[quote=« Tori »]Merci à vous deux, c’est plus clair dans mon esprit !
Tori.[/quote]
Tiens, éventuellement, tu peux lire ce post que j’avais laissé chez Buzz il y a quelques temps, ça peut t’éclairer sur une petite partie des enjeux de la traduction BD. Ça parle plus de calibrage que de culture, de références et de bilinguisme, mais ça évoque quand même les premières problématiques auxquelles on est confronté quand on commence.
[quote=« Jim Lainé chez Buzz »]
[quote=« PSYCHO PIRATE »]Souvent je repense a cette trad avec ces moyenâgeux qui parlaient de « milliardaires » et de plusieurs autres anachronismes du même type. 15 après je suis toujours autant émerveillé par tous ces raccourcis foireux.
La version Garth Ennis :
http://img201.imageshack.us/img201/1443/29614161.jpg[/quote]
La version Semic :
http://img13.imageshack.us/img13/4231/89757182.jpg
L’exemple que tu cites est intéressant, parce que, comme tu le soulignes, elle date d’une bonne quinzaine d’années. À cette époque, le lettrage informatique commence à se généraliser (petit à petit). Mais pas partout.
Et ceux qui le pratiquent sont des gens qui d’ordinaire travaillent selon des méthodes plus traditionnelles.
Qu’est-ce que cela induit ? Tout simplement un problème d’encombrement.
L’encombrement (de la bulle) est la notion clé du pan technique de la traduction de comics. Grosso modo, on part avec l’idée que l’on ne peut pas toucher à la bulle (il y a quinze ans, c’était le cas, les éditeurs US fournissaient des films, pas des fichiers informatiques, donc on était sûr de ne pas pouvoir retoucher les bulles… ou alors au prix de manipulations périlleuses et d’un temps fou…). Donc il faut faire rentrer la VF dans la place que prend la VO, et vous savez tous (si si, ne faites pas les modestes…) que le français, pour dire la même chose que l’anglais, prend plus de place, bien souvent. Donc déjà, on risque d’y perdre.
À cette notion d’encombrement s’associe le passage d’un lettrage manuel ou mécanique à un lettrage informatique. Un lettrage manuel implique que l’on ne peut pas réduire le corps du caractère et sa graisse à loisir. On est coincé par le calibre de l’outil (feutre, stylo, plume, pinceau…) et par l’écriture du lettreur.
Donc, calibrage + lettrage manuel = perte dans la quantité d’information.
Or, dans la seconde moitié des années 90, on assiste à l’arrivée non seulement de la PAO pour les pages rédactionnelles, mais aussi du lettrage informatique. Qui offre de plus grandes possibilités (plus facile d’appliquer graisses, italiques et autres enrichissements, de changer de police - pour utiliser du gothique ou autres - ou de réduire le corps de caractère).
Oui, mais d’une part, faut apprendre à maîtriser l’outil (qui, en 1995 ou 1998, était de fait moins performant qu’aujourd’hui), et faut ensuite changer un peu les habitudes de travail.
Or, ces habitudes de travail consistaient pour l’essentiel à trouver des formules plus courtes et plus elliptiques pour rentrer dans les bulles, dans le cadre d’un lettrage manuel. Une fois passé à l’informatique, les habitudes perduraient quand même, ce qui est normal, ma foi.
D’où cet effet un peu pauvre.
Deux anecdotes :
- quand j’ai commencé comme responsable éditorial chez Semic mi-1999, j’ai beaucoup discuté avec les traducteurs. Parmi eux, on avait quelques nouveaux (Alex Nikolavitch a été sans doute le premier de la nouvelle vague, puis Jérôme Wicky, Edmond Tourriol et d’autres…) et on avait des anciens, qui bossaient avec Semic et Panini depuis longtemps. Et avec eux, on s’est aperçu en fait qu’ils fonctionnaient parfois sur des réflexes explicables dans une perspective de lettrage manuel. Donc une partie de mon boulot a été de les encourager à « remettre de la viande autour de l’os », et à traduire plus précisément et plus copieusement, parce que l’outil informatique nous redonnait de la place dans les bulles. Ce que les traducteurs ne savaient pas obligatoirement parce que le lettrage n’est pas leur partie.
- ma première traduction officielle, ce sont les pages des deux séquences « bonus » de Kingdom Come, celle avec Orion et l’épilogue au Planet Krypton. Ces deux segments furent publiés dans l’édition Semic Books de la série, qui a été l’un des premiers comics en album sortis par Semic en 2000. Comme c’était quelques pages, et qu’on voulait minimiser les frais, on a traduit en interne et j’ai saisi cette occasion pour voir la traduction de l’intérieur. Donc j’ai traduit ces pages (douze pages au total, ça m’a épuisé, je découvrais les pièges de l’exercice). Et j’étais tellement obsédé par la crainte de faire trop long que, parfois, au contraire, je faisais trop court. Ça a demandé du temps pour « régler les instruments », vraiment.
Donc, tu le vois, si tu additionnes une évolution technologique, des habitudes à changer, des consignes qui évoluent et une crainte (fondée) d’exploser le calibrage des bulles, ça peut expliquer qu’on trouve des traductions elliptiques.
(Ce qui ne vaudra jamais la VF de Kingdom Come sortie en kiosque il y a une quinzaine d’années, justement…)
Maintenant, je crois que tout le monde s’est plus ou moins calé. C’est rare qu’on trouve des problèmes de calibrage, ou des comics lettrés en version microscopique.
Qui plus est, désormais, les fichiers informatiques ont remplacé les films d’impression, et souvent les éditeurs US fournissent des fichiers où les bulles sont séparées, ce qui permet des retouches plus précises.
Ça aide.[/quote]
Jim