Donc, si je comprends bien, c’est Matt Murdock qui revient voir Stick dans sa cabane au fond des bois. Mais Stick a été descendu par Bullseye, et Murdock est super vénère. Alors il tue Bullseye et plante sa tête sur une pique en guise d’avertissement. Sauf que le Kingpin, lui aussi, il est méga vénère qu’on lui ait flingué son flingueur, alors il envoie d’autres tueurs. Mais Murdock, vénère de chez vénère, les abat tous. Ensuite, il saute sur les toits de la ville, il fait des cabrioles, les tueurs tirent dans le vide, Murdock les chope tous, et à la fin, il affronte le Kingpin, qui est plus grand que lui et qui lui flanque une dérouillée, mais bon, Murdock, quand il est vénère, ça suffit pas, et donc ils se battent et ils cassent la baraque…même les baraques. Et à la fin, le Kingpin meurt, mais Murdock, il est blessé et il s’éteint aussi, conscient d’avoir vengé Stick.
Purée, il est vachement bien, le nouveau Sin City.
Hein ?
Quoi ?
On me dit dans l’oreillette que je mélange un peu tout !
Meuh non.
Plus sérieusement, je suis épaté.
J’avais raté la première édition, que je n’avais que feuilletée grâce à Blacki. J’ai sauté sur l’occasion quand Soleil a réédité le récit, cette fois agrémenté de couleurs (de teintes monochromes qui rajoutent, paradoxalement, à l’effet noir & blanc). Et c’est un régal.
Le récit est particulièrement prenant, et très lisible. Ce n’est pas si évident : un récit muet, d’accord, mais en général les auteurs qui se frottent à ce genre d’exercice utilisent une structure plus classique, en plaçant plusieurs cases dans la planche. Ici, chaque planche est une pleine page, une illustration unique, et c’est dans la succession des pages qu’on tourne que s’effectuent les champs / contre-champs et autres effets narratifs. Et ça n’a rien d’évident de parvenir à faire saisir les articulations narratives dans un tel schéma. Et Thierry Martin y parvient sans peine.
Si les tenants et les aboutissants ne sont pas évidents au départ, les interactions entre les personnages, et donc les enjeux découlant de ce qui vient de se passer quand le récit commence, éclairent tout.
Quant à la partie graphique, elle est étourdissante. C’est à la fois réaliste et caricatural, détaillé et simplifié, précis et brouillon. Assez dingue. Et si la gestuelle des personnages et le réalisme des affrontements m’évoquent un Samnee ou un Smallwood et leur inégalable justesse de trait, les faciès (surtout celui du héros…) empruntent d’une certaine manière à ce qu’on appelait « la Nouvelle Bande Dessinée », il y a vingt ans : je pense notamment à Blain, ou à Jouvray. Et bizarrement, cette école, ce n’est pas ma came, mais alors pas du tout (même si, sous cette appellation journalistique, le spectre est assez large et peut contenir des choses qui me charment, bien sûr…).
Du coup, en feuilletant cette réédition, je me suis interrogé sur la manière de définir cette « Nouvelle Bande Dessinée », et je me suis dit qu’une des clés d’entrée était peut-être Sempé. En effet, je vois dans le style du papa graphique du Petit Nicolas une sorte d’inspiration à cette école : son trait pas fini, son aspect presque brouillon, sa force d’évocation par l’absence de fignolage, son expressivité née de la suggestion, tout cela me semble se retrouver souvent chez Sfar, par exemple. Mais pas que. Un Sempé charbonneux, chargé d’encre et d’ombre, ça pourrait se rapprocher d’un Blain.
Et il y a dans Dernier Souffle des qualités comparables : la suggestion, la nervosité d’un trait qui ne recherche pas l’esthétique parfaite mais la force évocatrice. Comme s’il parvenait à marier deux tendances qui, dans ma grille de lecture personnelle, semblaient irréconciliables.
Bref, pour moi, c’est un sacré tour de force : tout ce que j’aime, avec des morceaux de choses que je n’aime pas, comme une recette dont le goût est rehaussé par des surprises au goût contradictoire.
Pour reprendre le mot qu’il utilise, quel « visionnage ».
Jim