REALISATEUR
Gene Quintano
SCENARISTES
Gene Quintano et Don Holley
DISTRIBUTION
Emilio Estevez, Samuel L. Jackson, Kathy Ireland, William Shatner, Tim Curry…
INFOS
Long métrage américain
Genre : comédie/parodie
Année de production : 1993
Drôle d’oubli collectif que celui dans lequel est tombé The Loaded Weapon 1 (notez le numéro…), fleuron de la grande époque du spoof-movie à la sauce Z.A.Z. (nous y reviendrons) ; le film a pourtant de chouettes atouts à faire valoir… pour les fans de ce type très particulier de parodies. Les autres trouvent généralement les résultats en la matière unanimement consternants. L’auteur de ces lignes en est évidemment mordu, quant à lui.
La parodie cinématographique, c’est un genre qui est quasiment aussi vieux que le cinéma lui-même. Jugez plutôt : dès 1905, le film qui est considéré comme le premier de tous les westerns, l’historique The Great Train Robbery (1903) était parodié dans The Small Train Robbery, à l’histoire similaire en tous points… sauf qu’il était interprété par des enfants.
Passé ce prototype précoce, le cinéma ne cessera de se retourner sur lui-même et de profiter de son incroyable popularité pour provoquer l’hilarité du spectateur en détournant des scènes connues à des fins comiques. C’est d’emblée le cinéma de genre (et notamment les films d’espionnage et d’horreur ; le concept du Docteur Jekyll et de son alter-ego Mister Hyde est très tôt, et fréquemment au cours de l’histoire du cinéma, détourné) qui est le principal objet du délit.
Le rythme de production de ce type de films est considérablement revu à la hausse dans les années 40, avec la série de films du duo Abbott et Costello, qui voient les « Deux Nigauds » rencontrer toutes les figures de proue du genre fantastique, mises à l’honneur par la Universal. Les années 60 ne sont pas non plus avares de détournements de toutes les James Bond-eries de l’époque, le grand Mario Bava lui-même y allant de sa propre parodie du genre.
Mais ce sont les années 70 qui verront l’éclosion des maîtres incontestés (et indétrônés) du genre, en la personne des membres du trio Z.A.Z., composé des frères David et Jerry Zucker et de Jim Abrahams.
C’est au théâtre que le trio fait ses premiers pas, avec le « Kentucky Fried Theater » ; au programme : sketches non-sensiques qui vont très (très) loin dans l’absurde, sous influences conjointes des Monty Pythons et des Marx Brothers. Si le trio a au départ quelques velléités politiques, très rapidement il renonce à cette dimension pour opter pour les délires les plus gratuits possibles.
Les sketches du « Kentucky Fried Theater » fourniront l’essentiel de la matière première du légendaire Hamburger Film Sandwich, retitrage français absurde (duquel les auteurs du film eux-mêmes ne manqueront pas de se moquer…) du Kentucky Fried Movie, dont la mise en scène fut confiée par le trio d’acteurs/auteurs inexpérimentés à leur collègue John Landis, plus chevronné. Parodie de soirée télé (film inclus) encore hilarante quarante ans après sa genèse, le film est une source d’inspiration pour une génération entière de comiques, notamment français (Kad et Oliver signaleront fréquemment leur dette à l’égard de ce film et de ses successeurs, et les Nuls commettront une déclinaison française de l’esprit Z.A.Z. avec le fameux La Cité de la Peur). Il faut voir cette parodie impayable de Opération Dragon, issu de la filmo de Bruce Lee pour le croire, et pour jauger du jusqu’au-boutisme de Zucker, Abrahams et Zucker, parodie qui constitue en fait l’essentiel du film, par ailleurs dotés de saynètes absolument démentielles (comme la fausse bande-annonce de film porno, « Catholic High-school Girls In Trouble » ; quel titre…!!).
La consécration arrive en 1980 avec le fabuleux Airplane ! (alias Y a-t-il un pilote dans l’avion ?), qui entreprend avec bonheur de détourner le genre très en vogue à l’époque, et ce depuis une bonne dizaine d’années, du film catastrophe (la catastrophe aérienne en l’occurrence). Ce film incroyablement influent instaure définitivement les règles du « spoof-movie » à la sauce Z.A.Z. ; le récit parodie généralement un genre ou un film en particulier, mais fait aussi régulièrement des détours par d’autres genres ou films, parodiant le temps d’une scène ou deux les grands succès du moment (comme La Fièvre du Samedi Soir dans Airplane !, pour une séquence dantesquement drôle).
Le film connaîtra une suite, loin d’être déshonorante, mais dans laquelle les Z.A.Z. ne seront en rien impliqués (ils confessent même n’avoir jamais voulu voir le film…).
En 1982, c’est vers la télévision que le trio s’oriente, pour une série absolument anthologique mais hélas trop courte (6 petits épisodes récemment réédités en DVD), la démentielle Police Squad !, qui voit la rencontre du trio avec l’incroyable Leslie Nielsen, qui fut le jeune héros du chef-d’oeuvre de la SF des années 50, Planète Interdite. L’acteur expliquera plus tard avoir trouvé en la personne des trois jeunes comiques des « frères d’humour », lui qui déplorait ne connaître personne partageant ses goûts en la matière. De cette rencontre naîtra le personnage hilarant de Frank Drebin, héros de la série puis d’un film (The Naked Gun : From the Files of Police Squad !) qui devient à son tour une trilogie de films, les fameux Y a-t-il un flic pour sauver…, dont les deux derniers volets verront l’implication du seul David Zucker.
Quelques fleurons de plus plus tard (dont le génial Top Secret ! avec un tout jeune Val Kilmer en 1984), le trio se sépare au début des années 90, chacun allant vaquer à ses occupation : David Zucker poursuit donc sur la lancée des Naked Gun, pendant que Jim Abrahams concocte les deux volets de Hot Shots ! avec Charlie Sheen (le début de la fin de sa carrière au cinéma, déjà ; impossible de prendre ce bon vieux Charlie au sérieux après ces deux films, il faut bien l’avouer). Jerry Zucker empruntera des chemins plus étonnants, emballant notamment le fameux Ghost avec Patrick Schwayze et Demi Moore, énorme succès à l’époque… et objet de parodie des Naked Gun !!!
C’est dans la lignée des films Z.A.Z. que The Loaded Weapon 1/Alarme Fatale voit le jour, sous la houlette de Gene Quintano, acteur/producteur/scénariste/réalisateur de son état. Quelle carrière bizarre que celle de Quintano : après des débuts dans la production des derniers films de l’italien Ferdinando Baldi, réalisateur d’un fleuron du western spaghetti barré, Blindman, le Justicier aveugle (tout est dans le titre) en 1971, dont des rip-offs fauchés du Indiana Jones de Spielberg et Lucas, il met en boîte un Christophe Lambert-flick tombé dans l’oubli (comme la moitié de la filmo de notre Bébert national), avant de « concevoir » Alarme Fatale.
Quintano ne s’embête pas et reprend sans vergogne, à la lettre, le concept et la méthode des Z.A.Z., optant pour une mise en boîte du buddy-movie/film d’action, comme 48 Heures ou, évidemment, L’Arme Fatale, avec Mel Gibson et Danny Glover. Gene Quintano, qui co-signe le scénario, met donc en scène un duo de flics que tout oppose, l’un tête brûlée sur la corde raide (et qui ne manque pas de le rappeler) à la gâchette facile et l’autre plus regardant sur le règlement et plutôt pusillanime.
Sans surprise, le film déroule une série de scènes qui détournent les moments les plus emblématiques des deux premiers Lethal Weapon, pour les détourner de manière parfois extrêmement jubilatoire (la caravane/bicoque sur la plage, le coup des toilettes absolument pas piégées pour le coup, la rencontre des deux acolytes, le faux comparse à la Joe Pesci, etc etc…). Comme les Z.A.Z., donc, Quintano fait quelques détours pas d’autres films, les succès de l’époque, qu’ils soient connectés au genre (Basic Instinc) ou pas (le « Bohemian Rhapsody » final à la Wayne’s World).
Cerise sur le gâteau, le casting fait la part belle aux seconds rôles savoureux voire aux cameos de prestige : William Shatner (déjà « coupable » dans Y a-t-il un pilote dans l’avion ? 2) joue le bad guy avec délectation (pour une fois que son cabotinage est encouragé…), la sculpturale Kathy Ireland vient figurer les femmes fatales de pacotille, Fred McRae et sa trogne inimitable joue le chef de brigade noir énervé de service, et Bruce Willis en personne (alors au sommet de sa gloire) incarne son rôle fétiche de John McClane, rien de moins. L’irrécupérable Charlie Sheen (demi-frère d’Emilio Estevez ; leur papa est l’acteur Martin Sheen) vient évidemment traîner ses guêtres (le temps d’une scène), tout comme Whoopi Goldberg et Tim Curry, la star du Rocky Horror Picture Show (abonné à ce type de rôles depuis). Sacrée affiche !!
Il est plus étonnant de retrouver tout en haut de celle-ci le nom de Samuel L. Jackson, aux côtés d’Emilio Estevez (l’acteur le moins charismatique du monde, et donc assez doué dans ce type d’exercice comique). Pourtant, à l’époque, Jackson n’a pas encore été starifié par le Pulp Fiction de Tarantino (ce sera pour l’année suivante) ; il sort d’une série de seconds rôles dans lesquels il végète 10 ans au début de sa carrière. Alarme Fatale est presque une aubaine pour lui (la même année il joue aussi dans Jurassic Park, donc ça commence à le faire pour lui). Sans compter que le film sera un joli succès au final (650 000 spectateurs en France en plein mois de juillet, par exemple ; pas mal).
Le film est loin d’être exempt de défauts, ceci dit. Quintano est loin d’être le Fritz Lang de son temps (doux euphémisme) et le film est quand même mis en scène avec les pieds. Un défaut que le film tourne intelligemment (ou pas) à son avantage néanmoins : difficile de dire si ces fondus-enchaînés pourris et incessants sont le fruit du mauvais goût propre au réalisateur ou une mise en boîte des tics des années 80 par exemple. Summum de nullité, le climax est incroyablement cheap, mais là aussi ça finit par nourrir l’aspect comique jusqu’au-boutiste).
Plus gênant, le ratio de gags absolument navrants, car il y en a beaucoup quand même (ce qui n’a jamais été le cas chez les Z.A.Z. par exemple), est dangereusement élevé, même si tout dépend de votre seuil de tolérance (le mien est redoutablement élevé). Là encore, le cinéaste se raccroche aux branches pour compenser cette inspiration défaillante et irrégulière. Pour ça, il fait comme Jim Abrahams et maximise le principe de la méthode Z.A.Z. qui consistait déjà en une saturation de gags. Ici, c’est un gag toutes les 15 secondes, au bas mot, avec parfois des jeux de composition de cadre sommaires mais efficaces où les gags se déroulent simultanément sur plusieurs plans ; là aussi, c’est une émulation de la méthode Z.A.Z., plutôt aboutie pour le coup.
C’est en saturant le spectateur de gags (bons comme mauvais) que le film remporte la mise : comme chacun sait, la comédie est affaire de tempo ; ici c’est dans son intensité que réside la recette (et la petite réussite) du film. Il y a comme un effet de surcharge, presque la saturation du sens esthétique définie par Kant comme le sublime authentique. Mais je m’égare.
Quintano a plutôt réussi son coup, mais il est quand même loin de tutoyer les sommets du trio pré-cité, qui accouche d’une forme d’humour quasi poétique par moments (oui, oui).
Avis aux puristes nostalgiques comme moi : je recommande l’usage de la VF pour ce film et ses cousins Z.A.Z. ; pas forcément d’une fidélité à toute épreuve, les VF d’époque ont leurs défauts mais aussi un charme inimitable à l’heure actuelle.
Allez, quelques pépites pour terminer :
"Donne-moi un nom.
- Mais c’était à tes parents de le faire…!"
"Du café, Ted ?
- Ted vient d’une famille nombreuse où les parents ne s’entendaient pas.
- Oh, alors… pas de café ?"
Si vous ne riez pas à ces blagues débiles au dernier point, n’insistez pas, ce cinéma n’est pas fait pour vous.
Il est regrettable que cette veine pourtant influente en son temps (des deux côtés de l’Atlantique) n’ait pas perduré au-delà de l’implication des Z.A.Z, à l’exclusion de la déplorable vague de spoof-movies actuels, incroyablement médiocre, qui mettent en boîte la saga des Twilight, 300 et autres hits récents…
On retrouve quand même des traces de cette « magic touch » ici ou là, que ce soit chez les frères Farrelly (immenses fans des Z.A.Z.) ou les frères Wayans (pour les deux premiers Scary Movie, avant que le revenant David Zucker en personne ne vienne emballer les suivants), voire dans les fleurons de la stupid-comedy à l’américaine. On remarquera que tout ça semble souvent être une affaire de fratrie, ce qui me fait sourire quand je me souviens (instant émotion) que c’est avec mon propre frangin, et j’en profite pour le saluer ici, que j’ai découvert et partagé des heures et des heures de fou-rires devant tous ces films, des moments absolument inoubliables…