi dégoûtante que peu naturelle.
La page suivante est assez forte, car tout se joue au niveau des couleurs (réalisées par Marsha McGregor, l’épouse du scénariste). Les pages précédentes étaient dominées par les bleus clairs, les roses pâles, les jaunes… Mais celle-ci, à mesure qu’on la « lit » et que les yeux descendent vers les cases inférieures, se charge de teintes plus lugubres, plus sombres, de violets foncés, de bleus éteints, comme si l’ombre d’un soir angoissant s’abattait sur Namor et les environs pourtant paradisiaques du décor.
Les eaux, jusqu’alors traitées en bleu, sont rendues avec de lourds aplats noirs qui évoquent, bien entendu, la saumure, le goudron et le pétrole, les marées noires et la pollution. Ce que confirme le seul texte du récit (à part le titre), un panneau posé devant les barbelés entourant l’usine qu’on a aperçue au loin, et attestant de la pollution de l’eau qui n’est pas potable.
Namor sauve un jeune oiseau embourbé dans la gadoue collante puis s’envole. En prenant de l’altitude, il prend aussi conscience du drame qui se joue sous ses yeux : l’oisillon est un bébé flamand, et toute une colonie a été prise dans la marée noire, les survivants tentant tant bien que mal de se libérer de la matière collante, les morts servant déjà de festin aux charognards locaux qui seront à leur tour menacés.
La bande se conclut sur le visage de Namor, saisi de désespoir. McGregor, connu pour ses séries bavardes (moi, je dis « immersives », mais bon…) signe ici une petite parabole anti-pollution aux images frappantes (le choix de Namor est astucieux à plus d’un titre). Le glissement d’un décor paradisiaque à une vision infernale est très bien troussé, les couleurs sont pertinentes et narratives et Jim Lee, encore en début de carrière (le numéro est daté de novembre 1989) met à disposition sa maîtrise de l’anatomie pour exprimer les sentiments du Prince des Mers par un langage corporel assez bien vu, de l’exubérance de l’amusement à l’abattement du désespoir.
Jim