J’ai récemment relu la prestation de John Byrne sur la série Avengers , du temps où il était encore en début de carrière et n’écrivait pas ses propres histoires. Et c’est un véritable plaisir, d’autant que cette courte mais intense période comprend la fameuse « trilogie de Wundagore » que je considère comme un sommet de la série, de la carrière du dessinateur et de la continuité Marvel.
Une grande partie de ces épisodes a été compilée dans un recueil intitulé Avengers: Nights of Wundagore , qui contient les épisodes 181 à 187. L’album a connu, je crois, deux éditions, en 2009 et 2015, et doit donc être un peu difficile à trouver.
Pour être tout à fait complet sur la prestation de John Byrne, il convient de préciser que le jeune dessinateur signe, une quinzaine de mois plus tôt, une autre trilogie assez agréable à suivre, dans Avengers #164 à 166. Le récit, écrit par Jim Shooter, présente une fois de plus un super-vilain pris de la folie des grandeurs, le Count Nefaria, et s’octroyant l’énergie liée aux pouvoirs de trois super-vilains de seconde zone, Whirlwind, Living Laser et Power Man. La série se situe dans l’après Steve Englehart, et gère certaines des choses qu’il a laissées en plan après son engueulade avec Gerry Conway et son retentissant départ pour la concurrence, au premier rang desquelles le statut de Wonder Man, revenu d’entre les morts. Shooter se dépêche de traiter le sujet avant de passer à l’un de ses thèmes favoris, celui du surhomme aux pouvoirs croissants (un peu comme Graviton ou, plus tard, comme Korvac, la trilogie de Nefaria semblant officier comme tour de chauffe).
Les trois épisodes sont supervisés par Archie Goowin, alors grand manitou du catalogue, dont Shooter est devenu l’assistant après avoir quitté le scénario de Legion of Super Heroes . L’ensemble est relativement cohérent, et Shooter semble vouloir remettre la série en ordre de bataille (le départ précipité d’Englehart ayant coupé l’élan général, d’autant qu’à la rédaction, c’est la valse des chaises tournantes). Pour la première fois d’ailleurs, on voit des subplots annoncer des intrigues à venir.
Le numéro 165 voit par exemple arriver un personnage nouveau, un rouquin coiffé en brosse, qui semble disposer d’accréditations de haut niveau puisqu’il peut pénétrer dans des zones verrouillées par les forces de l’ordre. On apprendra plus tard que ce monsieur est Henry Peter Gyrich, de la sécurité nationale.
Dans l’épisode suivant, la dernière page montre un vieillard s’embarquer pour un voyage vers les États-Unis, alors qu’il contemple les portraits de ses enfants, en qui le lecteur reconnaît Wanda et Pietro, alias Scarlet Witch et Quicksilver. Pourtant, il faudra attendre de longs épisodes avant que ces deux subplots portent leurs fruits, et cela correspondra au retour de John Byrne en tant que dessinateur. Entre-temps, George Pérez assurera le dessin de nombreux chapitres et Shooter se concentrera sur la saga de Korvac. Dans la rédaction, Archie Goodwin partira vers d’autres aventures, Shooter prendra le relai, et la supervision de la série sera confiée à Roger Stern. Précisément au numéro 181 (après un premier passage sur les épisodes 173 à 178, sans doute pour alléger la charge de travail du jeune rédacteur en chef récemment promu).
Visiblement, Stern s’attache à donner du liant et de l’épaisseur à des idées disparates et qui menacent d’être oubliées en cours de route. Ami de longue date de Byrne, on peut imaginer qu’il a discuté avec ce dernier, à qui il confie à nouveau le rôle d’illustrateur, des idées que ce dernier a pu avoir lors de son bref passage précédent, voire des projets qu’il aurait pu entretenir. On peut donc penser que ces deux amoureux de la continuité soient motivés à l’idée de donner à Gyrich un rôle plus important et de concrétiser l’autre subplot évoqué. De là à songer que Byrne serait en partie responsable des développements qui y sont liés, il n’y a qu’un pas.
Avengers #181 est célèbre plus plein de raisons, notamment cette image emblématique dans laquelle Gyrich fait face à une floppée de Vengeurs et leur assène la vérité : le gouvernement va reprendre les choses en main, limiter le nombre de membres dans l’équipe, et soumettre leurs accréditations à un contrôle drastique. Mais c’est aussi, en guise de dernière page, cette planche où monsieur Maximoff regarde les poupées représentant les deux jumeaux héroïques, animées par l’esprit de ces derniers.
Stern décide de taper fort, et s’engage à résoudre les deux subplots lancés une quinzaine d’épisodes plus tôt. Mais plutôt que de les évacuer prestement, de les balayer sous le tapis comme on fait parfois, il choisit d’en faire les fils rouges de la nouvelle ère qui s’ouvre. Avec le scénariste David Michelinie (également recruté par Shooter), il va développer une équipe composée de vieux briscards et de petits nouveaux, et organiser le récit à l’aide de protagonistes parfois un peu laissés dans l’ombre : Hank McCoy constitue un élément de choix (déjà au centre de l’épisode 178, dessiné par Infantino, et où le charme du mutant à poil bleu marche déjà à plein : sur la suggestion de l’editor ?), à la fois plein d’humour sans être comique, ce qui permet de commenter l’action. Stern porte aussi son dévolu sur Wonder Man, le petit nouveau pour qui tout reste à faire (c’est dans ces épisodes que Michelinie et son editor lance l’idée de la carrière cinématographique du héros), Hawkeye (rejeté par Gyrich, bonne occasion pour faire râler l’archer à grande gueule) et Falcon (la récente recrue qui ne se sent pas à la hauteur). Sous l’égide du responsable éditorial, les auteurs citent souvent les séries des « gros » personnages, mais ces derniers sont là pour servir l’action, sans briller.
L’épisode 182 permet donc d’opposer les Vengeurs à Maximoff, vieux gitan sorcier qui pense être le père de leurs deux équipiers. C’est l’occasion d’invoquer des souvenirs, sous forme de flash-backs, afin de revenir sur les origines de Wanda et Pietro (et de connecter celles-ci à d’autres pans de l’univers Marvel). Mais l’astuce sert aussi à donner beaucoup d’émotion au récit. Si le scénario et les dialogues sont signés David Michelinie, on sent bien la patte de Stern et ces épisodes sentent le même parfum que ceux qu’il écrira quelques années plus tard. Même richesse.
Les deux épisodes suivants, musclés et bien rythmés, opposent les héros à l’Absorbing Man dont le but est de quitter le pays : l’intervention des héros, en plus de le mettre en colère, l’empêche d’avoir la paix, ce qui permet aux auteurs de poser des questions intéressantes sur les rapports entre héros et vilains. On notera qu’à cette époque, en dix-sept pages, les auteurs parvenaient à glisser des subplots, à faire vivre tous leurs personnages, à développer des caractérisations fortes, sans jamais se montrer chiches en matière de bastons.
Dans le même temps, Pietro et Wanda, qui ont récupéré leur corps et pris le vieux Maximoff en pitié, ont décidé de prendre un congé et d’accompagner ce dernier en Transie, ne serait-ce que pour avoir quelques informations complémentaires sur leur passé. Et donc, hop, ouverture de la célèbre trilogie, présentée dans les épisodes 185 à 187, et que les lecteurs français ont découvert chez Artima dans l’album « Le Mystère de Wundagore » (sous une couverture évocatrice de George Pérez et Terry Austin).
Je pense qu’il est inutile de détailler cette histoire, parce que les fans de Marvel doivent être nombreux à la connaître. Et ceux qu’ils ne l’ont pas encore lue se préparent à une découverte de premier ordre. Pour résumer, disons que Wanda et Pietro font des rencontres (Mordred, notamment), ont le fin mot concernant leurs origines, et vivent une aventure haute en couleur.
Au pied de Wundagore, Pietro découvre bientôt que sa sœur est possédée par le « démon » (ou dieu ancien) Chthon. Il rencontre Bova, la femme-vache sage-femme (répétez ça dix fois !) et se réjouit de voir ses amis Vengeurs voler au secours. Ça bouge, ça bastonne, c’est super beau (la séquence où Pietro file vers le sommet de la montagne Wundagore, chute et se réveille contient un nombre d’effets visuels impressionnant, et tous parfaitement maîtrisés), assez cohérent (personnellement, je pense que la multiplicité des scénaristes dénote aussi le travail éditorial remarquable de Stern) et ça pose énormément de choses qui seront exploitées plus tard (par Byrne dans West Coast Avengers , par Bendis…). Continuité riche et dense, caractérisation formidable et poussée, gros enjeux, ce triptyque constitue un sommet de la période.
Les origines de Wanda et Pietro feront l’objet de développement par la suite (notamment la mini-série Vision & Scarlet Witch , par Bill Mantlo et Rick Leonardi), mais là encore, le travail éditorial de Roger Stern a permis de poser des bases, ainsi qu’on l’a déjà remarqué à l’occasion d’une autre discussion :
La ressemblance, on la voit dans un X-Men durant lequel Magneto regarde une vidéo de Magda… qu’il finit par effacer. Précisément, Uncanny X-Men #125 , daté de septembre 1979.
Dans le même temps, dans Avengers #186 , daté… d’août 1979, on voit une certaine Magda arriver chez Bova, et évoquant son mari au pouvoir effrayant dont elle tente de se cacher. La ressemblance est évidente.
On remarquera que c’est le même dessinateur, certes, mais que les deux séries sont à l’époque supervisées par le même homme, Roger Stern. Si l’on rajoute le calendrier très resserré des deux occurrences, on comprend bien que c’est complètement délibéré dès ce moment, soit trois ans avant la mini-série Vision & Scarlet Witch , écrite par Mantlo, dessinée par Leonardi et supervisée par Gruenwald.
En VF, j’ai donc lu ça entre décembre 1981 (Spécial Strange #26 ) et octobre 1982 (l’album des Vengeurs). J’étais fasciné par Byrne, ça motive les achats et ça aide à cristalliser les détails et à retenir les péripéties.
Le recueil Avengers: Nights of Wundagore s’arrête là, sur ce sommet. Byrne ne quittera la série qu’avec le numéro 191, cédant la place à Bob Hall puis à nouveau à George Pérez. Mais les lecteurs les plus curieux peuvent se plonger dans le TPB Avengers: Heart of Stone , qui contient cette période de transition (Avengers #188 à 196 et Avengers Annual #9 ), afin de savourer la fin de la période Byrne.
L’une des caractéristiques du travail de Stern, que ce soit en tant que scénariste ou en tant que responsable éditorial, c’est de placer chaque chapitre dans une continuité narrative : en gros, il situe l’action de chaque épisode par rapport à ce qui vient d’arriver. Ainsi, dans l’épisode 188 (où il cède la place, dans les crédits, à Mantlo et Shooter, mais on sent bien sa patte), on lit une histoire qui évoque Attilan, développe les sentiments de Wanda et met en évidence le rôle des Vengeurs.
Dans le numéro 189, il supervise un scénario de Steven Grant (aidé par Mark Gruenwald, David Michelinie et… Roger Stern) mettant Hawkeye au premier plan (et là encore, plein de choses sont posées qui seront développées dans les années à venir). Enfin, dans les deux derniers épisodes de Byrne, on assiste au retour de la Grey Gargoyle, mais aussi à une audition sénatoriale devant faire le point sur le statut des héros.
Ce récit en deux parties, qui correspond au départ de Byrne, est aussi la conclusion de la saga de Gyrich, qui s’oppose aux Vengeurs devant les sénateurs… et finit par perdre. Stern est cité comme responsable éditorial mais aussi comme co-auteur de l’intrigue, et c’est sans doute à lui qu’on doit la présence conjointe de trois avocats de l’univers Marvel, Matt Murdock, Jeryn Hogarth (venu de la série Iron Fist ) et Emerson Bale (venu de la série Champions ).
Ce récit est aussi l’occasion de remettre sur le devant de la scène le Falcon, un Sam Wilson qui finit par trouver sa place dans le groupe, et par tenir la vedette face au vilain minéral.
Le départ de Byrne donne un coup de frein à la série. Mais si l’on regarde les crédits, on constate que Roger Stern est remplacé par Jim Salicrup au poste de responsable éditorial. Si David Michelinie signe des histoires nerveuses et continue à mettre en avant certains Vengeurs « secondaires », comme Wonder Man, l’élan est perdu.
En revanche, à la relecture, il est frappant de voir à quel point Byrne est lié à une bonne période. On pourrait presque prendre les épisodes 164 à 166 puis 181 à 191 et les relire d’un bloc, on constaterait qu’ils forment un tout assez cohérent. Il est fort possible que, derrière les crédits qui le cataloguent comme dessinateur, il soit en grande partie responsable de la qualité de ces chapitres, avec l’aide de son ami Roger Stern (qui, à la même époque, était responsable d’Iron Man et d’Uncanny X-Men , où il a laissé des périodes également mémorables).