Je me demande ce qu’un Fredric Wertham ou un Gershon Legman ont pu penser, s’ils l’ont lu, de Superboy #78, et surtout de la première histoire, « Claire Kent, Alias Super-Sister ». D’ailleurs, toujours dans la perspective d’un potentiel amusement, je serais curieux de savoir ce que les spécialistes des études de genre pourraient en dire.
« Claire Kent, Alias Super-Sister » ouvre le sommaire de Superboy #78, daté de janvier 1960 (paru le 19 novembre 1959), donc après l’arrivée de Supergirl. La rédaction a longtemps été hantée par l’idée d’une « Superman en jupons », et on aurait pu croire que son arrivée dans le mythe supermanien ait calmé les esprits en ébullition, mais cette histoire démontre qu’il n’en est rien. Quand Mort Weisinger a une idée en tête…
Sous une de ces couvertures quasiment ligne claire, limite blake-&-mortimeriennes (avec ces parents Kent qui représentent sans doute ce qu’était la bogossitude quinqua des années cinquante), dont Curt Swan et Stan Kaye ont le secret, le romancier de science-fiction Otto Binder et le dessinateur John Sikela ouvrent leur récit avec une vision étonnante : la Super-Sœur fait le ménage chez Ma Kent.
Tout commence quand Superboy, donc Clark Kent adolescent, sauve l’occupante d’une soucoupe volante d’un crash certain. Mais en son for intérieur, il émet quelques pensées sexistes sur les femmes et la conduite que Shar-La, ressortissante télépathe d’un monde dominé par les femmes (quelle idée !), n’apprécie guère. Fâchée, elle laisse entendre au jeune homme qu’il devrait réfléchir un peu avant d’exprimer de telles idées.
La matriarche reprend le chemin de son monde natal, laissant Superboy transformé… en fille. Voilà qui n’arrange pas les affaires du jeune macho, mais Ma Kent s’accommode très bien de la situation, elle qui a toujours rêvé d’avoir une fille. Et la retraitée de s’empresser de faire quelques emplettes pour habiller son enfant.
Arrive Lana Lang. Ma Kent invente une histoire, prétendant que Clark est parti voir de lointains cousins, en échange de quoi Claire est venue ici rendre visite à sa famille du Kansas. Ravie d’avoir une nouvelle amie, Lana propose à celle-ci de cuisiner. Cuisiner ? Pouah, c’est un truc de filles ! Heureusement, une alerte survient, un avertissement inexplicable confirmé par une alerte radio.
Si la Super-Sœur sauve une acrobate de foire, elle se rend compte que la foule ne la tient pas en aussi haute estime que Superboy. Dans le corps de Claire, Clark jure de démontrer aux spectateurs qu’ils ont tort. En même temps apparaît une nouvelle idée dans le récit…
… En effet, en changeant Clark en Claire, Shar-La l’a dotée d’une… super intuition féminine. Vertigineux. Si le but de l’histoire est de faire prendre conscience de la condition féminine à un personnage masculin (et aux lecteurs), c’est un peu raté. Mais Binder présente quelques qualités dans son script farfelu, notamment en montrant que Lana ne change pas d’habitude et cherche à démontrer, comme elle le faisait pour Clark, que Claire est bien la Fille d’Acier.
Fille d’Acier qui se retrouve bientôt à devoir mener quelques actions de sauvetage, devant d’abord sauver une jeune fille d’une chute mortelle dans un volcan, puis une plongeuse se livrant à des spectacles marins.
Dans les deux cas, le danger qui menace les deux femmes est lié à leur statut dans la société et au mépris manifesté par des hommes. Ce n’est pas dit aussi clairement, bien entendu, si ce n’est dans une réplique de Superboy à la toute fin de l’histoire, mais c’est ce qui est entendu, fort maladroitement certes, mais avec volonté.
À la dernière page, Superboy se réveille soudain. Tout ceci n’était qu’un cauchemar, une vision mentale projetée par Shar-La qui, rappelons-le, est télépathe. Ayant observé les choix de Clark-Claire, elle a pardonné à ce dernier, voyant derrière ses propos et pensées superficiels un altruisme qui l’emporte. L’écriture un brin foutraque de cet épisode, qui ne sait pas tellement sur quel pied danser et comment établir un discours féministe pas encore formalisé, casse un peu les efforts de l’intention d’origine, pour un résultat bien nawak.
Le reste du sommaire propose une histoire racontant les origines du super-costume du bambin d’acier, également dessinée par John Sikela (le scénariste n’est pas identifié sur la Grand Comic Database), et un épisode racontant la première rencontre entre Superboy et Mxyzptlk, lui aussi adolescent apprend-on.
« The Ghost of Jor-El », qui fait aussi la couverture, est une histoire écrite par Jerry Siegel et dessinée par George Papp. On y découvre un Mxyzptlk qui insupporte même ses parents, et qui tente de faire craquer le Garçon d’Acier en faisant apparaître le fantôme de son père biologique. L’histoire se conclut comme souvent par une astuce retorse déployée par Clark afin de renvoyer le nabot dans sa dimension, et par une explication complémentaire selon laquelle les parents ont envoyé un message au héros afin qu’il leur réexpédie leur insupportable rejeton.
Il y a dans les comics Superman des années cinquante et soixante quelque chose de l’ordre du test des limites. À raison de deux ou trois histoires par numéro, les auteurs poussent assez loin les postulats de base, sachant par ailleurs que, justement, à la fin de l’épisode, tout redevient comme avant. Ça donne des lectures un brin WTF, quand même !
Jim