CAPTAIN SWING (Warren Ellis et Raulo Caceres)

Comment ça, Warren Ellis reprend Captain Swing ?

Pas tout à fait.

Captain Swing and the Electrical Pirates of Cindery Island est un projet du célèbre scénariste qui s’essaie à une énième variation sur les univers steampunk chez l’éditeur Avatar, auprès de qui il semble avoir trouvé un petit espace de liberté afin d’y développer des univers personnels.

J’ai lu le TPB récemment, et je me suis étonné de voir qu’il n’y avait pas de sujet dessus.
Le récit commence en décrivant les luttes entre différentes forces de l’ordre, les policiers londoniens (les fameux « bobbies ») face à d’autres milices constituées et plus violentes. Tout s’articule sur l’assassinat de plusieurs bobbies, prétexte à l’exploration d’autres thématiques. La structure du récit (début à Londres, voyage et retour, résolution…) éloigne puis rapproche le personnage central, proposant un récit initiatique déguisé (et suffisamment bien déguisé : je déteste les récits initiatiques qui s’affichent comme des récits initiatiques, et là, Ellis fait la démonstration de sa grande roublardise).
Le voyage est donc prétexte à l’évocation d’autres thèmes, qui sont, entre autres, le rapport à la science et à la modernité (et en filigrane la métamorphose des sociétés industrielles) et l’engagement politique, limite anarchiste, dans le but de susciter une libération des masses laborieuses.

http://forbiddenplanet.co.uk/blog/wp-content/uploads/2010/03/Captain-Swing-1.jpg

Le fameux Captain Swing du récit reprend à son compte l’imagerie du Spring-Heeled Jack, sorte de croquemitaine bandit de grand chemin, entre justicier et égorgeur, profondément associé à l’imaginaire du Londres du XIXe siècle. Ce personnage, sujet de tous les soupçons des policiers (qui de surcroît ne croyaient pas à son existence), incarne un état d’esprit contestataire.
Et la suite du récit, qui démontrera que ce Captain Swing est avant tout une idée (et qu’on peut tuer un homme, mais qu’il est difficile de tuer une idée), permet à Ellis de montrer une passation de pouvoirs, une reprise d’identité, qui place le récit, toute proportion gardée, dans la foulée d’un V for Vendetta d’Alan Moore ou d’un Invisibles de Grant Morrison, auxquels Captain Swing me semble un hommage évident.

Bref, c’est conseillé.
C’est dessiné à la Avatar, soit un peu vulgaire et rempli de détails, mais ce n’est pas désagréable. Caceres évoque parfois un Pat Broderick de l’ancienne manière (quand Broderick dessinait bien), et le récit contient de nombreuses images saisissantes (le bateau à rames qui vole…).
Sous ses allures d’énième représentation d’une science-fiction antidatée, Captain Swing parle de politique, au sens « vie dans la cité ». Un bon Warren Ellis qu’il conviendrait de ne pas négliger sous prétexte qu’il est publié chez un éditeur à la devanture d’ordinaire racoleuse.

Jim

Normal, le bouquin date de 2010/2011, on était encore sur SP. :wink:

[quote=« Le Doc »]

Normal, le bouquin date de 2010/2011, on était encore sur SP. :wink:[/quote]

Ah là là, je souffre d’un violent décalage horaire !

Cela dit, il n’y a pas énormément de sujets avatariens, ici. Alors que, somme toute, en cherchant bien, on trouve des trucs qui méritent papotage.

Jim

C’est vrai qu’Avatar n’est pas un éditeur vers lequel je vais régulièrement chercher des trucs à lire. Je crois bien que je n’ai lu que le 303 de Garth Ennis que tu as édité et traduit.
J’avais un peu oublié Captain Swing alors que c’est un truc qui pourrait m’intéresser. Je prends note, donc…

Pour ma part, j’aime beaucoup la production de Warren Ellis là-bas, même si graphiquement c’est pas toujours excellent. Il s’amuse avec les genres (les zombies avec Black Gas, l’héroic avec Wolfskin…), avec les formats, il profite de cet espace pour faire des trucs qui peut-être perdraient de leur vigueur voire de leur légitimité s’ils étaient plus longs chez d’autres éditeurs (je pense à Crecy, à Frankenstein’s Womb, à Aetheric Mechanics…), il se permet des one-shots, tout ça… Et même au-delà de ça, il laisse des œuvres importantes. Ignition City me semble s’inscrire parfaitement dans sa veine « space geek » et ne démérite pas face à Orbiter ou Ocean.
Je ne déteste pas non plus les adaptations de récits en prose de Moore. Ni ce qu’y a fait Garth Ennis (même si je ne me suis jamais pensé sur Crossed, mais j’ai dit tout le bien qu’il faut penser de Rover Red Charlie et, effectivement, je trouve son 303 d’excellente tenue, digne de son Unknown Soldier).
Y a plein de radouilles chez Avatar, mais beaucoup moins qu’à une époque, et surtout l’éditeur semble constituer un bac à sable où des auteurs à forte personnalité viennent y pondre des œuvres que l’on pourrait qualifier de « secondaires », mais pleines d’énergie. Et justement, moi, l’idée d’une œuvre « secondaire », je m’en méfie. C’est parfois dans un récit court que l’on trouve condensée une thématique porteuse et éclairante.
J’aime bien Avatar pour ça, parce que la structure offre à des gens comme Warren Ellis l’occasion de se lâcher.

Jim

Tout pareil que Jim. J’aime bien le côté bac à sable trash d’Avatar. J’ai essentiellement lu ce que Warren Ellis y a fait, avec quelques perles (Crecy, Aetheric Mechanics), quelques trucs franchement moins bons (Blackgas, Doktor Sleepless) et des choses intermédiaires, sans oublier le très bon Freakangels mais ce n’est pas une production Avatar à proprement parler. Côté Garth Ennis, j’ai trouvé Crossed intéressant mais il a vite passé la main et je ne pense pas que j’aurais aimé sur la longueur. Sinon, j’ai adoré le premier tome de Chronicles of Wormwood et détesté le second. Tout ça, ça commence à dater, cela dit. Mis à part Rover Red Charlie dont j’attends la sortie imminente en TPB, je ne vois pas grand chose qui fasse envie. Alan Moore sur Crossed, s’il ne traite pas ça par dessus la jambe, ça peut être rigolo.

Pour Warren Elis chez Avatar, j’ai l’impression que vous oubliez son excellente trilogie super-héroïque, composée de « Black Summer », « No Hero » et surtout « Supergod », le plus innovant et fun des trois à mon humble avis. Malgré les dessins pas jojo (encore que, sur « Supergod »), Ellis y livrait une imparfaite mais très complète réflexion sur le genre. Tiens, un thread sur le sujet ce serait pas con…

C’est aussi parce qu’Avatar est un éditeur peu visible sur le net. Peu d’annonces, peu ou pas d’interview des artistes. C’est vache maigre. C’est un éditeur qui fonctionne en circuit fermé, intéressant notamment les amateurs d’histoires violentes et quelques intéressés.

En outre, ce n’est pas parce qu’un sujet mérite papotage qu’il en a. On commence a avoir beaucoup de sujets ouverts ou personne ne discute (le passage Superpouvoir-Comics-Sanctuary ayant grandement bénéficié au niveau des lecteurs de V.F., en bien).

[size=85]Ce qui me force souvent à me demander si je ne devrais pas ralentir énormément la cadence. Parce que ça me prend beaucoup de temps.[/size]

Pour ma part, c’est tout l’inverse. Je n’ai absolument rien lu de potable chez Ellis depuis bien 10 ans. Et ce n’est pas la lecture des « comics masturbatoires » que sont Moon Knight (à la narration impeccable mais diablement creux) ou Supreme: Blue Rose (Ronfle Hein ?!?) qui vont me faire changer d’avis. Ellis, c’est un scénariste qui s’est limité lui-même à force de vouloir pousser les mêmes sujets au cul. Un auteur qui n’a jamais su se renouveler, même pas dans sa manière d’aborder ses personnages aux dialogues usés jusqu’à la corde. Résultat, toutes productions Avatar, Image ou autres, ne ressemblent qu’à de pâles imitations peu abouties de ses œuvres principales; que ce soit sur le Super-héros (Stormwatch/Authority), la S.F. transhumaniste à forte dominance polar (Transmetroplitan, Global Frequency) ou dans sa relecture de la culture populaire (Planetary qui marque le début de l’essoufflement chez Warren Ellis avec une conclusion bancale et des numéros rasoirs qui manquent cruellement de rythme.)

Il y a bien Nextwave mais le reste vaut à peine d’être lu une fois (Doctor Sleepless, Black Summer, Secret Avengers), voir pas du tout.

Ellis est devenu un auteur de concepts, qui préfère tout miser sur un principe/une idée et ne pas s’occuper des personnages autour. On retrouve, de plus en plus, les « personnages ellisiens », qui ne sont là que pour servir le concept qui dirige l’épisode ; ça se voyait déjà sur Secret Avengers, où ses six épisodes ne servaient qu’à illustrer ses idées-thèmes, et c’est confirmé par Moon Knight (où le personnage n’a pas d’âme, de coffre, d’essence : il agit, combat, lutte, mais n’est pas plus développé ; il sert le thème de l’épisode, et n’est accompagné de personne).

Je continue d’aimer Warren Ellis, mais je le sens plus partir vers des récits-concepts que des histoires au sens classique du terme, avec des personnages investis et « vivants ».

Après, concernant Captain Swing, j’avais bien aimé mais le récit m’a semblé court, un peu creux, qui tombe à plat à la fin. C’est en m’intéressant à tout le folklore anglais sur Spring-Heeled Jack que j’ai découvert la véritable épaisseur de l’intrigue, mais il faut une recherche personnelle pour le faire ; un peu dommage.

Je case la trilogie dans les « choses intermédiaires » avec toutefois une certaine hétérogénéité de niveau entre les trois. J’ai bien aimé le premier, un peu plus encore le second et nettement moins le troisième, contrairement à toi.

Jack, je te trouve bien dur avec Warren Ellis. C’est quand-même un mec qui a de vraies qualités d’écriture, avec une voix distincte dans le paysage comics. Certes, il a ses marottes qu’il aime réexplorer avec des angles d’attaque différents mais parfois redondants. Certes, comme beaucoup d’auteur prolifique, le niveau de ses productions varie. Mais ce qu’il fait n’est jamais inintéressant et, parfois, il sort un truc très fort. Ca le classe pour moi parmi les auteurs à suivre.

J’exècre No Hero de toute mon âme. C’est laid, grossier, vulgaire, bête et inutilement gore.
Je préfère largement Supergod, irrégulier mais bien plus intéressant et pertinent. Ellis essaye d’y raconter quelque chose, pas de choquer pour le seul plaisir de choquer.

D’Ellis, ce que j’aime le moins, c’est Down (cela dit, j’ai pas encore lu cette fameuse trilogie)

Bancale, la fin de Planetary ? Je trouve au contraire qu’elle boucle très bien plein de trucs (la récupération d’Ambrose, c’est complètement épatant, avec la théorie schrödingerienne derrière)

« Planetary », c’est mon boulot préféré d’Ellis et j’ai du mal à lui trouver le moindre défaut, tout au plus une frustration liée au fait que j’aurais aimé que ça dure plus longtemps…

Comme Franck, je trouve Jack! un peu sévère avec le père Warren Ellis.
C’est vrai qu’il produit trop, et que ses travaux finissent fatalement par tirer les uns vers les autres, à l’instar de ses persos tous plus ou moins « constantiniens » comme Alex l’avait expliqué en son temps.
Mais il reste un dialoguiste (c’est évidemment subjectif) hors-pair, et il balance du gros concept SF étayé comme peu de ses confrères en sont capables.
Dans les titres cités comme des purges, si je n’ai pas lu « Moon Knight » ou « Endless Wartime », ses « Secret Avengers » m’ont plutôt botté, très denses, virtuoses et funs…

Je parle surtout de la confrontation finale avec les Quatre, les grands méchants super vilains qui se partagent le monde et puis… Plouf !

Et puis les derniers numéros commencent à souffrir du Ellis en mode automatique: des épisodes qui brassent un maximum d’idées (toutes sorties d’un Science et Vie Jr.) sans les développer sur une intrigue assez peu palpitante (la découverte des origines de la « torche », les origines du Batteur, les re-origines des Quatre, etc…).

Mais j’ai un cœur tendre au fond. Bien au fond.

Ha ha !!
Si j’avoue trouver la pique très marrante, je ne peux souscrire à cette exagération. Ou alors il faut dire la même chose de Morrison, Milligan ou Moore, qui procèdent un peu de la même façon (prendre des concepts de science dure et les rendre intelligibles pour en faire du carburant à fictions).

« Sciences et Vie junior », m’enfin… :wink:

[quote=« Photonik »]Si j’avoue trouver la pique très marrante, je ne peux souscrire à cette exagération. Ou alors il faut dire la même chose de Morrison, Milligan ou Moore, qui procèdent un peu de la même façon (prendre des concepts de science dure et les rendre intelligibles pour en faire du carburant à fictions).

« Sciences et Vie junior », m’enfin… :wink:[/quote]

Oui, mais la différence avec Moore, Milligan et Morrison (surtout le premier), c’est que ce sont aussi des raconteurs d’histoires. Donc, chez Ellis, on retient seulement le brassage d’idées plutôt que l’intrigue faiblarde qui intègre des personnages interchangeables (et qui n’ont donc aucun intérêt immédiat).

Le problème avec Ellis, c’est qu’il enchaine automatiquement, même lorsqu’il écrit un livre (Machine Gun, quoi que sympa, entasse les poncifs pour offrir, au final, ni plus ni moins qu’un épisode des Experts à Londres). Il n’y a plus aucune ambition. Et chez un auteur aussi brillant que Warren Ellis, ça me dérange de lire des trucs comme Black Summer/No Hero/God « truc » où il fait du réchauffé.

Gun Machine (et non Machine Gun :wink: ) se passe à Londres ??? :open_mouth:

[quote=« Jack! »]qui intègre des personnages interchangeables (et qui n’ont donc aucun intérêt immédiat).
[/quote]

Si, ils ont un intérêt immédiat, c’est plutôt dans le cadre global de l’ensemble de l’œuvre d’Ellis qu’ils perdraient de leur intérêt.
Mais le mec qui tombe sur un truc récent de sa main, sans jamais en avoir lu les travaux antérieurs, il y a des chances qu’il trouve ça « cool » et « bad-ass ».
Ellis est sans doute conscient (un peu trop peut-être) que le lectorat se renouvelle et il compte un peu là-dessus, je sais pas…

[quote=« Jack! »]
God « truc » où il fait du réchauffé.[/quote]

Si je veux bien admettre que « Black Summer » a un côté réchauffé (le héros activiste et politique, proactif à la « The Authority », qu’il a lui-même consacré), « Supergod », avec son super-héros comme mélange d’arme de destruction massive et de divinité, même si ça peut faire penser à des trucs (au hasard « Watchmen »), vu la tonalité « humour à froid », ça m’a semblé plutôt frais, à moi.

Ça se passe à New York, mais l’écrivain est anglais. D’où l’allusion.