Pour le lancement du tome 1 de ce nouveau cycle, baptisé Akissi de Paris, Gallimard Jeunesse a mis les petits plats dans les grands, avec un tirage initial de douze mille exemplaires. Le 21 août, l’éditeur en dévoile la couverture sur Facebook, par un post « sponsorisé », une pratique courante par laquelle la plate-forme, contre rémunération, accroît la circulation d’une publication. Celle-ci peut ainsi toucher un public bien plus large, et pas nécessairement le premier visé. Le message annonce : « Akissi débarque à Paris ! Akissi vient de quitter la Côte d’Ivoire et fait sa rentrée dans un collège parisien. Mais l’intégration n’est pas facile : nouveau pays, nouveaux codes, nouveaux amis… A peine arrivée, Akissi est déjà au bout de sa vie ! »
Messages de haine
Le lundi suivant, les équipes de Gallimard Jeunesse découvrent, effarées, les centaines de commentaires racistes postés durant le week-end en réponse à la publication. « J’ai toujours accepté la critique – on a le droit de ne pas aimer ce que je fais. Mais là, c’est carrément autre chose », confie Marguerite Abouet. Depuis le début de sa carrière, en racontant « des histoires universelles pour montrer que l’autre, c’est nous tous », elle s’attelle, dit-elle, à lutter contre les préjugés, enjoignant ses jeunes lecteurs à tisser des liens « par la connaissance et la compréhension ». Pour la première fois, la voici prise pour cible par une armée de trolls anonymes.
Qu’est-ce qui a donc changé depuis le dernier volume des aventures d’Akissi, publié en 2020 ? « C’est simple, dans cette nouvelle série d’histoires, elle vient à Paris », analyse Marguerite Abouet. Le mot « intégration » pourrait avoir conduit l’algorithme à pousser la publication sponsorisée vers des internautes d’extrême droite. D’où le déferlement de messages de haine.
Chez Gallimard Jeunesse aussi, on tombe des nues. Editrice en France de J. K. Rowling, la créatrice de Harry Potter régulièrement accusée de transphobie, la maison a appris à gérer les tempêtes en ligne. « Nous laissons en général les communautés se répondre », explique la directrice des relations publiques, Sandrine Dutordoir. Mais là, dit-elle, « c’était trop grave ». Il est rapidement décidé de retirer le post et de relancer la campagne par une autre publication, qui fait cette fois-ci l’économie du mot « intégration ». Tout rentre ainsi dans l’ordre. Marguerite Abouet, pas franchement ébranlée par l’épisode, rappelle les deux commandements transmis par sa mère : « le découragement n’est pas ivoirien » et « on répond aux imbéciles par le silence. »
C’est quand même magique les réseaux sociaux…