RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

Je viens de finir le TPB Black Panther : Panther’s Quest, un recueil compilant le grand feuilleton publié dans Marvel Comics Presents #13 à 37, ce qui nous renvoie à la fin des années 1980.
Et c’est passionnant.

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Alors pour résumer : MCP (comme on l’appelait à l’époque) était une série anthologie sortant tous les quinze jours et proposant quatre segments de huit pages chacun (sauf exception notables, on y reviendra). L’idée étant que le magazine puisse servir de tremplin pour certaines séries (le cas le plus notable fut Wolverine, bien sûr) mais aussi de vitrine pour un catalogue de personnages méconnus (ce qui permet de maintenir l’intérêt et de renouveler les copyright, aussi, discrètement).

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Black Panther y fait son retour à l’instigation de Michael Higgins, qui devait être l’editor de la série et qui rassemblait des auteurs afin de l’enrichir. C’est ainsi qu’il contacte Don McGregor, initialement en vue de lui faire écrire une nouvelle aventure de Killraven. Au fil des discussions, ils embraient sur une nouvelle aventure de Black Panther (ces deux personnages étant les héros qu’il a animés, et de façon convaincante, dans les années 1970). Higgins quitte le projet avant le premier numéro, et c’est Kavanagh qui devient l’editor, encadrant McGregor et soutenant ses efforts. Pour dire, la série comporte vingt-cinq épisodes, chose rare dans toute l’histoire du magazine, qui comporte 175 numéros.

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McGregor profite de l’occasion pour raconter une histoire qu’il avait en tête depuis longtemps, celle de la mère du héros. Il avait constaté qu’on parlait souvent du roi T’Chaka, mais par de la mère du héros. Il lance donc ce dernier en quête de celle-ci, mais l’action se passe en Afrique du Sud. Rappelons pour les plus jeunes que ce pays pratiquait, à l’époque, l’apartheid, une ségrégation violente établie depuis 1948 et interdisant les mariages inter-raciaux, entre autres (j’insiste davantage sur ce point que sur les bidonvilles, par exemple, parce que ça a son importance dans l’intrigue).

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L’intrigue prend l’allure d’une course-poursuite avec éléments, indices et preuves à la clé. Le rythme de parution, à raison de huit pages par chapitre, crée une dynamique particulière, avec l’impression qu’il ne se passe pas grand-chose, malgré l’étonnante densité du récit. Cette densité s’explique en partie par la logorrhée de McGregor, connu pour être un auteur bavard. Je dirais surtout qu’il est très littéraire, ses pavés de textes arborant un style voire une musique toute particulière. Il crée d’ailleurs des effets étonnants en alternant les gros textes et les petits one-liners, au point que je me demande si McGregor, qui officiait déjà quand Frank Miller n’était encore que lecteur, n’a pas eu une influence sur ce dernier. Cela dit, on peut également estimer que l’aîné a observé l’écriture du cadet (Dark Knight Returns est passé par là entre-temps), tant certaines approches ont des similitudes.
Les textes de McGregor lui permettent notamment de donner de la profondeur à tous les personnages secondaires, fort nombreux, qu’il s’agisse d’hommes de main, de politiciens influents, d’habitants des townships, d’enfants des rues… L’effet consiste à leur donner de l’épaisseur, une voix, une pensée, et donc de casser le manichéisme : une histoire de super-héros s’y prête, et une intrigue en Afrique du Sud aurait pu favoriser une grande caricature, et justement McGregor évite ça en développant les pensées qui animent les intervenants : même les gros salauds sont plus complexes qu’on pourrait le croire. Et l’aspect littéraire de sa narration y est pour beaucoup.

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La mise en place est donc assez longue, mais jamais lente ni molle. En plus, cela favorise la plongée du lecteur, durablement immergé dans les ghettos, la poussière et le racisme, au point que cela en devient étouffant. Et je parie que l’effet est voulu.
Quant au dessin, il est assuré par Gene Colan, qui est à l’époque en fin de carrière, après des passages remarqués sur Daredevil ou Batman. Vieux complice de McGregor (ensemble, ils ont fait Nathaniel Dusk et Raggamuffins, deux projets éblouissants que je conseille vivement), il est en phase avec son scénariste. Il livre des planches dynamiques, presque « premier jet », comme il le fait depuis quelques années, où le trait est plus suggestif qu’autre chose. Mais certaines séquences, jouant sur les silences, sont proprement eisneriennes. Les pages d’ouverture, où le titre du chapitre s’inscrit dans les décors, empruntent également beaucoup à Eisner.

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Colan est l’un des rares exemples de dessinateurs qui, au fil des ans, a réussi à s’émanciper des règles de dessin académique sans perdre en lisibilité et en dynamisme. J’en connais peu capables d’un tel exploit dans le mainstream : Kirby, bien entendu, Miller aussi, et Mignola dans une certaine mesure. Chez Colan, tout est faux : les ombres sont mal placés, les perspectives sont tordues et faussées, les anatomies sont difformes. Et pourtant, tout fonctionne, tout est lisible, tout sert l’histoire. Il jette à la poubelle les règles du « bon » dessin et fournit une prestation différente, libérée. Sur la série, il est aidé par Tom Palmer, alors en pleine forme, et qui multiplie les effets de flous (au point que parfois, on se demande si ce n’est pas Klaus Janson à l’encrage). L’ensemble est étourdissant, conférant une sensation de vertige.

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Le TPB reprend aussi toutes les couvertures des épisodes concernés (images doubles) ainsi que deux illustrations venues de Marvel Fanfare, dont celle dessinée par Bill Reinhold, un illustrateur mésestimé que j’aime beaucoup, et dont le travail a été repris en couverture du TPB.

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Bref, formidable initiative de la part de Marvel de reprendre en un seul volume ce qui reste comme un des moments forts de MCP (avec le Weapon X de Barry Smith…). Un récit à ne pas manquer, qui provoquera sans doute de belles expériences, visuelles et littéraires.

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PS 1 : McGregor ayant besoin de dix pages sur un épisode, il a demandé à Kavanagh de lui laisser écrire une histoire de six pages sur le personnage choisi par l’editor. Ça donnera un récit muet (étonnamment de la part d’un auteur aussi bavard) consacré à Namor et dessiné par un Jim Lee débutant, une petite fable triste consacrée à la pollution et assez chouette à regarder.
PS 2 : pour les curieux, voici une adresse où découvrir les deux premiers chapitres :
http://4thletter.net/2008/02/black-history-month-22-panthers-quest/