GREAT LAKES AVENGERS #1-7 (Zac Gorman / Will Robson)

[quote=« sylvain cordurié »]
Pour ce qui est des titres « infectieux » cités, c’est tout de même un drôle de qualificatif. Qu’ils n’aient pas été number one, ce n’est pas ce qui les définit en premier lieu. Ils étaient innovants, inspirants, modernes. Mais il y a aussi eu des grosses séries genre Avengers qui ont connu du succès sans tout devoir à ceux-ci et qui ont aussi « inspiré », non ?
Après, c’est normal que les générations qui se succèdent soient le produit de leurs influences.[/quote]

Il s’est passé quelque chose au début des années 1990.
Rappelons que c’est une période de basculement, où les BD passent désormais en majorité sur le « marché direct », et où les deux gros éditeurs sont désormais coté en bourse. Ça n’a l’air de rien, mais ça change la donne.
(Dans les années 1970, DC tentait des tas de choses et s’est pris une « implosion » qui a laminé le catalogue, et Marvel était constamment en retard de production, perdait de l’argent et fonctionnait avec un personnel réduit débordé : pas le même contexte.)

Donc, au début des années 1990, on développe une recherche de la rentabilité à court terme, et on copie les succès. C’est ainsi que l’on regarde le modèle Image. Et qu’Avengers se retrouve à singer les tics d’autres comics, qu’on demande à Epting de dessiner comme Jim Lee, qu’on retire les uniformes des Vengeurs pour leur coller un blouson, etc etc. J’aime beaucoup cet exemple parce que, dans le cas d’Avengers, ça donne naissance à un excellent run.
Mais l’important n’est pas dans la qualité ou non d’un titre. L’important, c’est que l’on regarde ce se vend le mieux et l’on copie les aspects les plus facilement reproductibles, le tout de manière très cosmétique. Donc très superficielle.
Ce n’est plus la même chose que lorsqu’un Denys Cowan ou un Ed Hannigan tente d’imiter le Frank Miller de Daredevil afin d’en retrouver le dynamisme. Recopier les hachures et les bouches ouvertes de Jim Lee, ce n’est pas pareil que reprendre les cases sans traits de mouvement, les titres dans le décor et tous les tics de Miller.
La copie, « l’infection », ne se fait plus sur le fond, mais sur la forme, et ne se fait plus à partir d’une série méconnue mais novatrice, mais à partir d’un titre vendeur dont on décalque les gimmicks. Et on l’applique à d’autres séries déjà vendeuses, ce qui induit que le fond de catalogue est davantage laissé tout seul, à se démerder vaille que vaille.

Cette recherche du profit à court terme n’est pas idiote en soi. On cumule des profits qui épongent les frais, et on crée des arbres bénéficiaires qui financent la forêt déficitaire. Ça rassure les actionnaires. Mais on a vu les dégâts à l’échelle des points de vente (spéculation, surstocks…), et au niveau du catalogue, qui s’appauvrit.
Qui plus est, cette logique amène à la constitution de gros catalogues. Si un titre mutants voir vengeurs fonctionne, on en fait quatre autres. Et comme on a des sous, on réinjecte les bénéfices et investit et on lance d’autres séries dans la foulée, afin d’occuper les rayonnages, avec des produits moins porteurs jouissant de budgets moins grands, si bien qu’on y colle des auteurs moins chevronnés.
(Après, moi, j’aime bien, hein : j’ai lu pas mal de Deathlok, de Sleepwalker et de Silver Sable, dans les années 1990, c’est pas désagréable de goûter à une soupe différente…)

Dernier point, toute cette évolution a un impact sur les auteurs. Je ne suis pas sûr que la configuration qui a vu l’émergence d’Alan Moore, de Frank Miller ou de Mike Mignola, pour citer trois des gars les plus en vue (on pourrait penser aussi à Neil Gaiman) soit reproductible aujourd’hui.
Dans les années 1980, les auteurs « à forte personnalité » restaient un certain temps sur une série, histoire de laisser leur patte. On a vu que la rotation des séries est aujourd’hui accélérée dans des catalogues plus gros. Mais un autre fait vient jouer, c’est la présence de structures éditoriales permettant d’accueillir des projets personnels. Pour des gens comme Moore ou Miller, ce n’était pas facile, à l’époque. Ronin marque les débuts de la reconnaissance et du paiement des royalties, mais il faudra attendre Give Me Liberty pour que Miller fasse un truc chez les indés. Aujourd’hui, un gars comme Rick Remender, qui rentre un peu dans la logique de contamination qu’on évoquait plus haut (son Uncanny X-Force était une série mutante secondaire qui a pris tout le monde par surprise, pour autant que je me souvienne), quand il a commencé à tester les limites chez Marvel, il est passé directement chez Image (ou presque : son graphic novel Avengers est l’équivalent, toute proportion gardée, d’un Dark Knight ou d’un Watchmen, un projet spécial en termes d’impression en partie bâti sur son nom).

Tous ces éléments font que, aujourd’hui, l’évolution (si tant est qu’il y en ait une, le traitement réservé à Da Costa ou à Pym montre que c’est fait un peu au pifomètre, avec de fréquents retours à la case départ) des personnages est plus ou moins dictée par l’équipe éditoriale. Et que les conditions facilitant l’émergence d’un auteur fort susceptible de propulser une série dans une direction ne sont pas réunies.
Qui plus est, avec la structure actuelle, qui implique des relances fréquentes au numéro 1, notamment quand les auteurs s’en vont, les tentatives de direction nouvelle sont oubliées sitôt que l’auteur les ayant initiées est parti sous d’autres cieux. L’exemple qui me vient à l’esprit, c’est Hickman sur les titres Vengeurs. Personnellement, je n’ai pas aimé, parce que j’ai trouvé ça froid, avec des personnages que je ne reconnaissais pas et un aspect répétitif qui faisait ressembler le projet à une vaste escroquerie. Mais force est de reconnaître qu’il a proposé plein de choses nouvelles, autour de la composition de l’équipe, du rôle de certains personnages, de la redéfinition de certains concepts.
Marvel s’est empressé de créer un événement qui « annule » ou « invalide » plein de choses (tout en faisant du buzz et en vendant des tombereaux de fascicules : win win game), puis de lancer plein de série qui, pour l’essentiel, se contentent de mentionner vaguement la fin de l’équipe tout en proposant des variations sur « ce que devraient être les vengeurs ». Ultimates conserve l’aspect cosmique mais Ewing joue avec un casting secondaire. La série avec Da Costa est sans doute la seule à conserver un apport important de Hickman. Mais celle de Waid et celle de Duggan font comme si rien ne s’était déroulé, signe évident que les « directions nouvelles » ne durent que le temps de la prestation du scénariste qui les inaugure. Un peu comme les promesses qui n’engagent que ceux qui les écoutent.

Pour ma part, la constatation de l’évolution des conditions de fabrication fait que je ne suis pas vraiment nostalgique. Je picore des choses qui m’intéressent (les séries de Mark Waid, le Moon Knight de Lemire…), je me tiens au courant, tout en regrettant qu’il n’y ait pas un plus grand suivi d’un run à l’autre (la transition Bendis / Brubaker / Diggle sur Daredevil me semblant une réussite éditoriale, où l’on sent une évolution sur l’ensemble de la série, sans que la personnalité des auteurs soit écrasées). Mais cette évolution nourrit mon désintérêt croissant pour le genre, parce que cela rend l’ensemble plus difficile à suivre et surtout que la personnalité des héros est diluée dans ces changements à vue.
Au final, je m’oriente davantage vers des séries que je qualifierais de « chemins de traverse », pour reprendre une expression que Nikolavitch avait utilisée afin de désigner les petites séries DC de la fin des années 1980, qui balançaient énormément d’idées et de plaisir de lecture sans pour autant ramasser autant de lecteurs que les grosses vedettes (il pensait à Firestorm et à plein de séries d’Ostrander, mais pas que…). Le Hawkeye de Fraction, les récentes versions de Moonknight, le Nightcrawler de Claremont, la Black Widow de Waid (ou le Larfleeze de Giffen et DeMatteis chez DC), et d’autres que je n’ai pas encore lues (je pense à Vision) me tentent davantage, parce que c’est là que je trouve plus de surprises et moins d’ingérence éditoriale.

Jim