GÉNÉRATION PROTÉUS (Donald Cammell, 1977)

Comme pour L’Emprise, tout remonte à une discussion au sujet de Massacre à la Tronçonneuse

Et là encore, tout comme avec L’Emprise, ce sont les indications du Doc qui m’ont permis d’identifier et de retrouver le film, que j’ai enfin revu hier.

En grattant un peu, je découvre qu’il est passé le 23 mars 1981 dans , sur TF1L’Avenir du futur. Alors moi, bizarrement, j’ai longtemps confondu L’Avenir du futur et Les Dossiers de l’écran (sur Antenne 2). Le format était similaire, pour autant que je me souvienne, à savoir un film suivi d’un débat. C’est sans doute pour cela que j’ai un peu mixé les deux. Chose bizarre, L’Avenir du futur s’est arrêté en 1987, donc j’aurais dû garder des souvenirs plus précis du truc. Étrange chose que la mémoire (surtout quand elle est pleine de trous comme la mienne).
Pour en revenir à Génération Protéus (Demon Seed en anglais), je l’aurais donc vu à dix ans et quelques. Mazette, effectivement, ça a de quoi marquer.

Génération Protéus, quand j’étais gamin ou ado, je crois que je le confondais avec Le Bébé de Rosemary. La naissance de l’enfant-monstre, qui visuellement m’avait assez marqué, je l’associais au titre du film de Polanski. Ce n’est que quand je me suis penché sur les romans d’Ira Levin, à la fac, que j’ai bien dissocié les deux films. Enfin, dissocié est un grand mot : si je voyais à peu près l’intrigue de Rosemary’s Baby, je ne me souvenais plus du titre de Génération Protéus, qui n’était plus pour moi que l’histoire d’une maison domotique qui emprisonne sa patronne, et qui s’obscurcissait dans ma mémoire jusqu’à ce qu’EncyclopéDoc l’en extirpe.
Vu de loin, Génération Protéus a des points communs avec L’Emprise, que je viens aussi de revoir. Une femme, une maison, une entité (surnaturelle pour l’un, informatique pour l’autre). Au point que, parmi les confusions qui encombraient ma mémoire, je voyais pour Génération Protéus un décor de banlieue américaine (comme dans L’Emprise), alors qu’en fait le décor est une maison cossue et friquée, lorgnant vers le petit manoir.
Bref, tout est embrouillé, il est donc temps de revoir le film.
C’est un de ces films typiques des années 1970, qui apparie la crainte de l’informatique et de la technologie au portrait d’une société patriarcale aveuglée par son désir de puissance.
Résumons : Alex Harris est à la tête d’un projet de super-ordinateur dont la fonction est d’aider les humains dans les grandes entreprises, souvent liées à l’industrie lourde (avec son lot de scandales écologiques). Super brillant, le cerveau électronique commence à réfléchir tout seul, et donc à contester les requêtes (comme on dit à l’armée, « poser des questions, c’est déjà désobéir »). Il estime notamment que tel projet d’extraction sous-marine de minerai ne doit pas être fait car il condamnerait de nombreuses vies (et donc menacerait le biotope, mais le vocabulaire écolo n’était pas encore bien installé chez les traducteurs). Bref, il casse les bonbons à ses concepteurs.
Comme il s’intéresse à la vie biologique, il se met en tête de trouver un terminal d’où agir de manière autonome. Il en trouve un chez Alfred, l’intelligence artificielle qui gère la maison d’Alex et Susan Harris. En l’absence d’Alex, il évince Alfred et prend le contrôle du domicile, d’abord pour observer, puis pour concevoir un enfant avec Susan, qui serait son héritier. (Bon, Susan, c’est Julie Christie : on comprend que ça puisse éveiller des désirs, même chez les ordinateurs !)
Commence alors un thriller en intérieurs, reprenant à son compte les codes de la maison hantée (porte qui claque, objets qui bougent, d’autant plus aisément que les murs sont truffés de trappes, de plateaux qui jaillissent, ce genre de gadgets) et annonçant une gestion de l’espace dans le sous-genre du « home invasion » (à revoir Génération Protéus, je me dis que Fincher à dû le voir, ça se sent un peu dans Panic Room).
Le film est construit en trois actes, à savoir la description du super-ordinateur et ses conflits avec son « père », le suspense au sein de la maison, et enfin une troisième partie plus métaphysique, s’interrogeant sur la notion même de vie. La fin est assez saisissante. Alex revient et apprend que sa femme a été fécondée. Comme c’est un homme de science (et qu’on approche de la fin), il accepte l’idée, et les choses se précipitent. Ayant créé une matrice pour laisser l’embryon se développer, Protéus « meurt ». Alex et Susan découvrent le « bébé ». Alex veut le faire naître, mais Susan préfère le tuer (elle entretient un certain ressentiment à l’égard de l’enfant, facilement compréhensible) et le débranche. Un bébé robotique à la peau de métal doré s’extirpe alors de la matrice et s’effondre. Alex se précipite, et il découvre que la peau est constituée de dizaines de plaques qui tombent lentement. Il commence à peler cette carapace et découvre un enfant parfaitement formé, et vivant. Le bambin ouvre les yeux et dit « je suis vivant », à mi chemin entre le constat et la question. Sa voix est celle de Protéus, visiblement incarné dans la chair. Le savant et son épouse violentée se retrouvent face à ce gamin dont la nature, et sans doute les capacités mentales, ne sont pas humaines, tels les laboureurs perdus dans un respect craintif du fameux Angélus de Millet.

Et en fait, d’une certaine manière, l’histoire commence.
Si cette fin est si étonnante, c’est qu’elle contredit un peu l’ensemble du film. Ce dernier s’inscrit dans une veine un peu conservatrice, voire réactionnaire, autour de deux horizons. D’un côté la vision d’une informatique inquiétante, menaçante, pour ne pas dire obscène dans ce qu’elle imite la vie (et se prend pour Dieu, d’une certaine manière). De l’autre le portrait d’une femme au foyer, sorte de « trophy wife » comme le cinéma fantastique des années 1970 en a fourni plein (les femmes vendues avec les meubles dans Soleil Vert, mais aussi les femmes destinées aux sportifs dans Rollerball, ou encore les potiches encombrantes dans Saturn 3…). Bon, la crainte de l’informatique ou le portrait des femmes qui font tapisseries ne sont pas des critères de conservatisme, mais là, les deux d’un coup, avec la mise en scène d’un patriarcat omniprésent, c’est assez frappant.

Et soudain, l’ordinateur, fou et commettant le péché d’orgueil, accouche tout de même d’un enfant, redonnant à Alex et Susan leur rôle de parent, mais accédant par le même coup à une réelle humanité : il comprend la mort, il comprend la vie, il comprend la pérennité. Bref, Proteus s’humanise. Et les questions que cette fin suscite sont d’une telle ampleur que ça transcende en grande partie le conservatisme du reste du film.

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(Mais on pourrait aussi dire que le métrage reste conservateur jusqu’au bout : Alex et Susan sont au bord de la rupture et de la séparation, au début du film. L’irruption de l’enfant artificiel les rapproche. Le surgissement du fantastique, la rupture par le danger et la violence, ressoude le couple, donc le modèle social dominant. Qu’est-ce qu’il est ambivalent, ce film, l’air de rien).

Après, ça a un peu vieilli. Les représentations de l’informatique sont datées (des machines gigantesques confinées derrière des cages de verre, des motifs stroboscopiques pour passer sous silence la gestation tout en accentuant la dimension artificielle de l’ordinateur…), les effets spéciaux sentent le carton, le « corps » de Protéus, sorte de cocotte en papier survitaminé, est un peu ridicule… Mais le montage est plutôt solide, les scènes d’action sont rythmées, bref, ça tient encore la route, malgré des choix esthétiques d’un autre âge.
Pas du tout féministe (contrairement à L’Emprise), malgré un sujet qui pourrait s’y prêter (mais qui réduit la femme à son rôle de génitrice), le film rend compte de la décennie troublée dont il est issu, une décennie de méfiance et de paranoïa.
Encore un de ces films un peu oubliés où il y aurait beaucoup à dire.

Jim

Et pour faire bonne mesure, voilà ce qu’en disait notre autre expert en péloches obscures, l’ami Photonik :

Jim

Ah je me souviens aussi de ce film, mais le titre m’échappait.
Comme Jim j’avais 10 ans lorsque je l’ai vu et il m’avait foutu la trouille. Je n’en gardais qu’un vague souvenir, une femme cloîtrée chez elle, un système informatique qui créait un climat malsain et fécondait la femme et surtout l’enfant qui apparait sous le métal.
Je crois que ce film, avec L’Exorciste et Carrie, ont contribué au fait que je ne raffole pas des films d’horreur, épouvante et autres du même genre.^^’