COMICS : SEXE, RÉVÉLATIONS ET TWITTOS

Je pense que c’est également un facteur qui amplifie la portée de l’affaire.
Nous faisons face depuis quelques mois, années à une libération bienvenue et salutaire de la parole. Les choses se disent, plus ; et elles sont écoutées, enfin.
C’est formidable, et j’en suis ravi, soulagé.
La difficulté, c’est qu’après tant d’années de silence, tant de dégâts, tant de souffrances, tant de conséquences dramatiques, on peut aussi avoir le réflexe, l’envie, l’instinct de « sur-réagir » dès qu’un événement, une révélation se présentent. Déjà, parce que ça peut le justifier, parce que nos « tripes » le demandent, mais aussi peut-être pour « compenser » le silence sur les affaires antérieures. Ou notre lâcheté, pour n’avoir pas réagi quand la parole était moins claire, fluide.

Maintenant, les réseaux sociaux, l’époque, le XXIe siècle, la société ultra-individualiste, qui veut tout tout de suite… ben c’est en inadéquation totale avec le temps de la justice, par principe long car plein de précautions.
La population confond maintenant « morale » et « justice », notamment parce qu’ils considèrent que la justice doit être « juste »… alors qu’elle doit appliquer correctement le droit, qui n’est pas forcément « juste ».

Quoi qu’il ressorte des affaires Stewart et Ellis, les témoignages des victimes actent clairement, pour moi, que les comportements des deux auteurs ont été abjects, terribles et immoraux.
Maintenant, l’illégalité de ces comportements n’est pas encore établie selon les règles de notre société. Elle ne le sera peut-être jamais ; mais Stewart et Ellis sont déjà, eux, condamnés par les jugements moraux des réseaux sociaux. Quitte à ne plus se soucier des « détails de la procédure »…

(je maintiens cependant que je considère que les femmes qui témoignent sont bien des victimes, et que la multiplication rapide de témoignages concordants me confirme que cela a bien eu lieu, hélas)

La morale, c’est pas si simple à définir.
La morale d’un punk anglais revendiqué comme telle est-elle la même que celle d’un Texan aficionado des armes à feu ? Et d’un bobo parisien vegan ?
Laquelle est la bonne ?

La mienne.

~___^

Tori.

C’est là tout le problème, oui.

Tant que c’est de la bonne … tu fais tourner ?

Pas que, puisque le jugement moral d’internet à permis de bloquer pendant un temps la carrière des deux auteurs (le laps de temps dépendra de l’ampleur du truc). Mais pour le moment ellis à vu une de ses histoires annulée et Stewart est lui simplement sans boulot.

Et autre sujet, mais qui rejoint un peu ta remarque : je viens de voir qu’Hachette va publier le prochain bouquin de Mme Harry Potter, mais certains des employés boycottent puisqu’on lui prête des propos transphobe sur twitter (j’ai essayé de comprendre les allusions, mais même avec les traductions, je ne comprends pas la finesse de l’ironie)

Et cette morale est définie par l’expérience, qui façonne également la grille de lecture. L’historien Pascal Blanchard, spécialiste de la colonisation, explique avec clarté que les Français, les Pieds-noirs et les Algériens / Tunisiens / Marocains n’ont pas la même mémoire donc pas la même histoire de la décolonisation. De là, ils n’ont pas la même grille de lecture et donc pas la même morale.
Et ceci est valable aussi en termes de génération. À propos là encore de la décolonisation, il explique avec évidence que des gens comme Mitterrand ou Chirac, qui ont connu l’empire colonial, n’étaient guère pressé de jeter la lumière dessus. Et j’ajouterais : pas seulement parce qu’ils avaient été partie prenante et qu’ils ne voulaient pas remuer la boue de crainte de se faire éclabousser, mais aussi parce que cela correspondait à un code, des mœurs et une morale qui étaient ceux de leur monde. Mais pas celui des générations suivantes, qui jettent donc un regard différents sur tout ça.
Le schéma s’applique sur tout : le racisme, la sexualité, etc.

Jim

Déjà tu lis des comics et puis tu nous parles…

Il a sa morale de classe qu’il nappe d’une bonne dose d’humanisme sirupeux pour faire la leçon aux prolos.

Certes et au nom de quoi on prive une personne de ressources sans jugement.
Et après, on va stopper les rééditions et les réassorts de leurs œuvres parce que l’ordre moral a parlé ?

Nous y sommes, prochaine étape, l’autodafé.

D’autant que les partis indépendantistes n’ont pas donné naissance à des sociétés harmonieuses et égalitaires - mais c’est plus commode de rejeter la faute sur les colons… Sauf que plus d’un demi-siècle après, ça n’explique pas tout.
Quant au regard sur l’histoire… Historien, c’est un métier. Quand De Marenches a décidé le black-out sur les archives de l’Occupation, il a expliqué que c’était pour éviter de déclencher une guerre civile. Les événements actuels tendraient à lui donner raison.

Et la langue a son rôle également… Quand on parle des Noirs américains, on a tendance à dire « Afro-américains », alors qu’il ne nous viendrait pas à l’idée de parler d’« Afro-français » pour désigner les Noirs français (alors qu’en moyenne, je pense que l’émigration du continent africain s’est faite plus récemment pour les Français que pour les Américains, en plus (DOM-TOM exceptés))…

Bon, de là à utiliser l’écriture inclusive, il y a un grand pas, cela dit.

Tori.

Ce qui, quand la force de l’habitude l’emporte sur la logique, peut produire des effets cocasses, comme, il y a quelques années aux J.O., ce journaliste américain qui n’arrêtait pas de qualifier l’athlète noir britannique qu’il interviewait « d’athlète afro-américain »… :crazy_face:

Sur ce dernier point, notons qu’une fois de plus, c’est une expression importée (en bons colonisés culturels que nous sommes). Et que d’ailleurs, en Amérique, ils ont progressivement préféré l’expression « African-American », sous le prétexte que « afro » impliquerait qu’ils aient une sorte de double identité (sans compter que certaines voix expriment le risque d’une confusion avec la coiffure dite afro). Du coup, si j’ai bien compris, « Afro-American » serait connoté injurieux, mais pas « African-American ».
De mon regard de républicain laïc français, j’y vois la survivance voire l’affichage de signes distinctifs qui, à mon sens là encore, ne font qu’entretenir les ressentiments, alors que, idéalement, ce sont tous des Américains. Mais ce genre de glissement et de confusion est observable en France aussi, notamment dans des contextes de violence (émeutes, terrorisme…), où l’on parle facilement, parfois sans avoir d’information précise sur sa nationalité, d’un « maghrébin », d’un « africain », d’un « roumain », d’un « polonais », et non d’un « Français » ou, tout simplement, d’un « prévenu ». En revanche, les victimes, elles, sont souvent d’une origine particulière : « d’origine maghrébine », « d’origine polonaise »… voire parfois « d’origine française », comble de l’absurde.

Le problème, dans le cas de l’écriture inclusive, c’est que ses défenseurs ont surtout mis en avant les aspects graphiques, en plus dans leur formulation la plus illisible (préférant « prêt.e.s » à « prêt(e)s », par exemple), mais j’ai bien l’impression que la réflexion sur la logique grammaticale est un peu laissée de côté.
Par exemple, l’écriture inclusive propose de revenir sur l’accord des adjectifs, en ressortant la règle de l’accord par proximité (par exemple, on dirait « les femmes et les hommes sont beaux », mais aussi « les hommes et les femmes sont belles »). C’est un truc que Vaugelas avait souligné, en remarquant que la langue évoluait quelque part entre la raison et l’usage (il donnait un exemple connu : Quelqu’un dit « je suis enrhumé », et une femme lui répond « je la suis aussi ». Pour Vaugelas, c’est fautif, mais il admet que si l’usage le fait, on peut alors l’accepter… d’autant que l’usage peut imposer de nouvelles règles avec le temps).

Là encore, le rapport entre la langue, l’histoire et la perception du monde est limpide : le français ne connaît pas le neutre, grammaticalement parlant (« on » n’est pas un neutre, c’est un indéfini, ce qui n’est pas la même chose), contrairement à d’autres langues, l’anglais étant l’exemple le plus connu, mais on peut aussi citer l’allemand, par exemple. Dès lors, la grammaire appréhende le monde en termes de masculin / féminin (donc en termes de genres, un comble dans un pays où les études de genre sont niées… mais ça, c’est un effet collatéral de notre pensée républicaine), ce qui impacte sur la manière qu’ont les Français (et sans doute les francophones dans le monde entier) de percevoir les réalités du monde, dont les rapports hommes / femmes.
Si la langue française avait le neutre (l’équivalent du « it » anglais ou du « das » allemand), il est fort possible que le locuteur français aurait une tournure d’esprit plus souple quand il s’agit d’aborder le rapport à l’identité sexuelle et à l’égalité des sexes, puisqu’il aurait le cadre linguistique adéquat.
Cela peut donc éclairer, en partie du moins, les difficultés psycho-sociales que ces sujets rencontrent en France. Et l’absurdité de faire rentrer au chausse-pied des modifications grammaticales qui n’apparaissent que pour ce qu’elles sont : des prothèses encombrantes.

Magnifique.

Jim

C’est un problème je suis d’accord avec toi.
Pour le après tout dépendra de l’ampleur de l’affaire, mais c’est une possibilité. Je suis actuellement le catch (marrez-vous) et la même affaire se produit en même temps et il y a une dizaine de mec qui viennent de se retrouver au chômage du jour au lendemain (attention je ne dis pas que les mecs sont sans fautes, c’est surement loin d’être le cas, mais il n’y a ni procès, ni jugement ni rien et les mecs sont blacklistés et viré).

D’ailleurs je fais un rapide HS, les 10 petits negre va changer de titre en français suite à une demande des ayants droits. Le livre comme la BD qui va sortir très bientôt.

… Sachant, pour préciser le contexte, que si la plupart des traductions dans des langues européennes sont conformes au titre original anglais Ten Little Niggers de novembre 1939, celui-ci a été changé dès l’édition américaine de janvier 1940 en And Then There Were None (le dernier vers de la chanson), car c’était déjà perçu comme problématique. Les deux titres ont été utilisés « en concurrence » jusque dans les années 70 (avec également la variante Ten Little Indians entre les années 60 et 80), et c’est And Then There Were None qui s’est définitivement imposé depuis 35 ans.

Merci pour toutes ces infos, je ne savais pas que le titre original avait été modifié aussi rapidement.
Il y a 2 ou 3 jours, j’ai vu par hasard que le titre français allait être changé. Je voulais aller à la pêche aux infos mais je n’avais pas encore pris le temps…