1974-2024 : BON ANNIVERSAIRE LE PUNISHER !

Je vais laisser Soyouz revenir sur le contenu de Daredevil #183-184, mais je vais me permettre de faire le point sur les coulisses ayant mené à la création de ce diptyque.

D’après plusieurs sources, le récit devait à la base figurer dans Daredevil #167-168. La série est à l’époque bimestrielle. Denny O’Neil vient de rejoindre la supervision éditoriale, travaillant en commun avec Jo Duffy sur l’épisode 163 (celui avec Hulk, daté de mars 1980) et opérant en solo à partir du 164 (celui où Urich a la confirmation de l’identité du héros, daté de mai 1980), dont la couverture, qui évoque le passé de Daredevil, est encré par Wally Wood, l’un de ses derniers travaux.

Le dernier numéro écrit par Roger McKenzie est le #166, celui du mariage de Foggy, pour lequel Miller est crédité pour avoir participé à l’intrigue. C’est donc dans les deux épisodes suivants que l’équipe projette de publier le récit consacré à la drogue. Un sujet qui tient à cœur le responsable éditorial, qui l’a déjà abordé dans les légendaires épisodes de Green Lantern / Green Arrow, une petite décennie plus tôt. Donc on peut imaginer que McKenzie et O’Neil soient sur la même longueur d’ondes à ce propos, et qu’il n’y ait pas de tensions entre les deux.

Mais justement, selon les différents témoignages, la Comics Code Authority rejette l’épisode. L’histoire est annulée et remisée dans un placard. En remplacement, Daredevil #167, daté de novembre 1980, contient un récit assez émouvant sur la perte d’identité administrative écrit par David Michelinie et également illustré par Frank Miller : le rythme bimestriel de la série lui a sans doute permis de trouver le temps de dessiner son propre fill-in.

Sachant que l’épisode contient une back-up, on peut même penser que le scénario avait été rédigé à une époque où les épisodes faisaient dix-sept pages et traînait dans les tiroirs d’O’Neil, la back-up sur les pouvoirs du héros servant à obtenir la pagination nécessaire.

Quant à l’épisode 168, daté de janvier 1981, il est passé à la postérité pour être celui qui marque les débuts de Frank Miller en tant que scénariste et l’arrivée d’Elektra dans le petit monde de Daredevil.

Mais ces deux épisodes n’étaient pas prévus. Le résultat du refus de la Comics Code Authority, c’est aussi le départ de McKenzie. Avait-il prévu de quitter la série sur un dernier diptyque marquant ? Ou bien cet énième obstacle a-t-il eu raison de sa patience ? Ou modifié ses relations avec l’éditorial ? J’imagine qu’un Marko ou un Mallrat sauront nous en dire plus.

Daredevil passe mensuel avec son numéro 170 de mai 1981. C’est l’arrivée du Kingpin dans la série. C’est aussi le moment où Miller n’est plus en mesure de mener deux séries de front, ce qui annule son projet de reprise de Doctor Strange avec Roger Stern (qui ont aussi songé à lancer une série Nick Fury). Le dessinateur est donc soumis aux impératifs de la périodicité mensuelle, d’autant que la pagination est passée de dix-sept à vingt-deux pages avec son premier épisode. La moindre occasion de gagner du temps sera saisie.

Et celle-ci se présente quand O’Neil, opiniâtre, parvient à faire passer le récit sur la drogue et à obtenir le sceau du Comics Code. Le diptyque prévu sera publié dans Daredevil #183-184, datés de juin et juillet 1982, soit plus d’un an et demi après la date prévue à l’origine. Sur la couverture du premier volet, il est écrit « Again… the Punisher! », or il s’agit là de la première rencontre entre le justicier expéditif et le héros aveugle, même si le premier commence à être connu. Plusieurs points devront être réglé. En premier lieu, la pagination. Quand le récit a été mis en chantier, les comics Marvel ne comptaient que dix-sept pages, base sur laquelle McKenzie a travaillé. Il faut donc que Miller réalise plusieurs pages complémentaires afin d’arriver à la pagination voulue (les cinq dernières planches sont assurément nouvelles : sur celles du début, c’est plus difficile à déterminer). Ces pages seront consacrées à des intrigues en cours, y compris les relations entre Matt et Heather. Mais le dessinateur, qui sort d’un épisode double avec Daredevil #181 et la mort d’Elektra, peut profiter de ce recyclage pour souffler un peu.

Les pages les plus anciennes sont reconnaissables au fait qu’elles sont plus denses, qu’elles contiennent plus de cases et que le découpage est plus sobre. Certains tics graphiques sont associables à une « première manière » : le costume de Daredevil est plus sombre, plus chargé d’encre, et Miller ressort le « déguisement à casquette » qu’il avait déjà utilisé dans ses premiers épisodes.

Les différents remontages amènent l’équipe à sacrifier des planches. Ainsi, la dernière page de ce qui aurait dû être Daredevil #167 à l’époque (et qui n’apparaît même pas dans les Frank Miller Visionaries que j’ai, par exemple) est supprimée, même si certains éléments seront remontés dans de nouvelles planches, ou carrément redessinés quand la méthode « je découpe et je colle » ne suffit plus.

L’autre souci, c’est le Punisher. Prévu dès l’origine du projet, il doit apparaître. Mais, on l’a vu plus haut, il est en prison depuis la fin d’Amazing Spider-Man Annual #15. Or, comme le fait remarquer Soyouz :

En effet, dans l’épisode précédent, alors que Matt se morfond après le décès d’Elektra, Miller consacre trois scènes à Frank Castle. La première est une discussion en prison.

La seconde est une séquence d’évasion en ombres chinoises, où les maladroits Turk et Grotto font les frais de la ruse du Punisher.

La troisième montre le justicier, ayant récupéré ses armes et son costume, intercepte un convoi de drogue, ce qui prépare à la confrontation à venir.

De cette manière, O’Neil et Miller peuvent justifier la présence du Punisher dans l’intrigue sans contredire la continuité. Cela signifie aussi que l’approbation est arrivée entre-temps, sinon ils ne se risqueraient pas à mettre en chantier un tel sujet. Sans doute le responsable éditorial a-t-il travaillé en coulisse (les remerciements à Ed Pollock et Ken Dias de Phoenix House, une organisation fondée en 1967 et permettant la désintoxication, semble l’attester) pour que, enfin, l’histoire voie le jour.

Le reste, à savoir le contenu, Soyouz nous en parlera avec le talent qui caractérise ses « reviews ». Quoi qu’il en soit, le diptyque aura marqué les esprits, non seulement à cause de son histoire éditoriale, mais aussi par la portée de son récit. Un tournant dans les rapports avec la Comics Code Authority, mais aussi pour les personnages.

Jim

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