L’accueil est un brin disproportionné à mon sens.
Le film est certes bien usiné et se révèle assez grisant dans ses meilleurs moments, soit dans son versant purement Kaiju, mais n’est pas exempt de quelques défauts. Le scénario aligne des idées et un traitement vraiment bien sentis, notamment au niveau des thématiques où le drame à la Ozu cotoie le pur film catastrophe. La recomposition familliale qui se fond dans la reconstruction du pays à l’issue de la seconde guerre mondiale n’est pas sans évoquer l’oeuvre du maître japonais, comme Récit d’un propriétaire ressorti récemment par exemple. En sus de ça, le film ménage au héros principal, kamikaze atteint de stress post-traumatique qui s’est dérobé à son devoir, un arc de rédemption original où le poids de la culpabilité du survivant va devenir moteur de son implication dans le conflit face au monstre avec une dernière ligne droite lumineuse où le film fait un sort à cette pensée mortifère du déshonneur et du sacrifice. Au vu des deux derniers plans, l’éventuelle promesse d’une suite directe serait d’autant plus pertinente en traitant des répercussions de l’exposition aux radiations, comme le chef d’oeuvre Pluie noire d’Imamura Shohei par ex.
Incorporer le versant catastrophe du genre kaiju au sein du contexte d’immédiat après guerre dans un pays en pleine reconstruction, c’est une trouvaille porteuse aussi bien thématiquement (tout le discours pacifiste et d’entre-aide au travers de la mise en commun des bonnes volontés hors de la sphère politique) que visuellement, Godzilla déployant sa furie destructrice aussi bien sur terre qu’en mer lors de séquences à la scénographie élaborée. La mise en scène n’est pas en reste dans ces moments, avec quelques morceaux de bravoure dont cette première apparition nocturne mémorable du roi des kaiju, où les derniers soldats stationnés dans une île du pacifique sont réduits en charpie. Passage idéalement capté par des prises de vues variées, jouant sur les différences d’échelle entre les soldats et le monstre géant qui semble trop imposant pour remplir le cadre vue d’une hauteur humaine. Principe illustré dans ce plan séquence angoissant, où le kaiju n’apparaît dans le cadre que par extrêmités pour tailler en pièces les soldats en déroute, dont le parti-pris renforce le caractère sidérant du massacre. Autre séquence inouïe: la course-poursuite maritime entre un chalutier et un godzilla fondant de toute son envergure sur sa proie, les épines dorsales fendant la surface de l’eau et la gueule prête à tout dévaster sur son passage; grand moment de tension et d’efficacité. Tout comme ce plan où le monstre, qui s’avance en ville, se reflète sur la fenêtre du train via laquelle une femme contemple avec effroi la destruction en marche. Le film aligne de nombreuses trouvailles et il est à mettre au crédit de Yamazaki Takashi, à la fois scénariste, réalisateur et superviseur des effets spéciaux - son background pendant de nombreuses années avant de passer à la réalisation - la réussite et la tenue indéniable du projet, qui pouvait paraître casse-gueule sur le papier et se paye le luxe de ridiculiser une production hollywoodienne globalement sinistrée à bien des niveaux.
A ce stade, ça fait déjà beaucoup de qualités. L’ensemble est néanmoins alourdi par quelques ellipses temporelles maladroites, des dialogues parfois forcés et une direction d’acteur en deça quand on constate que l’interprétation de certains comédiens manque de naturel. Ce qui à tendance à donner au drame un caractère un peu trop démonstratif par moments et ne permet pas toujours d’instaurer une réelle emphase émotionnelle lors des scènes « calmes » de reconstruction d’après guerre, donnant lieu à l’occasion à de rares fautes de goût comme ce défilement d’images au fil des années sur fond de musique joviale un peu hors sujet (même si on saisit l’idée derrière). Si le propos du film est résolument pacifiste, il n’en demeure pas moins qu’il y a une certaine fétichisation à l’image de tout ce qui a trait à l’artillerie militaire voire à l’uniforme, ce qui pare le film d’une certaine ambivalence. Dommage aussi qu’au niveau du design de la créature et de son déploiement dans la ville, le film soit un brin classique et moins inventif, bien que l’imagerie renvoyant aux explosions nucléaires soit visuellement très impactante. Le Shin Godzilla d’Anno et Higuchi embrassait entièrement la dimension de créature hybride avec cet aspect infernal de Godzilla, les rangées de dents asymétriques et les yeux fous, et où on pouvait deviner une peau presque à vif du monstre qui mutait en cours de film. De même, les épines dorsales qui se déploient lors du souffle atomique, c’est amusant une fois mais la troisième, c’est un peu redondant et ça n’a pas la puissance d’évocation que pouvait avoir Shin Godzilla à ce niveau. Notamment dans la séquence nocturne où le monstre s’illuminait avant de relâcher furieusement sa colère sur la ville et dans les airs, abattant les avions et semant les flammes et le chaos dans des plans absolument cauchemardesques. ça manque un peu de cette folie dans le film de Yamazaki.
Un bon blockbuster efficacement charpenté qui passe à côté du grand film, c’est déjà pas mal.