GREEN ARROW t.1-5 (Jeff Lemire / Andrea Sorrentino) + INTÉGRALE

Je pense aussi que nos années de lecture jouent dans la balance. Certaines périodes commencent à avoir une belle patine dans notre esprit parce que leur évocation renvoie aux bonnes choses, aux meilleurs titres ou aux plus beaux souvenirs de lecture. Alors qu’aujourd’hui, on est plongés dedans et on n’a pas eu encore le temps de se constituer de beaux souvenirs.
Prenons les années 1990 (auxquelles le DC actuel, fortement marqué par Jim Lee et Bob Harras, me fait hélas beaucoup penser). Les années 1990, c’est la période de la surenchère en munitions, des cross-overs à rallonge et des dessins « in your face ». Mais c’est aussi la décennies de Kingdom Come, l’arrivée de Warren Ellis sur StormWatch ou de Waid sur Flash, la création de New Warriors, de X ou de Ghost, les Avengers de Bob Harras et Steve Epting, c’est les premiers pas de gens comme Joe Lee, Alex Maleev, David Lapham, Tony Bedard… et sans doute plein d’autres choses auxquelles je ne pense pas mais qui viendront à l’esprit de plein de gens.
Parmi les titres cités, y en a quelques-uns qui ont fait bouger les choses et qui ont proposé des pistes. Qui plus est, si le genre a connu une période creuse à l’époque, il est toujours aussi vivace aujourd’hui, parce qu’il est passé par une phase de redéfinition et de consolidation (via Authority, Ultimates, Ex Machina et quelques autres…). Ça fait quand même trente ou trente-cinq ans que la surproduction touche le genre et que les éditeurs produisent plus de produits moyens voire mauvais que de bons.
S’il y a des raisons de moins acheter aujourd’hui, il n’y en a pas de désespérer du genre.
Enfin, je pense à deux choses. D’une part le genre lui-même est un peu pétochard et n’ose pas explorer de nouveaux terrains. Mais ça, on le sait depuis la fin des années 1980, depuis que Claremont a tenté d’emmener les X-Men ailleurs, et qu’il a été brutalement au Manoir de Westchester*. D’autre part, pour en revenir au Green Arrow de Lemire, son run profite du fait que les épisodes précédents étaient d’une médiocrité cosmique (ça aide…), mais il joue également sur les attentes du lectorat, notamment du vieux lectorat. Par exemple en ramenant Shado sous une forme nouvelle (ou Richard Dragon ou Butcher…), ou en faisant des références à Miller. D’une certaine manière, c’est une fan-fiction, mais bon, depuis Roy Thomas, les histoires de super-héros sont des fan-fictions. Là, le Green Arrow de Lemire s’inscrit dans une logique de commentaire, en faisant un bilan du personnage actuel par rapport à l’ancienne version. C’est assez marrant à suivre, je trouve. Mais ce faisant, effectivement, il répète des choses. Ma foi, c’est aussi le plaisir du feuilleton, je crois, que de renouer avec des schémas connus.
L’autre force de ce run, c’est Sorrentino, qui joue à fond sur les possibilités de la narration BD. Et ça, c’est un point important, parce qu’il y a le fond, et il y a la forme, et faudrait pas l’oublier.
Je suis d’accord, assez souvent des auteurs (qu’on qualifiera rapidement d’indés) sont appelés pour faire des choses chez les majors, et leurs boulots sont pas toujours à la hauteur. Parfois oui, parfois non. Mais Lemire, que ce soit sur Green Arrow ou sur Justice League Dark ou sur Superboy, fait preuve d’un amour et d’une connaissance sincères des personnages, et d’une envie et d’une générosité assez rares pour être notées. S’il y a une impression qu’il ne donne pas, c’est celle de bosser pour payer les factures.

Jim

  • Un autre truc, les « chemins de traverse ». C’est une expression de Nikolavitch désignant les petites séries secondaires des univers de super-héros, genre le Suicide Squad d’Ostrander, par exemple, à opposer aux grosses séries immuables. Ça a toujours existé, mais dans le DC de l’après Crisis (grosso modo, 1986-2000), c’est frappant. C’est souvent là qu’on trouve les concepts forts, les idées ingénieuses, les tentatives d’aller dans des directions nouvelles, et la plupart du temps un gros plaisir de lecture. Rien que chez DC, c’est Suicide Squad, c’est Firestorm, c’est Spectre, c’est Martian Manhunter (ouais, plein d’Ostrander), c’est le Hourman de Peyer, c’est l’Orion de Simonson, c’est la Harley Quinn de Kesel, plus récemment c’est l’OMAC ou le Larfleeze de Giffen, c’est le Frankenstein de Lemire… Et l’on se rend compte que souvent, ces séries apportent des manières de faire qui parfois prennent des décennies à germer, mais qui finissent par porter leurs fruits.