Dans la désormais longue carrière du Punisher, un passage me plaît particulièrement : Franken-Castle. Sans doute qu’il réunit plein de choses qui m’attire, notamment un côté nawak fort plaisant, où l’on sent les auteurs bien décidés à pousser une idée jusqu’au bout, en faisant appel à tout un patrimoine marvélien qui fonctionne très bien. Il faut dire aussi que la saga, saugrenue, décalé, pas réellement en prise avec l’air de l’époque, survenait durant la période où Norman Osborn fait la pluie et le beau temps dans un univers Marvel assez sombre où les séries dominantes ne m’ont pas, euphémisme, passionné.
Autres points intéressants, le récit propose une prestation d’auteurs qui soit m’ont beaucoup déçu depuis lors, soit ne m’ont jamais enthousiasmé. Le scénario de Franken-Castle est une des dernières prestations de Rick Remender qui m’ont passionné, parce qu’il parvient à aligner des cliffhangers et des enjeux intéressants, loin de la formule course-poursuite qu’il a privilégiée par la suite. Quant au dessin, dominé par la figure de Tony Moore, je trouve que ça passe pas mal : je n’aime pas son style, en général raide et sans force, mais là, les planches remplies de monstres et d’explosion passent très bien.
Tout commence pourtant très mal, à la fois pour le personnage et pour les lecteurs, dans les pages de Dark Reign - The List: Punisher, un one-shot faisant partie d’une courte collection dans laquelle on est invités à découvrir quel sort Osborn réserve à certains de ses ennemis privilégiés. Dans le récit qui nous intéresse, Daken, le fils de Logan, qui a repris le nom et le costume de Wolverine, fait face au Punisher qui finit par découper en tranches, littéralement. C’est bourrin et gore, sans humour.
Mais les choses changent dans Punisher #11, réalisé par Remender et Moore, dans lequel on apprend que les Mole Men ont récupéré les morceaux, reconstruits à la manière de Frankenstein afin de rendre à Frank Castle une allure vaguement humaine. Via une séquence en caméra subjective, on assiste au réveil du justicier, qui se retrouve parmi les monstres (dont Morbius, chirurgien improvisé, ou Manphibian). Le récit nous apprend que Morbius cache une « blood stone », qui attire les convoitises, dont celle de Hellsgaard, un personnage très mignolesque, crâne flottant dans un bocal qui surplombe une armure colossale. Toute cette mise en contexte, avec sa dimension ironique et décalée, rend cette version surnaturelle du justicier plus crédible que l’interprétation en « ange vengeur » de la période Marvel Knights.
La première partie du recueil Franken-Castle est consacrée au long combat contre Hellsgaard, ce qui donne l’occasion de voir des cases étonnantes, à l’exemple de cette charge à dos de dragon volant. L’un des chapitres revient sur les origines de Hellsgaard, un savant allemand vieux de cent cinquante ans, dont les flash-backs sont dessinés par Dan Brereton. La fin de ce premier cycle voit Morbius récupérer la « blood stone », une pierre magique capable de régénérer les tissus, et l’utiliser afin de réanimer à nouveau le Punisher, laissé dans un état piteux.
La suite, qui marque le changement de titre, Punisher devenant officiellement Franken-Castle (pourquoi si tard ?), voit Castle reprendre sa mission avec l’intention de retrouver tous ceux qui ont pris part à son assassinat. Cela nous vaut deux épisodes dessinés par Roland Boschi, très dynamiques, dans lesquels le héros affrontent Lady Gorgon. Puis il se met en tête de retrouver Daken. C’est l’occasion d’un gros cross-over avec la série Dark Wolverine dont le fils de Logan est le « héros ». C’est un peu la partie la moins intéressante du recueil : quatre épisodes de bourrinades, de fusillades, de coups de griffes, auxquels le père griffu vient se joindre dans une mêlée générale.
La belle trouvaille (enfin, « belle » : c’est grumeleux et dégoûtant, mais c’est ingénieux) de l’affaire, c’est de postuler que le pouvoir autoguérisseur de Daken se met à déconner sérieusement quand il s’empare de la « blood stone ». Ça donne un délire akiresque assez bien rendu par le trait de Tony Moore.
La saga Franken-Castle, et donc le recueil, prend fin avec Franken-Castle #21, peint par Brereton, qui montre comment le Punisher revient sur l’Île aux Monstres, profitant des bienfaits régénérants de la « blood stone ». L’épisode confronte le justicier à Elsa Bloodstone, mais l’ensemble va peut-être un peu vite (le souvenir que je gardais de ma lecture VF était différent, j’avais l’impression que ce dernier acte était plus long). On sent que le scénariste avait sans doute des idées en réserve, comme souvent. Je n’ai pas comparé les dates, mais je ne crois pas que Remender était déjà sur le départ chez Marvel : sans doute en revanche était-il pris par d’autres projets chez l’éditeur. Mais il est dommage que la résolution soit aussi rapide.
En dépit de cette conclusion un peu rapide et du caractère outrancier du cross-over, le recueil est une lecture formidable. Parce qu’il sort le personnage de sa « zone de confort », comme on dit souvent, et propose un de ces délires dont les comics de super-héros sont responsables de loin en loin. La collision entre l’univers des polars musclés et celui des films d’horreur ne se limite pas à la proximité sonore entre « Frank Castle », « Franken-Castle » et « Frankenstein ». Remender tire profit de cet amalgame pour faire le parallèle entre le statut de mort-vivant du justicier, composé, dans ces épisodes, de morceaux de chair morte animés par la science puis par la magie, et la mort intérieure que le personnage éprouve depuis le décès de sa famille. De nombreux dialogues insiste sur ce « déjà mort » qui ne le rend que plus dangereux, même face à des hordes de monstres surnaturels.