FANTASTIC FOUR : les grands moments

En attendant le retour à plus ou moins brève échéance de la série par le biais d’un hypothétique sixième volume, et puisque cette fin de mois d’août marque le centenaire de la naissance de Jack Kirby, le moment me paraît opportun pour consacrer un thread à ce titre majeur de l’univers Marvel moderne et véritable pierre angulaire de l’univers partagé de la maison des idées.

Même si ce n’est que temporaire, l’arrêt du titre depuis près de deux ans n’en reste pas moins un triste sort pour celle qui fut autrefois la série incontournable de l’éditeur pendant une bonne décennie, avec un premier volume majoritairement constitué de bons runs (même si la période DeFalco ne fait pas l’unanimité, et que le cycle de Moench n’est décidément pas de son propre aveu ce qu’il a fait de mieux dans sa carrière), pour finir par se faire surclasser en terme de ventes par les X-Men et les Vengeurs. C’est sans doute là le symptôme d’une nette baisse de popularité, probablement liée en partie à la qualité en dents de scie de la série depuis Heroes Reborn, sans oublier les quatre longs-métrages, qui n’ont jamais véritablement rendu justice au matériau d’origine (pour cela il vaut mieux privilégier Les Indestructibles).

Le choix d’une équipe créative all-star semble être le recours le plus viable pour requinquer une équipe qui mérite d’être relancée en grandes pompes, et il ne reste plus alors qu’à les ramener de manière durable, à la manière de Thor durant l’ère post-Civil War. Pour l’heure ce n’est pas encore le cas (bien que le retour du titre Marvel Two-in-One constitue déjà un pas dans la bonne direction), et le meilleur moyen de lire de bonnes histoires des Quatre Fantastiques reste encore de jeter un oeil dans le rétroviseur, et ça tombe bien car les arcs et les runs mémorables ne manquent pas. Mais d’abord un retour en arrière s’impose…

Lorsque le jeune Stanley Lieber débarque dans l’entreprise Timely Publications de Martin Goodman au début des années 40, il est très vite amené à collaborer avec le prolifique duo formé par Joe Simon et Jack Kirby, et tout d’abord en tant qu’assistant. Après plusieurs numéros de Captain America, les rapports de cette équipe créative avec Martin Goodman se dégradent pour une question de rémunération, et le duo en sera quitte pour voir si l’herbe est plus verte ailleurs en produisant d’autres projets dans le dos de l’editor. Après avoir mis Lee dans la confidence, l’information fuite et Goodman ne tarde pas à virer les créateurs de Cap. Kirby restera persuadé de l’implication de Lee dans cette affaire, ce qui explique peut-être en partie sa réticence dans les années qui suivirent à revenir chez Timely/Atlas.

Au sortir de la seconde guerre mondiale, le genre super-héroïque s’essouffle et montre des signes de perte de vitesse, poussant les créatifs à se reporter sur d’autres genres, comme les romance comics (dont Simon et Kirby sont les initiateurs en 1947) les récits policiers, le « teen humor », les funny animals , le western ou encore les histoires d’horreur par le biais des fameux EC comics de William Gaines.

Pendant la première moitié des années 50, Goodman et Lee vont tenter de relancer sans succès leurs super-héros maison avec le retour du trio phare du Golden Age (Cap/Namor/Human Torch). Le retour en grâce escompté n’a pas lieu, et Lee est bon pour remettre les personnages au placard. Par la suite, il préfèrera jouer la carte de la sécurité ; ainsi avant de ramener Captain America dans les pages d’Avengers, il tâtera le terrain dans le numéro 114 de Strange Tales avec un imposteur sous le costume pour tester les retours favorables ou non des lecteurs.

La croisade de Fredric Wertham envers le médium a une grande incidence sur la carrière de bon nombre de créatifs, et en particulier Simon & Kirby qui se séparent en 1955, avec l’échec cuisant de l’éphémère Mainline Publications. Le King se résigne finalement à bosser brièvement chez Atlas sur des épisodes de Yellow Claw avant de retourner chez DC.

Lee produit les séries restantes en se montrant conforme au crédo opportuniste de Goodman, à savoir répondre à la demande jusqu’à ce que l’intérêt se tarisse, en capitalisant sans vergogne sur toutes les tendances, quitte à regarder ouvertement par dessus l’épaule de la concurrence.
Duran cette période, Lee poursuit son travail de scénariste et d’editor aux côtés du prolifique Joe Maneely, devenu au fil du temps son collaborateur favori, et cela jusqu’à sa mort accidentelle à la fin des années 50. Il ne fait nul doute que si celui-ci n’avait pas eu cet accident, il aurait eu un rôle important à jouer dans la création des séries phares de la décennie suivante.

En ce qui concerne la maison d’édition de Goodman, la situation ne s’arrange pas non plus, car en 1956, sous l’impulsion du conseil mal avisé d’un certain Monroe Froelich, celui-ci a opté pour un contrat avec la American News Company. Ce choix s’est avéré désastreux sur le long terme, car après le démantèlement de cette société de distribution en 1957, Goodman n’a d’autre choix que de se tourner vers Independent News, filiale liée à DC comics, afin de trouver un nouveau distributeur. Pour une durée de dix ans, la boîte de Goodman se retrouve donc sous la tutelle de DC avec un nombre de titres réduits (16 séries au total, avec une moitié de parutions bimensuelles).

Après avoir créé chez DC les Challengers of the Unknown, des proto-Fantastic Four avant l’heure sans les pouvoirs, et le comic strip Sky Masters encré par Wally Wood, Kirby se brouille avec Jack Schiff et se résout à retourner chez Atlas.
Pendant plusieurs mois, Lee écoule son stock plutôt conséquent d’histoires en réserve. Une fois cette phase terminée, celui-ci peut enfin se permettre d’embaucher à nouveau divers dessinateurs, et l’arrivée conjointe de Ditko et Kirby est une aubaine pour Lee, qui a bien besoin de dessinateurs productifs pour combler le vide laissé par la disparition de Joe Maneely.
Le besoin d’optimiser la productivité résulte dans la création de la célèbre méthode Marvel de Lee (bien éloignée du full script de DC), qui permet au dessinateur d’avoir un rôle encore plus important dans le processus créatif, quitte à devenir pour certains de véritables co-scénaristes (pour la plupart non crédités en tant que tel, pavant ainsi la voie à la controverse qui en découlera durant les décennies suivantes).

La Nouvelle impulsion donné au genre super-héroïque a lieu quelques années plus tôt du côté de DC, plus précisément dans les pages de l’anthologie Showcase, avec l’arrivée historique du nouveau Flash, considérée comme l’acte de naissance du Silver Age (même si le bolide a toutefois été précédé par J’onn J’onzz le Martian Manhunter). Barry Allen est bientôt rejoint par le nouveau Green Lantern, dont les origines fermement ancrées dans le genre de la science-fiction sont en phase avec les autres séries de l’éditeur, pavant la voie au retour de ce type de personnages par le biais d’un autre genre plus porteur.

La création de la Justice League of America confirme le nouvel élan créatif de DC, et pousse Goodman à surfer sur cette tendance, en demandant à Lee de concocter une équipe qui soit en mesure de réitérer ce succès, sans pour autant être une copie trop voyante (vu la situation de la boîte de Goodman et son lien avec DC, il n’est alors pas dans son intérêt de s’attirer les foudres de Jack Liebowicz). En ce qui concerne la fameuse partie de golf, je me permet de mettre un lien vers l’enquête approfondie d’Artemus Dada sur le sujet (Enquête sur les Quatre Fantastiques).

L’approche d’Atlas n’est donc nécessairement pas la même, plutôt que de revitaliser les anciennes gloires (la tentative de 1953 s’étant de toute façon soldée par un échec), Lee privilégie en premier lieu la création de personnages neufs, mais néanmoins basés sur les recettes des périodes précédentes.
Il est alors impératif de concocter un nouveau succès, à un moment où les espoirs de la compagnie reposent sur deux quadras qui ont déjà bien roulé leur bosse dans l’industrie, et dont l’un des deux était alors prêt à démissionner (enfin selon la légende). Après le lancement d’une nouvelle version du Rawhide Kid, Lee et Kirby poursuivent leur collaboration avec un nouveau personnage qui ne fera pas long feu, en tout cas sous sa forme première. La formule adéquate n’est manifestement pas encore au point et les deux collaborateurs tâtonnent encore.

Le Dr Droom, plus connu aujourd’hui sous le nom de Dr Druid, n’a en effet pas beaucoup marqué les esprits en son temps (son plus haut fait de gloire se résume finalement à son intégration chez les Vengeurs de Roger Stern) à l’occasion de son apparition dans Amazing Adventures 1, où l’on retrouve une origine bien familière, celle de l’occidental qui voyage au Tibet pour y acquérir des capacités extraordinaires. Cette orientation est déjà annonciatrice mine de rien de ce qui sera fait par la suite avec le Docteur Strange de Ditko.

Lorsque le premier numéro paraît le 8 août 1961, les sujets abordés par le duo Lee/Kirby (la course à l’espace et son lien avec la guerre froide), font justement la une de l’actualité.
le 12 avril 1961, le soviétique Youri Gagarine a été le premier homme à avoir effectué un vol dans l’espace (il est probable que le scénario du premier numéro a été conçu peu après cette date), et durant cette semaine du 8 août, Guerman Titov a réitéré cette prouesse. Puisque les américains ont à ce moment-là été coiffés au poteau par les russes, Lee et Kirby vont faire en sorte que la situation soit bien différente dans le domaine de la fiction.
Le zeitgeist de ce début des années 60 joue donc un rôle déterminant dans la fonction de cette équipe, à mi-chemin entre la famille dysfonctionnelle et les explorateurs intrépides.
Alors que cette rivalité s’étend au programme spatial, une des motivations du groupe consiste logiquement à devancer les russes pour atteindre en premier la « Nouvelle Frontière ». Dès le début, le quatuor n’hésite pas à prendre des risques en contournant les règles, quitte à se retrouver brièvement dans une position de hors-la-loi.

Avant de s’occuper des FF, leur co-créateur avait déjà fait preuve d’un intérêt certain pour la thématique de l’exploration spatiale (Sky Masters, 3 Rocketeers). Tout au long de sa carrière, le king a montré qu’il avait de la suite dans les idées, et il n’était donc pas rare que celui-ci reformule un même concept dans diverses séries, jusqu’à ce que la sauce finisse par prendre pour de bon (comme en attestent les différentes versions de Thor, ainsi que les racines communes reliant les Asgardiens et les New Gods par rapport au Ragnarok).

Cette origin story en elle-même rappelle du coup celle des Challengers of the Unknown, une autre création de Kirby. Des tenues assorties en passant par le crash de leur avion, de même que leur rôle d’aventuriers ou encore le nombre de membres, les similitudes ne manquent pas. Dans le troisième numéro de leur propre série, un des membres de l’équipe des « Challs » (le diminutif utilisé par les fans) se retrouve même temporairement doté de pouvoirs semblables à ceux des FF suite à un voyage à bord d’une fusée. S’il y a une série DC qui cultive un ADN commun avec celle des FF, c’est bien celle-ci (là où les Vengeurs et les X-Men sont plutôt les équivalents respectifs de la JLA et de la Doom Patrol).

Les diverses sources d’inspirations qui ont présidés à la création du quatuor ne se limitent pas pour autant à la SF des années 50/60 et au contexte de la guerre froide, elle s’étendent au terreau qui a permis la naissance des premier super-héros, celui de la culture populaire de l’entre-deux-guerres.
Un certain nombre de similitudes laissent à penser que Lee et Kirby ont peut-être piochés certaines idées dans les Pulps d’antan, et notamment du côté du célèbre Doc Savage, ce héros à la fois scientifique brillant et aventurier baraqué (tout comme Reed Richards, décrit très justement par Slott dans « Spider-Island » comme un mix entre Indiana Jones et Albert Einstein), connu notamment pour être une des inspirations principales de Superman (le prénom « Clark » ainsi que le concept de la Forteresse de la Solitude viennent de là).
Les ressemblances troublantes ne se limitent uniquement pas à ce personnage, elle s’étendent également à sa propre équipe, surnommée les Fabulous Five (d’après la légende, Lee aurait envisagé d’appeler les FF les Fabulous Four avant de se raviser, Goodman trouvant le terme Fantastic Four plus accrocheur).
Ces deux équipes semblent en effet partager des archétypes communs (le costaud au physique simiesque, le leader cérébral) et une dynamique similaire entre certains personnages.

La relation conflictuelle entre Ham Brooks et Monk Mayfair n’est pas sans rappeler les chamailleries constantes de Ben Grimm et Johnny Storm, et les spécificités de certains ennemis de l’homme de bronze (Doctor Sunlight, King Dal Le Galbin) évoquent le statut de monarque européen et de savant fou du Dr. Fatalis. En outre, leur QG se situe au sommet d’un gratte-ciel new-yorkais (en l’occurence l’Empire State Building). Après avoir débuté à Central City (à ne pas confondre avec la ville natale de Flash), les FF finiront justement par rejoindre la grande pomme à partir du troisième numéro.

Il est intéressant de noter qu’en raison de la dépendance d’Atlas par rapport à DC sur le plan de la distribution, les contraintes de cette période ont eu une incidence sur la direction choisie.
Si la série s’éloigne dans un premier temps des codes du genre, c’est aussi une question de nécessité pour ne pas marcher de façon trop voyante sur les plates-bandes des DC, ce qui explique la raison pour laquelle, dans un premier temps, les FF sont dépourvus de costumes et d’identités secrètes.
Paradoxalement, le grand retour des super-héros chez Atlas se fait donc au départ en catimini (mais pas pour longtemps), par le biais d’un autre genre (les monster comics), et du coup, les FF n’ont intentionnellement pas grand chose en commun avec la JLA. Plutôt que de rentrer à nouveau de plein pied dans le genre super-héroïque, comme dans la première moitié des années 50, Stan Lee et ses collaborateurs y vont prudemment et pas à pas, en réinjectant peu à peu les codes usuels du genre au fur et à mesure que leur succès grandit.

Les premiers numéros de la série sont donc marqués par l’influence significative des monster comics (un bon moyen pour faciliter la transition et assurer ses arrières en cas d’échec). Entre les créatures de l’Homme-Taupe, les Skrulls et l’allure originelle (informe et moins rocailleuse) de Ben Grimm, les lecteurs des séries précédentes ne sont pas dépaysés.

La fameuse couverture du premier numéro est assez symptomatique, les héros y sont bien présents et utilisent leurs capacités, mais c’est la créature nommée Giganto qui se taille la part du lion. Le genre revient ainsi chez Atlas par la petite porte, imbriqué dans un autre.
La mue du titre s’opère toutefois assez rapidement à partir du troisième épisode, lorsque Kirby affuble les personnages de costumes assortis (semblables à ceux des Challengers) dont l’aspect utilitaire/fonctionnel (en raison de l’usage des Molécules instables) reflète leur rôle d’explorateurs et de scientifiques, là où habituellement ces costumes permettent surtout d’adopter une autre identité.
Comme en attestent les planches d’origine, Kirby avait au départ représenté Reed et Susan avec des masques (le domino, utilisé notamment par le Spirit d’Eisner), mais Lee a préféré rejeter cette idée, exception faite du casque de Grimm (repris plus tard par DeFalco).

En terme de pouvoirs, les prédécesseurs des FF dotés de caractéristiques analogues ne manquent pas, de la Torche humaine du Golden Age en passant par Plastic Man, sans oublier les monstres d’Atlas, dotés d’une apparence qui leur donnent une allure de lointains cousins germains de la Chose.
Toutefois le caractère novateur des personnages ne réside pas dans leurs capacités, mais plutôt dans la façon dont ils sont caractérisés, dans la manière qu’ils ont d’interagir entre eux et avec les autres, et dans la mise en avant de leurs faiblesses, afin de les rendre plus proches du commun des mortels que des héros quasiment irréprochables de la distinguée concurrence.

La dynamique familiale et conflictuelle des FF a été reprise à foison, parfois même par d’autres équipes de la maison des idées, ce qui semble être le cas de la composition des Vengeurs de 1965, avec un roster plus réduit, resté dans les mémoires en raison de l’intégration d’anciens criminels (Hawkeye, Scarlet Witch, Quicksilver) chaperonnés par Captain America.
À bien y regarder, les points communs semblent intentionnels, entre le leader charismatique et sérieux (Reed/Cap), la femme aux pouvoirs moins offensifs visuellement (Susan/Wanda), son frère impulsif (Johnny/Pietro), et la forte tête grande gueule habituée à contester les décisions du chef tout en se moquant de lui (Ben/Barton).

Stan Lee a incorporé dans l’intrigue une bonne dose de Soap opera avec le triangle amoureux formé par Reed, Susan et Namor (Ben Grimm éprouvait également des sentiments envers la grande soeur de Johnny, mais cette idée a été vite abandonnée dès lors que celui-ci a fait la rencontre d’Alicia Masters).

À leurs débuts, les FF passent autant de temps à se chamailler qu’à affronter leurs ennemis, les héros n’échappent pas aux problèmes de santé et d’ordre pécunier, et la découverte des pouvoirs est souvent plus de l’ordre du traumatisme que de la bénédiction.
Une nouvelle perspective s’ouvre alors au genre, enclenchant l’ère des monstres héroïques (déjà bien entamée avec les monster comics) et surtout des héros à problèmes, devenue depuis une composante indissociable des séries de la maison des idées. La révolution du genre est en marche, avec cette nouvelle génération de personnages plus intégrés au réel (ils opèrent pratiquement tous à New-York), mais pas réalistes pour autant (plus en phase en tout cas avec l’air du temps des 60’s).

La frontière entre les héros et leurs ennemis se fait plus poreuse, les vilains les plus réussis étant de potentiels héros qui ont fait un pas dans la mauvaise direction (certains peuvent éventuellement finir par se racheter comme Hawkeye ou la Veuve Noire). Leur héroïsme n’est pas toujours récompensé, puisque une partie d’entre eux endossent des rôles d’outsiders, victimes de leur condition et mal vus par une population qui ne les porte pas forcément aux nues.
Généralement, leurs aventures mettent l’accent sur leurs failles et leur vie de tous les jours ; pour la première fois la vie du héros dans le civil devient aussi primordiale que ses escapades sur les toits (du moins pour ceux dont les séries sont les plus axés sur le versant Soap opera), et en conséquence de quoi l’aspect feuilletonesque devient de plus en plus fréquent.

Après avoir atteint son rythme de croisière, le titre de la first family a vogué sur la voie d’un succès mérité, porté par une équipe créative en état de grâce, associant le ton et le style de dialogues utilisés par Lee sur ses oeuvres antérieures à l’imaginaire et à la démesure « bigger than life » typiques des séries de Kirby, pour aboutir à une apothéose visuelle et thématique, en particulier au moment du pic qualitatif atteint lors de la seconde moitié de la décennie, lorsque le titre est devenu encore plus innovant et ambitieux (au début de la période Sinnott).
Le temps de 102 numéros et 6 annuals, grâce à cette profusion phénoménale d’idées, de concepts et de personnages, le titre Fantastic Four s’est imposé définitivement comme la série matricielle de l’univers Marvel des années 60.

Fantastic Four vs. X-Men 1-4 par Chris Claremont et Jon Bogdanove (1986/87)

Durant la seconde moitié des années 80, alors que la tendance du Grim n’ Gritty s’impose de plus en plus, et tandis que les X-Men entrent dans une période assez sombre à l’issue du crossover « Mutant Massacre » (pour aboutir ensuite à la fameuse période australienne après « Fall of the Mutants »), Chris Claremont peut enfin se permettre d’utiliser la first family sans avoir à craindre des représailles de la part de John Byrne, son ancien collaborateur plutôt possessif et pas vraiment enclin à prêter ses personnages, en tout cas pas au scénariste des X-Men, comme le prouve la fois où celui-ci a utilisé le Docteur Fatalis sans l’autorisation de son scénariste attitré.
Puisque Byrne est parti chez DC pour s’occuper de la grande courgette bleue et alors que les FF n’ont pas encore retrouvé un scénariste régulier (Roger Stern, le pote de Byrne, s’occupe alors de l’intérim), Claremont a donc toute latitude pour utiliser le quatuor, en se servant de cette occasion pour faire d’une pierre deux coups pour conclure certains sub-plots (en particulier l’état de plus en plus alarmant de Kitty Pryde depuis le Massacre des Morlocks).

Dans un monde où les dix terriens les plus intelligents sont pratiquement tous dotés de pouvoirs, le choix de se tourner vers Reed Richards s’impose logiquement comme le meilleur moyen pour régler cette situation rapidement, mais c’est sans compter sur une révélation choquante, qui vient chambouler comme par hasard la cohésion du groupe et la confiance en soi de Richards, au moment où Fatalis propose aux mutants désespérés sa propre alternative.
Les quiproquos et autres divergences d’opinions vont alors pousser ces équipes à s’affronter à deux reprises, mais ce qui fait le sel du récit à mon sens se trouve plutôt dans les moments d’accalmie et les interactions entre les personnages, qu’il s’agisse de la relation assez touchante entre Kitty et Franklin (que Claremont aurait apparemment voulu prolonger par la suite dans d’autres projets) ou encore de la séparation temporaire des FF lors du troisième numéro, sans doute le plus réussi du lot.

Lors de ces scènes intimistes faisant figure de coeur émotionnel du récit, Claremont fait la part belle à l’humanisme et aux failles des personnages, aboutissant à de beaux moments de caractérisation.
Claremont fait preuve d’une certaine justesse en mettant en avant l’altruisme de Ben Grimm, récompensé par la gratitude d’une mère et le sourire de sa petite fille, pas effrayée pour un sou par l’apparence du neveu favori de tante Pétunia. Le comportement de la Chose à ce moment-là en dit long sur les raisons qui font de ce personnage un des plus sympathiques de l’univers Marvel.

Le scénariste se distingue également dans la façon dont il dépeint un Fatalis imposant, occupé à savourer cette supériorité passagère sur son adversaire tourmenté, dont il a ébranlé les certitudes en retournant une de ses vieilles erreurs contre lui (son propre « original sin » en quelque sorte).
Ce sont bel et bien les FF qui ont droit aux moments les plus poignants de cette mini-série, là où les X-Men passent la plupart de leur temps à attendre le verdict de Fatalis sur l’état de Kittty, comme si Claremont prospectait en vue d’une reprise éventuelle du titre (c’est finalement Englehart qui décrochera le poste).

Puisque Reed ignore la provenance de ce mystérieux journal dont il est soi-disant l’auteur et qu’il ne se souvient pas l’avoir écrit, sa véracité est d’emblée sujette à caution.
Le trouble ressenti par Reed, qui se demande s’il est vraiment l’auteur de ce journal, implique un problème de mémoire qui peut paraître dur à avaler pour les lecteurs s’il n’y avait pas de précédents. Or c’est précisément le cas, puisque dans l’épisode 271, Byrne avait révélé que Reed Richards souffrait d’un trou de mémoire lié à une période précise de son existence (située chronologiquement avant Fantastic Four #1, de même que la rédaction supposée de ce journal, qui suggère que l’accident qui a donné aux FF leurs pouvoirs était un acte intentionnel de la part de Richards). Le Flashback avec Gormuu utilisé par Claremont tend à confirmer cette hypothèse, puisqu’il correspond également à l’épisode de Byrne.

Le style cartoony et très expressif de Bogdanove, bien mis en valeur par l’encrage d’Austin, convient à merveille à l’ambiance du récit, assez variée en raison de l’alternance des moments désespérés (la tentative de suicide de Kitty) et plus apaisés (le happy-end avec la famille réunie). Le dessinateur, fort de son expérience sur le titre « Power Pack », a eu l’occasion de montrer son aisance dans la représentation des enfants, tant sur le plan des proportions que de la morphologie, en passant par les mimiques exagérées (en particulier lorsque Franklin rencontre Lockheed).

Cette mini-série se termine tout de même sur une note optimiste, au détriment d’une conclusion réglée un peu à la va-vite dans sa façon de désamorcer le « twist », mais qui ne fait pas oublier pour autant les qualités inestimables visibles dans les pages précédentes.

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Ah, cool. Je vais lire ça tranquillement ce week-end…

Oh, merci !

Nom de zeus de post …

Ah chouette idée, ça !! J’imagine que le thread est ouvert aux bonnes volontés ? Je ferai bien un petit post à l’occase sur un ou autre arcs marquants (à brûle-pourpoint, je dirais la saga de Wolfman avec les Xandariens, le Sphinx et Galactus)… Je ne cracherais pas non plus (mais je te soupçonne d’avoir des plans en la matière) sur une réhabilitation de l’injustement conspué run de De Falco…

Très complète rétrospective de la genèse du titre, et du contexte qui l’a vu naître.
Concernant la mini « Fantastic Four vs The X-Men », c’est un choix intéressant pour attaquer. Perso, je serais moins élogieux que toi, même si ça reste un travail qui a mes faveurs. Si ce sont comme tu le précises les moments d’accalmie qui sont les mieux écrits et qui retiennent l’attention, l’intrigue « conventionnelle » déçoit un peu dans la conclusion. Claremont est quand même peut-être un peu contraint (forcément) dans ses développements.
J’aurais bien aimé voir ce qu’aurait donné un run des FF au long cours (et pas quelques épisodes de-ci de-là) signé de la main de Claremont. Ses quelques contacts avec les persos ont plutôt mes faveurs (comme le super « Marvel Team-up » dessiné par Miller qui voit la première apparition de Karma).

Je me rappelais plus du tout de cette histoire d’amnésie de Red Richards évoquée ici, et je n’ai pas lu l’épisode 271 signé Byrne, mais c’est un élément de continuité intéressant…

Bravo, Marko !!

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Bien sûr ! Je suis très fan de cette saga avec le Sphinx et Galactus. J’ai l’impression parfois que le run de Wolfman est moins souvent évoqué ou porté aux nues que ceux de Kirby et Byrne, alors que c’est pourtant un des meilleurs (sans doute le meilleur run des FF durant les 70’s tout du moins).

C’est probable en effet, même si je partage avec Lord certaines réserves sur cette période (passer après Simonson n’est pas chose aisée).

Tu n’as pas lu son run du début des années 2000 (juste après Lobdell et avant le run de Pacheco) ?

Oui, mais je crois me rappeler que c’était pas très long, si ?

Tiens au fait, Photonik, toi qui est à la fois fan des ff et de Morrison, qu’as-tu pensé de sa mini-série « 1234 » (dont la ressortie chez Panini est prévue pour octobre) ?

Une trentaine d’épisodes tout au plus.

À ce sujet, je crois me rappeler que la scène où Lilandra (par le biais d’un hologramme) apparaît dans la chambre des Richards pour évoquer le rôle de Reed dans la survie de Galactus est précisément celle qui a poussé Byrne à répliquer, comme il avait pu le faire auparavant avec le Doombot. Sans cette rivalité, on aurait probablement pas eu droit à la saga du procès de Richards (et du dévoreur de mondes par extension).

Trente épisodes quand même ? J’aurais jamais cru.

Pour le procès de Red Richards, j’ai également lu ça : Byrne était furax de cette scène avec Lilandra et les Richards, et détestait en règle générale la manie de Claremont d’aller utiliser des persos hors de son « champ » (Stern lui avait aussi refusé catégoriquement d’utiliser Cauchemar, « associé » à Dr Strange, pour broder une origine à Diablo).
On notera que Byrne ne s’est pas gêné pour utiliser Gladiator et même des simili X-Men (en fait des Skrulls) dans le fameux FF 250 ; c’était peut-être déjà une provocation à l’encontre de Claremont, ceci dit.

Quand cela concernait d’autres scénaristes que Claremont (avec qui il entretenait forcément un certain passif), j"ai l’impression que Byrne était un peu moins enclin à répliquer brutalement (dans ce cas-là, il prenait peut-être un peu moins les choses à coeur tout simplement).

C’est notamment le cas de Micronauts #41, dans lequel Fatalis, toujours piégé à Liddleville, joue un rôle de guest star (vu sa condition durant cette période, c’était le moment idéal pour organiser une rencontre avec d’autres personnages de petite taille). L’intrigue de ce numéro semble être apparemment une sorte de prolongement du fameux « Terror in a tiny town » de Byrne (Fantastic Four #236, un de mes épisodes favoris des ff toutes périodes confondues, et relu à maintes reprises).
Cela m’a en tout cas donné envie de reprendre ma lecture lointaine du run de Mantlo (j’ai seulement lu les épisodes illustrés par Michael Golden), publié partiellement en VF, et qui tout comme ROM n’a pas encore eu les faveurs d’une réédition chez IDW.

J’ai pas la même impression. L’ego du bonhomme à tendance à réagir de la même façon face à d’autres et, tout comme le rappelle Photonik, on peut aussi noter l’hypocrisie de ce genre de procès compte tenu que lui-même ne se gène pas pour détruire certains boulot de ses camarades (Vision est à mon sens un cas marquant).

Après je pense qu’il peut passer ce genre de réaction sous un vernis d’humour mais le truc est toujours là. Quand on lit She-Hulk il y a quand même des règlement de comptes à chaque épisode serais-je tenté de dire

ça, c’est rigolo, quand on y pense avec du recul, parce qu’on s’est souvent demandé pendant le run d’Hickman dans New Avengers pourquoi les grosses têtes « héroïques » n’avaient jamais demandé aux vilains de les aider à trouver des solutions …

Sinon, tu m’as donné envie de relire cette mini-série !

29 pour être exacte.

Mais justement, je crois me rappeler que c’est précisément ce qu’a fait Hickman dans son run sur les ff, lorsque Richards fait appel à ses adversaires pour mettre un terme à la menace du Conseil de Reeds.

Sur Claremont et Byrne, j’avais fait à la demande des gars de Bruce Lit un résumé des épisodes précédents :slight_smile:
http://www.brucetringale.com/le-defi-nikolavitch-1-john-byrne-chris-claremont-les-raisons-de-la-colere/

Tout à fait.

Oui, c’est vrai, j’avais un peu oublié …

Dois-je comprendre par là que ce run ne t’as pas laissé un souvenir impérissable ? :wink:

Cet épisode devrait te plaire. Puisque la quasi-intégralité de l’intrigue se déroule avant le début de la série, Byrne s’est amusé avec un exercice de style en altérant le sien, et cela afin de se rapprocher le plus possible du feeling visuel des séries d’Atlas du début des 60’s.