Fantastic Four vs. X-Men 1-4 par Chris Claremont et Jon Bogdanove (1986/87)
Durant la seconde moitié des années 80, alors que la tendance du Grim n’ Gritty s’impose de plus en plus, et tandis que les X-Men entrent dans une période assez sombre à l’issue du crossover « Mutant Massacre » (pour aboutir ensuite à la fameuse période australienne après « Fall of the Mutants »), Chris Claremont peut enfin se permettre d’utiliser la first family sans avoir à craindre des représailles de la part de John Byrne, son ancien collaborateur plutôt possessif et pas vraiment enclin à prêter ses personnages, en tout cas pas au scénariste des X-Men, comme le prouve la fois où celui-ci a utilisé le Docteur Fatalis sans l’autorisation de son scénariste attitré.
Puisque Byrne est parti chez DC pour s’occuper de la grande courgette bleue et alors que les FF n’ont pas encore retrouvé un scénariste régulier (Roger Stern, le pote de Byrne, s’occupe alors de l’intérim), Claremont a donc toute latitude pour utiliser le quatuor, en se servant de cette occasion pour faire d’une pierre deux coups pour conclure certains sub-plots (en particulier l’état de plus en plus alarmant de Kitty Pryde depuis le Massacre des Morlocks).
Dans un monde où les dix terriens les plus intelligents sont pratiquement tous dotés de pouvoirs, le choix de se tourner vers Reed Richards s’impose logiquement comme le meilleur moyen pour régler cette situation rapidement, mais c’est sans compter sur une révélation choquante, qui vient chambouler comme par hasard la cohésion du groupe et la confiance en soi de Richards, au moment où Fatalis propose aux mutants désespérés sa propre alternative.
Les quiproquos et autres divergences d’opinions vont alors pousser ces équipes à s’affronter à deux reprises, mais ce qui fait le sel du récit à mon sens se trouve plutôt dans les moments d’accalmie et les interactions entre les personnages, qu’il s’agisse de la relation assez touchante entre Kitty et Franklin (que Claremont aurait apparemment voulu prolonger par la suite dans d’autres projets) ou encore de la séparation temporaire des FF lors du troisième numéro, sans doute le plus réussi du lot.
Lors de ces scènes intimistes faisant figure de coeur émotionnel du récit, Claremont fait la part belle à l’humanisme et aux failles des personnages, aboutissant à de beaux moments de caractérisation.
Claremont fait preuve d’une certaine justesse en mettant en avant l’altruisme de Ben Grimm, récompensé par la gratitude d’une mère et le sourire de sa petite fille, pas effrayée pour un sou par l’apparence du neveu favori de tante Pétunia. Le comportement de la Chose à ce moment-là en dit long sur les raisons qui font de ce personnage un des plus sympathiques de l’univers Marvel.
Le scénariste se distingue également dans la façon dont il dépeint un Fatalis imposant, occupé à savourer cette supériorité passagère sur son adversaire tourmenté, dont il a ébranlé les certitudes en retournant une de ses vieilles erreurs contre lui (son propre « original sin » en quelque sorte).
Ce sont bel et bien les FF qui ont droit aux moments les plus poignants de cette mini-série, là où les X-Men passent la plupart de leur temps à attendre le verdict de Fatalis sur l’état de Kittty, comme si Claremont prospectait en vue d’une reprise éventuelle du titre (c’est finalement Englehart qui décrochera le poste).
Puisque Reed ignore la provenance de ce mystérieux journal dont il est soi-disant l’auteur et qu’il ne se souvient pas l’avoir écrit, sa véracité est d’emblée sujette à caution.
Le trouble ressenti par Reed, qui se demande s’il est vraiment l’auteur de ce journal, implique un problème de mémoire qui peut paraître dur à avaler pour les lecteurs s’il n’y avait pas de précédents. Or c’est précisément le cas, puisque dans l’épisode 271, Byrne avait révélé que Reed Richards souffrait d’un trou de mémoire lié à une période précise de son existence (située chronologiquement avant Fantastic Four #1, de même que la rédaction supposée de ce journal, qui suggère que l’accident qui a donné aux FF leurs pouvoirs était un acte intentionnel de la part de Richards). Le Flashback avec Gormuu utilisé par Claremont tend à confirmer cette hypothèse, puisqu’il correspond également à l’épisode de Byrne.
Le style cartoony et très expressif de Bogdanove, bien mis en valeur par l’encrage d’Austin, convient à merveille à l’ambiance du récit, assez variée en raison de l’alternance des moments désespérés (la tentative de suicide de Kitty) et plus apaisés (le happy-end avec la famille réunie). Le dessinateur, fort de son expérience sur le titre « Power Pack », a eu l’occasion de montrer son aisance dans la représentation des enfants, tant sur le plan des proportions que de la morphologie, en passant par les mimiques exagérées (en particulier lorsque Franklin rencontre Lockheed).
Cette mini-série se termine tout de même sur une note optimiste, au détriment d’une conclusion réglée un peu à la va-vite dans sa façon de désamorcer le « twist », mais qui ne fait pas oublier pour autant les qualités inestimables visibles dans les pages précédentes.