Final Crisis :
A l’occasion de la sortie en VF de « Happy ! », une des dernières œuvres en date de Grant Morrison, Bhaine, le responsable des pages BD du magazine musical New Noise, fait un constat intéressant sur le travail du scénariste écossais : alors que durant les années 90 et le début des années 2000 Morrison se faisait accessible sur ses œuvres grand public comme « New X-Men » ou « JLA » et plus hermétique sur ses autres travaux (plus confidentiels toutes proportions gardées) comme « The Invisibles » ou « The Filth », il semble que la tendance se soit inversée. « Happy ! » et « Joe the Barbarian » paraissent bien plus faciles d’accès au néophyte que le run de six ans sur Batman ou que le futur « Multiversity » (qui s’annonce pour le moins…goûtu).
Exemple emblématique de cette tendance, le méga event publié par DC Comics en 2008 / 09, « Final Crisis », se pose un peu là. La réception de ce crossover en 7 épisodes (plus de multiples mini-séries annexes et autres tie-ins, dont seul « Superman Beyond / Superman 4D» semble vraiment indispensable à la compréhension de la saga dans sa globalité) a été pour le moins contrastée.
Echec manifeste ou chef-d’œuvre incompris ?
Avant tout, petit rappel à destination des profanes…
** Red Skies and Doomed Parallel Worlds… **
“Final Crisis” est le troisième volet de la saga des “Crises” : à la fois évènement éditorial pour les lecteurs (et les créateurs) de comics et catastrophe multiverselle à l’échelle des personnages, la première Crise se produit en 1985, sous la houlette du tandem créatif gagnant des « New Teen Titans » au début des années 80, le scénariste Marv Wolfman et le dessinateur George Perez.
DC décide de faire le ménage dans les multiples univers alternatifs qui constituent son « multivers fictionnel » (concept SF à l’ascendance prolifique et importé dans les comics DC à l’occasion du mythique Flash 123, au début des années 60), les nouveaux lecteurs ayant du mal à s’y retrouver (pourquoi plusieurs versions des mêmes personnages ?) ou tout simplement à intégrer le concept : DC Comics commence à crouler sous le poids de sa propre continuité.
« Crisis on Infinite Earths » propose alors aux lecteurs une histoire certes pas exempte de défauts mais au souffle épique inédit (des univers entiers sont dévastés par la pire menace jamais rencontrée par les héros DC, l’Anti-Monitor), et on en profite pour faire le ménage en fusionnant les univers survivants. A l’issue, l’Anti-Monitor est vaincu par le Superman originel (celui d’Action Comics 1 en 1938), un de ses doubles Superboy-Prime, et le fils d’un « gentil » Lex Luthor alternatif, Alexander, grâce entre autres aux sacrifices de Supergirl et de Flash (Barry Allen) et à l’intervention de Darkseid ; plus d’univers multiples, ne demeure qu’un univers unique où chaque héros n’est présent qu’en un seul exemplaire, garantissant aux nouveaux lecteurs une plus grande accessibilité…pour un temps.
En 2005 / 06, alors que la mode est aux crossovers / events annuels chez les Big Two, DC réactive le concept et propose au scénariste Geoff Johns et au dessinateur Phil Jimenez (entre autres, les vétérans George Perez et Jerry Ordway mettant la main à la pâte pour limiter les retards) de raconter ce qui sera rétrospectivement nommé la « middle crisis », les 7 épisodes constituant « Infinite Crisis ». Cette saga narre le retour du premier Superman et de ses acolytes Alexander Luthor et Superboy-Prime (les survivants de la première Crise donc), dépités par l’évolution de l’unique Terre de l’univers DC (plus noire, plus sombre, marquée par des tragédies diverses). Ils considèrent que les héros ont échoué et entendent redresser la barre, en recréant une Terre idyllique. Mais à l’insu du Superman originel, Luthor et son homme de main devenu fou, Superboy-Prime, manoeuvrent dans l’ombre et emploient des méthodes inacceptables pour parvenir à leurs fins.
Extrêmement décevante en termes scénaristiques, malgré des prémisses intéressants qui auraient pu donner lieu à un commentaire sur l’évolution des comics et constituer la fin symbolique de la tendance grim n’gritty (mais il n’en sera rien, sans compter le sort pitoyable réservé au premier des super-héros, le Superman de Terre 2), la saga se résume au contraire à une longue succession de batailles sanglantes entre les héros et un Superboy-Prime déchaîné, démembrant et décapitant du héros à tour de bras. Elle a néanmoins le mérite de réintroduire le concept des Terres parallèles : à l’issue de « Infinite Crisis », le multivers renaît et on découvre (après la bien nommée maxi-série hebdomadaire « 52 ») qu’il est constitué de 52 univers alternatifs différents…
C’est dans ce contexte que Grant Morrison est chargé dès 2006 de travailler à la réalisation de la troisième et a priori (humm…) dernière Crise, la « Final Crisis », dont le premier numéro paraît en juin 2008.
De l’Hypercrise à la Crise Finale
Quand Morrison revient chez DC Comics en 2004, après un passage en demi-teinte chez Marvel (malgré d’indéniables réussites comme « New X-Men » ou « Marvel Boy »), il pitche un event majeur à ses responsables éditoriaux, « Hypercrisis ». Basé en partie sur des concepts mis en place par l’écossais lors de son précédent passage chez DC (comme l’Hypertime), le projet est entre autres choses la preuve manifeste de la rancœur que Morrison nourrit à l’égard de son employeur précédent ; l’event était censé s’ouvrir sur les funérailles de Captain Marvel et Superman y prononçait en préambule : « Marvel is dead », allusion que tout le monde aura saisie…
Projet ambitieux (Morrison prévoie douze épisodes), pas tellement connecté semble-t-il à « Crisis on Infinite Earths », la proposition de Morrison est refusée et il recycle en partie ses idées dans d’autres projets en cours, dans « Seven Soldiers of Victory » notamment, mais aussi dans « 52 » et même dans « All-Star Superman ».
C’est à l’occasion de « Seven Soldiers » justement que l’écossais chauve s’attaque à un pan de l’univers DC qui lui tient particulièrement à cœur : tous les concepts introduits par le légendaire Jack Kirby dans les titres constituant le Fourth World. Morrison cherche à creuser la question au-delà de « Seven Soldiers » et on lui propose alors de le faire dans ce qui deviendra la troisième et dernière Crise, Final Crisis (plus « petit » et cohérent que son projet initial d’hypercrise, d’après Morrison).
Morrison n’oublie pas non plus qu’il a déjà écrit son Ragnarok des Super-Héros DC : il s’agit de l’incroyable « Rock of Ages » dans ses « JLA », où il se passe peu ou prou la même chose que dans « Final Crisis » (à la relecture, les similitudes crèvent vraiment les yeux : le ressort général de l’intrigue à base d’associations de super-vilains et d’invasion des troupes d’Apokolips, le sort de Batman, la mise sur la touche de Superman, etc…) mais dans le cadre d’un futur alternatif dystopique à la Chris Claremont.
From the Bullet to the Bat in the Cave
La réputation de “Final Crisis” est celle d’une oeuvre complexe, hermétique, voire inaccessible même au lecteur le plus chevronné. Il peut donc sembler relever de la gageure que de tenter de résumer son intrigue : il n’en est rien. Les « difficultés » occasionnées par la lecture de « Final Crisis » ne viennent pas tant du côté alambiqué des arcs narratifs mis en jeu que des choix de Morrison en termes de traitement (et encore, là aussi il nous faudra relativiser ce point…).
On peut résumer « Final Crisis » à 7 ou 8 sous-intrigues intimement imbriquées, mais assez facile à retranscrire sommairement, et autant de grands mouvements dans l’histoire :
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La pré-histoire : Anthro, le « First Boy on Earth » reçoit la visite de Metron, membre des New Gods, qui lui fait cadeau d’une sorte de feu divin, en fait un symbole issu de l’alphabet des New Gods. Après cette visitation, Anthro est accablé par les visions d’un futur lointain, apocalyptique (celui de la Terre-51), où Kamandi, le « Last Boy on Earth », lutte pour sa survie et appelle à l’aide.
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Nix Uotan, membre de la race des Monitors (sorte d’équivalents des « Watchers ou Gardiens de l’uinvers Marvel), est jugé et dépouillé de ses attributs divins pour avoir échoué à protéger l’univers à sa charge (chacun des 52 Monitors surveille une des réalités du Multivers DC), la Terre-51 justement où vit Kamandi. Il est exilé sur Terre.
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Dans une autre dimension, le combat final entre les Neo Dieux de New Genesis et les dieux maléfiques d’Apokolips s’est achevée par la victoire finale de ces derniers. L’essence de Darkseid « tombe » sur Terre et s’incarne dans le Boss Dark Side, un mafieux (aperçu dans « Seven Soldiers »). Alors que le détective Dan Turpin enquête sur la disparition d’un groupe d’enfants (le responsable est Darkseid) à Blüdhaven, il est capturé afin de servir de nouveau réceptacle au Seigneur d’Apokolips. Tous les mauvais dieux s’incarnent d’ailleurs aussi, majoritairement en des hôtes méta-humains. L’invasion commence…
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Le cadavre d’Orion est retrouvé dans une ruelle, et alors que la Ligue de Justice et le Green Lantern Corps enquêtent, l’Alpha Lantern Kraken (en fait Granny Goodness, alliée de Darkseid, réincarnée) se débrouille pour faire accuser Hal Jordan / Green Lantern, qui est mis aux arrêts. Batman qui découvre le pot aux roses est capturé, et Superman est aussi mis sur la touche, partant pour un voyage au-delà du temps et de l’espace pour sauver sa compagne Loïs, mortellement blessée par une explosion. Quant à Wonder-Woman, elle est infectée par une sorte de bactérie diabolique qui en fait un des chiens de garde de Darkseid.
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Les principaux héros hors de combat (à l’exception de Flash / Barry Allen, qui ressurgit mystérieusement mais échoue à sauver Orion en se déplaçant vers le passé), Alan Scott (le Green Lantern du Golden Age) exhorte les méta-humains de la planète à s’unir, mais ils ne font pas le poids face à la grande offensive de Darkseid, qui libère son Equation Anti-Vie (la preuve mathématique de la nécessité du contrôle absolu, en gros…) via les médias terriens, notamment Internet. Ne subsistent que quelques poches de résistance dont une JLA en lambeaux dirigé par Black Canari, et une bande de héros adolescents, la Super Young Team, et leurs alliés Sunny Sumo et Shilo Norman, le nouveau Mr Miracle.
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Alors que la Terre succombe à la domination de Darkseid, les premières lueurs d’espoir pointent : Batman se libère (par la seule force de volonté de son esprit pourtant ensommeillé) et frappe mortellement Darkseid avec la propre balle utilisée contre Orion, Green Lantern / Hal Jordan est blanchi et démasque Kraken / Granny Goodness, et la Super Young Team répand le remède à l’Anti-Vie hérité d’Anthro et de Metron.
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Superman de son côté, à la recherche du remède miracle (la sève) en mesure de sauver Loïs, explore les Limbes (vues dans « Animal Man » du même Morrison) et prend conscience de la nature de sa réalité en découvrant les origines des Monitors. Il rencontre des contreparties de lui-même issues de diverses réalités, et fusionnant avec son double négatif Ultraman, il investit une Armure géante à son effigie (en fait l’idée pure ayant présidé à la naissance de Superman). Il affronte sous cette forme Mandrakk, le Monitor Noir, une sorte de Vampire qui « attend à la fin de toutes les histoires » pour effacer toute trace de la réalité, et le terrasse. Après être revenu sur Terre pour sauver Loïs, il est attiré vers le futur lointain de la Légion où il mémorise les plans de Geh-Jedollah, la Machine à miracles, mais échoue à revenir à temps pour sauver Batman, apparemment tué par Darkseid lors de leur face-à-face.
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Alors que les héros renversent la vapeur sur Terre, notamment grâce au concours de Sivana et Lex Luthor, Darkseid mourant devenu toute réalité entraîne la création entière dans une sorte de trou noir absorbant le temps et l’espace. C’est le moment que choisit Mandrakk pour réapparaître, « à la fin de l’histoire », pour porter le coup fatal. Superman, absolument seul, se débarrasse de Darkseid en chantant (!!), perturbant sa fréquence de vibrations, et en activant la Machine à miracles reconstruite par ses soins, il fait le vœu d’un happy end, qui se matérialise sous la forme d’une armée de Supermen issus de toutes les réalités, du Green Lantern Corps et de l’Armée Céleste invoqués par Nix Uotan, aux capacités restaurées par Metron. Avec leurs pouvoirs basés sur la lumière, cette armada de héros se débarrasse du Vampire ultime.
A la demande de Nix Uotan, les Monitors disparaissent (même si Uotan reprend sa vie de mortel sur Terre et fait de Terre-51 le nouveau foyer des New Gods désormais de retour) et le Multivers DC est désormais libéré de leur surveillance, laissé à la seule charge de ses héros…
Du point de vue de la multiplicité des points de vue et des personnages ici utilisés, comme on le voit, le scénario de « Final Crisis » est très dense.
Il ne faut toutefois pas oublier que c’était le cas des deux premières Crises : la nature pléthorique et elliptique de ces récits n’est pas une invention de Morrison ; au contraire il se fond plutôt en quelque sorte dans la tradition initiée par Wolfman et poursuivie par Johns. Or ces deux œuvres n’ont jamais été taxées d’hermétisme ou de sur-complexité. Mais « on ne comprend rien » à « Final Crisis ». Pourquoi ?
Peut-être en partie parce que le travail de Morrison diffère de celui de ses prédécesseurs, tant au plan des techniques d’écriture que des effets recherchés. Morrison écrit énormément, et « coupe » beaucoup, les structures elliptiques l’intéressant énormément (il souhaite ainsi rendre le lecteur plus « actif » et en partie auteur de l’histoire…). D’autre part, Morrison use d’une narration plus déductive qu’inductive, pourrait-on dire. Alors que les précédentes Crisis étaient basées sur une narration certes fourmillante, chacune des scènes les composant étaient plutôt construites de manière classique, ici Morrison propose au lecteur de « déduire » des situations exposées le contexte global.
L’apport le plus intéressant de cette technique de narration particulière, c’est la façon dont Morrison fait raconter l’intrigue par les personnages eux-mêmes : on ne compte pas les scènes qui sont en fait racontées par un personnage à un autre (c’est flagrant dans le dernier épisode bien entendu, mais ça court sur l’ensemble des 7 chapitres).
Ainsi, « Final Crisis » est presque le reflet de la véritable histoire (on a l’impression de passer à côté des évènements, et c’est probablement voulu) telle qu’elle a été vécue par les personnages, d’où la multiplication des points de vue et le focus incessamment changeant sur tel ou tel personnage.
Parmi les marottes habituelles de Morrison, on retrouve dans « Final Crisis » :
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Les jeux métatextuels habituels de l’écossais : sans casser aussi clairement le 4ème mur que dans « Animal Man » par exemple, ou aller aussi loin que dans « The Filth », « Final Crisis » recycle des éléments aperçus dans ses travaux précédents.
Ainsi, les commentaires sur l’évolution du genre qui peuplaient « Doom Patrol » par exemple et qui rappelle un peu certaines œuvres d’Alan Moore comme « Supreme » sont convoqués : il est très intéressant de relever à ce titre que les deux seuls univers restant sans surveillance (sans Monitor…) sont le futur dystopique de « The Dark Knight Returns » par Miller, et la Terre vampirique de « Batman : Red Rain ». A ce titre, Final Crisis peut être vue comme la tentative définitive de Morrison d’en finir avec le grim n’ gritty, à l’instar de l’évolution de son cycle sur Batman.
Superman n’est pas loin de vivre dans les Limbes une expérience similaire à celle de Buddy Baker / Animal Man, même s’il est moins aisé de tirer une icône comme Superman vers ce type d’extrêmités (il s’exclame quand même « je suis dans une hyper-histoire qui s’écrit toute seule »…).
Enfin et surtout, tout ce qui tourne autour des Monitors et qui rapproche directement cette Crise de la première signée Wolfman est évidemment à lire d’une manière allégorique, et Morrison le présente ainsi en entretien, comme l’image du néant absolu (la page blanche du scénariste) luttant contre l’invasion de l’encre (tous les évènements du Multivers) infectant la conscience du Monitor original. On est très près de ce que Morrison décrit dans « The Filth », ici. Résumé grossièrement, on pourrait voir Mandrakk comme les « mauvais penchants » des scénaristes, le nihilisme et la cruauté inhérente à l’exercice de l’écriture d’histoires où les personnages souffrent et meurent, et Nix Uotan serait l’auteur concerné par le sort de ses personnages, celui qui entend la prière de Superman (son personnage) appelant un happy end… -
Les références et notamment celles, nombreuses, rattachant « Final Crisis » à la mythologie (récit de la fin et du commencement du Monde, « Final Crisis » est le récit mythique ultime du DC Universe…). D’où l’emploi de Nix Uotan (Uotan = Wotan = Odin ; je pense d’ailleurs au sujet de son bannissement sur Terre au film « Valhalla Rising » de Refn qui use d’un ressort similaire…), le rôle de la mort d’Orion similaire à celle de Balder dans la mythologie scandinave (catalyseur du Ragnarok), le duel Batman / Darkseid explicitement rapproché par Morrison du combat de St Georges contre le Dragon, etc…
Des références à des objets pop-culturels plus contemporains comme 2001, l’Odyssée de l’Espace ou le Village des Damnés sont aussi convoquées, comme souvent chez Morrison. -
Enfin et surtout, cette épopée présente ce qu’on pourrait qualifier de qualités « au premier degré » : si l’on passe l’obstacle d’une narration difficile (qui présente quand même des trouvailles étonnantes, il faut le souligner, comme cette façon de compresser en une ou quelques cases des sagas entières, comme ces trois cases à peine sur la Super Yong Team où Morrison sous-entend des développements soap-opera très claremontiens là encore), on trouvera ici les moments les plus « épiques » de toute la carrière du scénariste écossais (« Superman Beyond », véritable cœur de « Final Crisis », et je le répète composante indispensable de la saga, en est l’exemple le plus flagrant, avec ses enjeux absolus et sa narration proche, comme l’ont souligné certains lecteurs, de « poésie mise en comics », définition assez juste il me semble ; c’est peut-être une des trois ou quatre plus belles histoires de Superman qu’il m’ait été donné de lire…).
L’auteur se fend également d’un très bel hommage au personnage de Flash / Barry Allen, celui du Silver Age (son personnage préféré, gamin) : alors que tous les héros ont été vaincus ou ont cédé au désespoir ou à la corruption, lui assure tout sourire à son épouse que tout ira bien, ce qui effectivement fini par se produire, lui donnant au passage un « baiser magique » qui rappelle une scène similaire dans le « Superman II » de Lester…
Bien sûr, « Final Crisis » n’est pas exempt de défauts.
L’instabilité de la partie graphique en est un : normalement assurée par JG Jones (en mode très photo-réaliste malheureusement, assez éloigné de son formidable travail sur « Marvel Boy ») qui assure des trouvailles géniales en termes de découpage et de composition, mais accumule les retards préjudiciables, le relais est pris par trois autres illustrateurs, dont l’excellent Doug Manhke heureusement (qui illustre seul les derniers épisodes).
Dommage que le titre n’ait pas conservé une unité graphique tout du long, encore que d’aucuns affirment que la transition du style « réaliste » de Jones à celui sensiblement plus cartoony et proprement super-héroïque de Manhke va dans le sens du sous-texte voulu par Morrison (mais tout ça relève des aléas du processus de création et n’a pas été planifié à la base…).
Et bien sûr la narration ne se fait pas vraiment abordable comme on l’a vu en partie ; même si Morrison tire des effets intéressants de cette sophistication, il commet quelques erreurs au passage, notamment des ellipses trop brutales : le Green Lantern John Stewart est mourant, puis on le retrouve en pleine forme sans explication, à l’exclusion d’une phrase qui évoque un traitement qu’on imagine sacrément efficace… C’est un exemple parmi d’autres (la réincarnation des Evil New Gods n’est pas non plus clairement amenée et elle se déduit plus de l’histoire qu’elle n’est racontée à proprement parler : c’est raccord avec l’approche de Morrison, fragmentaire, elliptique mais ça n’aide pas à capter tous les rebondissements).
D’une manière générale on a du mal à intégrer la « timeline » des évènements (il se passe des mois entre chacun des chapitres et on a du mal à le ressentir peut-être). Ceci étant dit, cette désorientation est bel et bien voulue par Morrison sur le dernier chapitre, la chronologie bouleversée et les transitions aléatoires d’un lieu à l’autre étant censées représenter concrètement l’effondrement de l’espace-temps produit par la « chute » de Darkseid (ce qui explique aussi la soudaineté de l’apparition de Mandrakk, d’ailleurs incompréhensible sans « Superman Beyond »…mais raccord avec l’accélération marquée des évènements à la fin de l’intrigue.)
Il est dommage que Morrison (ou son entourage éditorial) ait choisi de diluer la série dramatique d’évènements concernant Batman entre « Final Crisis » et « Batman RIP », un arc crucial du cycle de Morrison sur le personnage : ce choix a eu tendance à atténuer l’impact de l’une et de l’autre sagas.
Enfin, le principal défaut de « Final Crisis » semble indépendant de la volonté de Morrison et relève de décisions éditoriales : à l’origine, le rebbot de l’univers DC survenu à l’issue du très réussi « Flashpoint » était censé survenir à la fin de « Final Crisis », dont la chute était idéalement calibrée pour accueillir cet évènement.
Malheureusement (quoiqu’on pense de l’idée du reboot, puisqu’il a fini par advenir, il aurait mieux valu que ce soit avec l’histoire calibrée pour), il n’en sera rien, ce qui atténue assez considérablement l’impact de l’histoire de Morrison.
On le voit, « Final Crisis » est une œuvre imparfaite, mais passionnante, au souffle épique rarement égalée dans l’histoire des comics (histoire contenant toutes les histoires, et notamment toutes celles de DC, de Anthro à Kamandi, « first boy to last boy »…) et un bon résumé des obsessions de Morrison depuis ses débuts chez DC avec « Animal Man », œuvre mainstream d’une grande complexité (peut-être trop donc), mais aussi hommage ultime au genre super-héros, en plus d’une déclaration d’amour enflammée au DC Universe…
Et vous qu’en pensez-vous ?