Le cent cinquantième épisode de Justice League of America promet, sur sa couverture, le retour d’un ennemi classique de la Ligue, The Key.
Mais pour l’heure, les héros ne sont pas prêts à l’attaque d’un vieil adversaire. En effet, ils doivent lutter contre un nouveau venu, le Star-Tsar, dont ils viennent de découvrir l’identité secrète : Snapper Carr, leur ancien allié. Englehart emploie ici un stratagème qu’il réutilisera plus tard, notamment dans West Coast Avengers, à savoir la collision de plusieurs menaces. On se doute que tout est lié, comme souvent chez lui.
Dans l’épisode précédent, le scénariste avait montré un nouvel ennemi et expliqué le retour d’une vieille connaissance. Il joue alors sur un procédé classique, à savoir que l’identité secrète du nouveau venu ne peut que renvoyer vers l’individu qui n’a aucune raison d’être là (les lecteurs de Batman : Hush sauront de quoi je parle). Bien entendu, connaissant Englehart, ça ne sera pas aussi simple. Je dirais même plus, ça sera un brin tarabiscoté.
Les premières pages sont consacrées à la connexion avec l’épisode précédent, en commençant par le témoignage de Hawkman qui a vu le Star-Tsar s’enfuir à grande vitesse, prendre un débris sur la tête et se retrouvé assommé. À son réveil, Snapper n’a guère envie que les héros lui fassent la morale. La tension monte, d’autant que le Privateer manifeste sa méfiance envers le jeune homme qui a commis quelques bêtises dans sa jeunesse.
Mais à peine les discussions s’enveniment-elles que les sbires du Star-Tsar, les Star-Lords (et là, on imagine Englehart se moquer du personnage homonyme qu’il a créé deux ans plus tôt chez Marvel), passent à l’attaque.
Après l’assaut, les héros parviennent, grâce à Green Lantern, à remonter la piste énergétique de leurs agresseurs. C’est une Ligue au grand complet qu’Englehart met en scène, assemblant tous les membres qu’il a utilisés dans ses épisodes. Cette formation agrandie ne dure que quelques cases, certains reprenant leurs affaires courantes et laissant l’enquête à leurs camarades. Mais c’est une belle vision du casting qu’il a mis en scène.
Remontant la piste des Star-Lords, les héros sont attaqués par des clés volantes, et comprennent qu’ils ont affaire à un vieil ennemi : The Key. Le Privateer se lance à l’assaut, mais les Justiciers sont kidnappés par leur adversaire.
L’autre moitié de l’équipe enquête sur Snapper Carr et retrouve la sœur de celui-ci, qui leur explique la lente dépression dans laquelle il est tombé après avoir quitté l’équipe. Mais ils sont alors attaqué par le Star-Tsar. Le combat dure peu de temps et ils partent ensuite retrouver leurs camarades sur la côte. C’est là qu’ils découvrent, en s’approchant de l’antre de Key, qu’il n’y a pas qu’un seul Star-Tsar. Ils sont donc plusieurs, l’un d’eux apparaissant même dans le Bureau Ovale de la Maison Blanche, face au Président Jimmy Carter.
Dans les sous-sols du méchant, les héros sont prisonniers et ont droit à une explication, retraçant le parcours de Snapper, sa rencontre avec Key, qui lui confie l’identité du Star-Tsar, puis sa tentative, après avoir repris ses esprits, d’attirer les Justiciers dans l’antre du vilain.
Après s’être libérés, les héros se lancent à la poursuite du Star-Tsar surnuméraire, et découvre qu’il ne s’agit pas d’un homme déguisé, mais d’un automate abritant le corps atrophié de Key, qui a échappé à la maladie mais a subi une triste métamorphose. L’énigme du Star-Tsar semble expliquée : Snapper Carr était sous le contrôle de Key. Mais il reste un mystère (et les lecteurs ont bien compté trois Star-Tsar). En effet, le cerveau électronique de Red Tornado a gardé en mémoire le nombre de héros prisonniers… qui étaient moins nombreux que les héros désormais libres. Il en compte un de plus, et celui-ci… est le Privateer.
En fait, Mark Shaw n’a jamais échappé à son endoctrinement de Manhunter, et il a tenté de prendre le contrôle du monde en trompant les héros et en recueillant de l’information sur le monde criminel via Key. Mais son plan n’avait pas prévu le retour de Red Tornado (ramené récemment à la faveur d’un voyage dans l’au-delà) et de son cerveau analytique.
Ce dernier épisode a peut-être un petit goût de précipité, mais il se conclut par un texte de la rédaction souhaitant à Englehart bon vent pour ses aventures littéraires, signe que la prestation se conclut selon les volontés de tout le monde et dans les meilleurs termes. Ce qui, au demeurant, n’est pas arrivé si souvent dans la carrière d’Englehart (à part ici et Detective Comics, j’ai bien l’impression qu’il n’y a que sur Silver Surfer qu’il a pu apporter une conclusion satisfaisante à ses différents chantiers).
Le bilan laissé sur Justice League of America est plutôt bon, à mes yeux. Il y a une touche frappadingue assez séduisante, avec des ennemis étonnants, anciens comme nouveaux, un parfum qui m’évoque ses West Coast Avengers. Il a créé de nouveaux personnages, à l’exemple des Manhunters, qui ont depuis connu une belle carrière, ou du Construct, à la carrière plus modeste mais à la grande modernité. Il a remis sur le devant une version du Manhunter, tout en complexifiant les origines du groupe. Il a contribué à maintenir présente et vivante Wonder Woman sur Terre-1, à une époque où la série de l’héroïne se déroule sur Terre-2, devenant de facto le scénariste de l’héroïne. Il a joué sur la continuité sans l’altérer, et ramené un héros dans le groupe. Et finalement, il a livré des scripts généreux non seulement à cause de la pagination des épisodes, mais aussi grâce à la richesse des idées et des propositions. Étonnamment, cette période demeure inédite en France, et à mes yeux mérite une redécouverte.
Dès Justice League of America, il est remplacé par Gerry Conway, qui entame à cette occasion une longue prestation durant laquelle il signera la fameuse intrigue avec Doctor Light qui inspirera Identity Crisis, le retour de Darkseid, plusieurs rocambolesques entrevues avec la Justice Society, ou encore le déménagement à Detroit. Mais Englehart aura montré qu’on peut rompre avec les codes imposés depuis quelques années, animer des personnages qui se posent des questions, et bousculer les structure narratives vieillissantes.
Jim