[quote=« Oncle Hermes »]C’est sûr que c’est un projet plus compliqué qu’il ne peut en avoir l’air.
Earth-2 n’est pas hors continuité. En revanche, la série appartient à une certaine période de la continuité (les « New 52 » / la « Renaissance » en V.F.) qui a depuis (l’an dernier, en V.O.) été dénoncée et partiellement invalidée comme une sorte de parenthèse artificiellement créée. Et comme son titre l’indique elle se passe sur une Terre parallèle à la Terre « principale » (qui… n’a pas toujours porté le même numéro). Et dans le cadre de cette « recréation » artificielle, cette Terre sert à accueillir de… euh… nouvelles versions… d’anciens héros… qui avant avaient été redéfinis comme « anciens » par rapport à d’autres pourtant de la même époque… parce que… Ahem… Mais si, c’est simple… 
Bon. Un peu de pédagogie.
Dans les grandes lignes, ce qu’il faut retenir, c’est que la continuité DC s’organise en grandes périodes qui basculent autour des titres Crisis on Infinite Earths (1985-86, écrit par Marv Wolfman et dessiné par George Perez) et Flashpoint (2011, écrit par Geoff Johns et dessiné par Andy Kubert). C’est pourquoi on parle de certains évènements en les qualifiant de « pré-Crisis », ou de « post-Flashpoint » (par exemple).
À partir de la fin des années 30 et du premier numéro d’Action Comics où apparaît Superman, DC et de nombreux autres éditeurs lancent tout un tas de séries et de (super-)héros. Certains d’entre eux vivent dans le même « univers partagé », ils se croisent et font équipe ; d’autres vivent des aventures totalement autonomes. Ça marche du tonnerre jusqu’à la fin de la guerre, puis le genre tombe un peu en désuétude. Dans la seconde moitié des années 50, DC relance la mode (c’est ce le début de ce qu’on appelle « l’âge d’argent », pour le démarquer de « l’âge d’or » précédent), et il procède notamment en fournissant des versions modernisées de héros préexistants. Ainsi pour Flash, qui n’est plus Jay Garrick mais Barry Allen, avec des pouvoirs comparables mais des origines différentes. Ainsi aussi pour Green Lantern, qui n’est plus Alan Scott, qui tirait ses pouvoirs d’une lanterne chinoise mystique, mais Hal Jordan, qui appartient à un ordre de simili-policiers intergalactiques tirant leurs pouvoirs des anneaux qu’ils portent. D’autres héros, en revanche, perdurent, comme Superman ou Batman.
Petit à petit, l’idée émerge que ces différentes aventures se déroulent sur des Terres parallèles, un « Multivers » - avec parfois des possibilités de rencontres, de passages d’un monde à l’autre (ces rencontres sont compilées dans le volume Crisis Compagnon d’Urban). Par exemple, il est établi que la Société de Justice, ou JSA (les personnages dont Earth-2 que tu as lu s’inspirera, comme Jay Garrick / Flash, Alan Scott / Green Lantern, Atom ou Dr Fate…), s’est développée dans un autre univers que celui de la Ligue de Justice. Mais on retrouve aussi certaines versions du « même » personnage iconique sur plusieurs Terres ! Au fil du temps, et au fil des rachats par DC d’autres éditeurs et donc d’autres personnages et d’autres univers, tout ça commence à faire un embrouillamini à l’aspect bien compliqué et c’est là qu’intervient Crisis On Infinite Earths, une histoire épique impliquant les différents mondes parallèles menacés par une entité appelée l’Anti-Monitor… et qui va justifier un grand coup de balai dans la continuité.
En effet, à l’issue de Crisis…, il n’y a plus qu’un seul univers dans lequel les différentes continuités ont été fondues en une seule, nouvelle. Pour rester sur le même exemple, la Société de Justice n’est plus issue d’une Terre parallèle mais du passé par rapport à l’actualité de l’éditeur : ce sont les héros qui étaient actifs autour de la Seconde Guerre Mondiale, par opposition aux héros d’ « aujourd’hui » dont on reprend l’histoire à zéro en la modernisant au passage : ainsi John Byrne « recommence » l’histoire de Superman avec Man of Steel, George Pérez celle de Wonder Woman avec Wonder Woman : Dieux et mortels, Frank Miller et David Mazuchelli redéfinissent les débuts de Batman dans Batman : Année Un. Leurs aventures précédemment publiées sont « effacées ». D’autres sont « révisées » : la longévité de Black Canary s’explique désormais par un passage de flambeau entre générations, entre Dinah Drake, la Black Canary époque JSA, et sa fille Laurel Lance qui lui succède à l’époque moderne. Quant au Flash Barry Allen, il est mort dans l’évènement et c’est son ancien sidekick Wally West qui, à son tour, reprend le titre.
Les années passent et les choses, inévitablement, se complexifient à nouveau (d’autant que le Multivers refait progressivement son apparition, principalement sous l’impulsion du scénariste Grant Morrison, d’abord avec JLA: L’Autre Terre puis avec 52 qu’il co-écrit avec Mark Waid, Geoff Johns et Greg Rucka). DC s’inquiète à nouveau que de potentiels nouveaux lecteurs soient rebutés par cette longue et complexe continuité et décident d’un nouveau ménage à l’occasion du récit Flashpoint. À l’issu de ce récit, l’univers et la continuité passée sont « réécrits » à nouveaux frais : c’est le début de l’ère « New 52 », ou « Renaissance ».
Il est cette fois établi que les super-héros sont apparus cinq ans avant, un « an zéro » qui a coïncidé avec une tentative d’invasion de plusieurs Terres parallèles par le Néo-Dieu maléfique Darkseid. Sur la Terre « principale », la « Terre 0 », cette attaque a fait sortir de l’ombre et se lier ensemble les membres de la Ligue de Justice (Superman, Batman, Wonder Woman, Aquaman, Flash -Barry Allen-, Green Lantern -Hal Jordan- et Cyborg), tandis que sur la « Terre 2 » leurs « équivalents » sont morts pour sauver le monde, d’où la naissance d’une nouvelle génération de héros… qui, bizarrement, correspond à l’ancienne JSA. (Ce qui fait que tous les héros de toutes les anciennes époques sont à présent… jeunes.)
Toutefois, cette fois le relooking extrême marche nettement moins bien. D’une part parce que la qualité n’est pas exactement au rendez-vous non plus (tout n’est certes pas mauvais… mais on chercherait en vain l’équivalent des récits devenus classiques de Byrne, Pérez et Miller/Mazuchelli que je citais plus haut). D’autre part parce qu’il s’avère plus difficile de faire table rase de la continuité précédente, plus cohérente que ce qui précédait Crisis et auquel, donc, de nombreux lecteurs restent attachés, de même qu’aux nombreux personnages qui la peuplaient (et il devient, par exemple, vite compliqué de justifier qu’en cinq ans de carrière de justicier, Batman a eu le temps d’entraîner quatre Robin successifs, dont son propre fils de onze ans conçu durant ladite carrière, et une Batgirl qui a été rendue paraplégique par le Joker mais va mieux depuis…).
En 2015, DC tente rien moins que de régler ça en faisant sauter le concept même de « continuité » dans son univers, avec Convergence et la nouvelle gamme « DCYOU » qui succède aux « New 52 ». Censée ouvrir sur la légitimation de « toutes les continuités possibles » en parallèle les unes des autres, l’affaire se révèle une catastrophe tant du fait d’une qualité perçue comme encore en baisse que du fait qu’il devient presque impossible pour les lecteurs de comprendre la logique de tout cela. Après un an, un nouvel évènement, Rebirth (dont les premiers titres commencent ce mois-ci à être traduits en VF par Urban), vient remettre de l’ordre dans tout ça.
Selon Rebirth, l’univers post-Flashpoint se révèle une fabrication artificielle par une entité supérieure encore officiellement à identifier (mais selon toute apparence le Dr. Manhattan de Watchmen… parce que… euh… parce que). Symboliquement marquée par le retour de Wally West, le Flash des années 90-2000 qui avait été sacrifié dans Flashpoint (comme Barry Allen l’avait été dans Crisis on Infinite Earths) pour être remplacé sans explication par un Barry Allen rajeuni, et par le retour du Superman pré-Flashpoint marié à Lois Lane (et désormais père de famille), les séries de la gamme Rebirth n’annulent pas les évènements des années précédentes mais affaiblissent le caractère de reboot radical de Flashpoint en replaçant les titres des gammes New 52 et DCYOU dans la continuité longue du DC post-Crisis. L’accueil, dans l’ensemble, est pour l’instant très positif.
J’espère que ce genre de panorama clarifiera un peu les choses pour Lasnico et d’autres éventuels néophytes passant par là. Dans un prochain post, tant qu’à faire puisque le topic est lancé et même si ça excède le « simple » objectif de ranger les livres (ou pas si simple, donc… et on n’a pas évoqué le cas des titres vraiment hors continuité), je tenterai de présenter une chronologie « interne » de l’univers DC. Mais ça demande du boulot même s’il ne s’agit « que » de synthétiser des choses qui ont déjà été faites par d’autres en anglais.[/quote]
Un grand merci pour ce retour qui est très explicite et permet de mieux comprendre son ensemble. Je vais m’acheter « Crisis on Infinite Earth ». Toujours pas lu alors qu’il semble être un indispensable. Merci d’avoir pris le temps clarifier les choses.
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