Je suis en pleine lecture du TPB Avengers: Celestial Quest.
J’avais suivi la série en fascicules, à l’époque, mais je crois que j’en avais loupé un, donc j’avais laissé tomber, et quand le TPB est sorti, je m’en suis emparé.
Mais il était resté à dormir sur une étagère. Je suis pourtant grand fan d’Englehart (et particulièrement de ses Avengers, que je considère comme l’une de ses meilleures prestations et comme l’un des grands moments de la série). Et là, en cherchant quelque chose à lire (c’est pas comme si j’avais pas acheté des tonnes de trucs que j’ai pas encore lus), je retombe dessus.
Et c’est très agréable.
La carrière d’Englehart, semée de grands morceaux d’anthologie (ses Captain America aussi sont d’une grande richesse, ses Batman, qui viennent d’être compilés chez Urban, sont incontournables, ses Green Lantern sont globalement savoureux…), mais aussi de projets inachevés et de contrariétés en cours de route.
Mantis en fait partie.
Pour résumer, ce personnage, inventé au début de son run sur Avengers, est une crypto-super-vilaine passée dans le camp des gentils et bientôt promue au rang de « Madonne Céleste ». Épouse d’un Cotati (un arbre conscient) qui occupe le corps du Swodsman, elle donnera naissance au « Messie Céleste », dont on nous dit qu’il apportera un nouvel âge d’or cosmique.

Tout cela fleure bon le new age musclé à la sauce super-héros. Personnellement, j’adore, ça me fait marrer, même si c’est désormais un peu daté. Mais Englehart n’aura pas le temps d’aller plus loin, il quitte la série Avengers sans réellement résoudre la dernière intrigue en cours (le retour de Wonder Man) et après avoir envoyé Mantis dans l’espace (d’ailleurs, même si la série propose des choses toujours intéressantes, on sent bien qu’une fois l’intrigue de Mantis « résolue », il manque le petit brin de folie qui avait emporté le titre).

Mantis fait partie des renoncements et des obstacles dont on parlait plus haut. Englehart n’a pas toujours eu l’occasion de boucler ses prestations comme il l’entendait (parfois de son fait, parfois du fait des editors). Sur Defenders, il signe un cycle de douze épisodes cohérents. Ses Batman ont un goût d’achevé, de cycle bouclé. Ses Silver Surfer se referment sur une réelle conclusion. A contrario, sur Avengers, Captain America, Green Lantern, West Coast Avengers, Fantastic Four, il quitte la série sans être allé au bout de ses projets, devant abandonner ses intrigues ou laisser d’autres personnes les résoudre.

Mantis, Englehart y reviendra plusieurs fois. Chez DC, il la fait réapparaître sous le nom de Willow.

Chez Eclipse, dans Scorpio Rose, elle s’appelle Lorelei. Willow quittera la Ligue de Justice pour aller donner naissance à son fils, et Lorelei élèvera le « Messie Céleste » sous couvert d’anonymat.
On le voit, Englehart poursuit son intrigue d’éditeur en éditeur.
Quand il revient chez Marvel à la fin des années 1980, il ramène Mantis. Elle apparaît dans Silver Surfer, où l’on apprend que son fils est désormais grand (et qu’elle peut s’incarner en des doubles végétaux).

Dans Fantastic Four, elle est poursuivie par Kang qui en veut à son fils.
Et dans West Coast Avengers, elle renaît à nouveau, mais les editors arrêtent le scénariste dans son élan, et on n’en saura pas beaucoup plus.

À part dans Fantastic Four, où les épisodes avancent un peu l’intrigue générale sans pour autant donner l’impression de grosses corrections, les deux passages de Mantis ont été sujets à des retouches éditoriales.
Dans West Coast Avengers, on a vu qu’Englehart a été sommé d’arrêter son histoire (et a claqué la porte). Dans Silver Surfer, la première version de la relance de la série impliquait que le Surfer soit pris dans un conflit opposant Mantis (dans la petite maison occupée par Lorelei chez Eclipse : vous suivez ?) à différentes factions cosmiques attirées par le pouvoir de son fils.
L’épisode sera dessiné par John Buscema, puis annulé, et enfin publié dans un Marvel Fanfare, en guise de récit vaguement hors continuité (en France, on le trouve dans un Strange Spécial Origines).
Tout ce résumé n’est pas inutile. Il permet de voir qu’Englehart a de la suite dans les idées, qu’il a un projet à mener à terme, et que les années 2000 ont été l’occasion de le faire.
Cette mini-série Celestial Quest est en quelque sorte la conclusion de la saga de Mantis. Nous y retrouvons Thanos, bien décidé à occire le garçon, et les Vengeurs bien décidés à protéger le fils de leur alliée. Bref, c’est une suite aux épisodes de Fantastic Four. Et rétroactivement, cela valide l’existence de l’épisode Marvel Fanfare, qui rentre ainsi dans la continuité.
Là encore, Englehart ne pourra pas bosser en paix. La mini Celestial Quest est le résultat de négociations avec le staff éditorial (Tom Brevoort ? Mark Sumerak ?). Englehart voulait proposer ses services sur Avengers, mais on lui a signifié qu’il avait écrit les Vengeurs dans les années 1970, dans les années 1980, et qu’il n’avait plus rien à dire. Sympa ! La mini est donc l’occasion de ménager un peu tout le monde, en offrant à Englehart un terrain de jeu sans hypothéquer la série principale.
Dans cette joyeuse ambiance, le projet est lancé sur la base de douze numéros, mais en cours de route, l’équipe éditoriale l’informe qu’il n’y aura que six numéros, et après de nouvelles négociations, Englehart finira par en obtenir huit. Il le dit lui-même : « J’ai fait deux fois plus d’effort pour écrire deux fois moins ».
Ça se sent un peu. Pas beaucoup, parce que le bonhomme est habile, mais un peu quand même. Certaines péripéties sont purement et simplement sautées (ça passe bien, parce que c’est bien amené), certaines relations sont plus abruptes (des personnages se rencontrent et adoptent des comportements qui, sans être illogiques, auraient été mieux travaillées si le scénariste avait eu plus de temps). Englehart étant un bon scénariste mais un dialoguiste parfois elliptique, ça donne des échanges souvent secs et un peu forcés. Ça fonctionne, mais ça manque de rondeur et de fluidité.
Question dessin, Jorge Santamaria dessine comme un Pacheco maladroit : c’est plein d’énergie, c’est généreux, mais c’est bancal. Les visages, notamment, manquent absolument de relief. L’épisode dessiné par Joe Staton, malgré les tics de ce dernier, fait figure de soulagement.
La série a clairement souffert d’un encadrement éditorial peu conciliant.
Dommage, parce que ça balance des idées assez chouettes.
Au rang de celles-ci, deux astuces formidables :
En premier lieu, Thanos veut s’imposer comme le « dieu de la mort » (ce qui n’est pas tout à fait du goût de cette dernière), et veut créer un nouveau panthéon. Ce sera l’occasion du retour de Reptyl, un personnage qu’Englehart avait créé pour Silver Surfer.
En second lieu, on rencontre enfin le « Messie Céleste », le fils de Mantis qu’on n’aura vu qu’à l’état de bambin encore sympathique. Là, il arbore un look à la Floronic Man (un autre homme-plante qu’Englehart avait animé aux alentours du cross-over Millenium chez DC), et surtout, c’est un ado insupportable, en pleine crise de rebellitude. Et là, c’est formidable, tellement il est agaçant, et tellement il laisse pantois ses deux parents.
L’un dans l’autre, la mini-série, pour chaotique qu’elle a été dans sa création, propose une conclusion à une intrigue lancée par le scénariste au milieu des années 1970. Elle retrouve un petit peu de l’étincelle frappadingue qui avait frappé Avengers à cette époque.
C’est plutôt sympa, même si le dessin est en-deçà de ce à quoi on avait été habitué à l’époque. Mais le charme de retrouver ces vieux personnages est évident, l’humour est constant, et, cerise sur le gâteau, Englehart s’avère un fidèle et inventif continuateur de ce qu’a fait Jim Starlin (dûment cité dans les crédits, au demeurant).
PS : Signalons que la « quête de la Madone Céleste » a eu droit à plusieurs TPB, outre les rééditions dans des Essentials ou des Epic. Le dernier recueil date déjà de 2017, ce qui le rend peut-être déjà difficile à trouver.