GUNSMITH CATS t.1-8 (Kenichi Sonoda)

Je me posais la question cette après-midi, en fait.
Ma première réflexion a été de me dire que les comics sont passés du kiosque à la librairie sur un laps de temps beaucoup plus long que les mangas, qui sont arrivés assez vite en librairie, et ont donc été confrontés à la fois à une exigence méthodologique (en interne) et au regard du public (en externe). Le fanzinat comics s’est imposé au tout début des années 1980, et somme toute précède de peu le fanzinat manga (que je date de Mangazone, donc vers 1988 ou 1989 je crois, mais je me trompe peut-être).
Je pense que la presse spécialisée (amateur ou non… mais la presse amateur a l’avantage d’être spécialisée, et donc pointue) a exprimée assez vite un avis sur les traductions (notamment par le prisme de la censure, qui occupait bien les pages de Scarce au début des années 1980, par exemple), attirant donc l’attention du public sur cette dimension, mais aussi des éditeurs.
Donc, pour faire court, je pense que l’édition manga a vécu en accéléré ce que l’édition comics a vécu sur un temps plus long (parce que c’était longtemps cantonné aux kiosques et que, au pays de l’album roi, tout le monde s’en fout).

C’est un peu l’arrivée des super-héros en albums (donc dans la deuxième moitié des années 1980) qui a fait naître des débats sur la traduction. Je me souviens de nombreuses critiques à l’égard des traductions de Janine Bharucha pour la collection « Comics USA », critiques qui me semblent assez injustifiées tant ses traductions, parfois un peu sèches, me semblent plutôt fidèles et de qualité. Mais Janine, épouse de Fershid, incarne ces pratiques dites « à la débrouille », où l’on fait tout en famille, entre amis… Phénomène qui se retrouve chez quelques éditeurs, dont Delcourt. C’est aussi de bonne guerre : on bosse avec des gens qu’on connaît et qui sont proches, quand on monte des structures.
Et dans cette période transitoire, la traduction est devenue un enjeu. Il n’est que de se souvenir de la promo faite autour du nom de Jean-Patrick Manchette pour sa traduction de Watchmen, ou bien de l’argument avancé d’une nouvelle traduction du Dark Knight pour l’édition Zenda, après celle de l’édition Aedena.

Avant cette période de passage du kiosque à la librairie, les éditeurs traduisaient avec une grande liberté. Ça fonctionnait pas mal chez Lug, où l’équipe était parfois elliptique mais imposait un argot et un ton naturel qui fonctionnait bien. Ils semblaient aussi connaître le matos, s’intéresser. Et ils avaient de bons lettreurs (dont Rémy Bordelet). Et ça marchait beaucoup moins bien chez Sagédition (style télégraphique) ou chez Arédit (lettrage machine et traduction raide). Mais à l’époque, sans le coup de projo de l’édition librairie et sans la presse fanzine, le lecteur consommait : après tout, il n’y avait que ça, ce qui fait encore un point de comparaison avec les premières éditions manga.

Jim

Ah je me disais que des cas comme Genevieve Coulomb était symptomatique de l’époque

À l’époque, du temps des kiosques, les traducteurs n’étaient pas cités (ou alors exception rarissime), du coup il n’est pas facile de repérer qui faisait des bêtises, s’il y en avait. Il me semble que c’était Geneviève qui faisait X-Men dans Spécial Strange. Stéphane Deschamps, qui a quitté le milieu des traducteurs il y a longtemps et qui était assez fan du boulot de Geneviève, relevait qu’elle glissait des répliques de Molière dans des dialogues. Genre « qui se sent morveux, se mouche ». Geneviève avait un style vieillot, avec des argots un peu suranné, mais un vocabulaire riche. Et elle faisait merveille sur des séries avec des personnages au langage un peu châtié, voire ampoulé. Il me semble que chez Panini, elle a traduit du Thor, et ça lui convient bien. C’est à la charge d’un éditeur de confier à un traducteur un produit qui corresponde à ses forces, à ses capacités. Et bien souvent, dans les critiques énoncées à son encontre, on voit bien que ceux qui n’apprécient pas ne connaissent pas le vocabulaire qu’elle emploie, et prennent pour une erreur ce qui n’est qu’un choix. L’exemple de « coturne » est à ce titre parlant.

Parmi les traducteurs qui officiaient mettons il y a vingt et quelques années, j’ai vu des erreurs bien plus graves. Des niveaux de langue qui ne sont pas respectées, des références culturelles qui ne sont pas comprises, etc etc. Traduire « desert storm » par « tempête de sable », c’est le signe qu’on n’allume jamais la radio, genre… Dans les Fantastic Four de Mark Waid, il y a une astuce narrative consistant à étaler une conversation téléphonique sur deux numéros (dans le premier, on voit le versant Johnny, et dans le suivant, on voit le versant Sue). La traductrice qui s’en est chargée n’a pas compris, d’un mois sur l’autre, qu’il s’agissait du même épisode et elle a donc retraduit la conversation entière, dans une autre formulation. Et personne dans la rédaction ne s’en est aperçu. C’est à des choses comme ça que j’ai renoncé à lire de la VF.
Mais quoi qu’il en soit, aucune de ces erreurs n’est du fait de Geneviève.

Jim

Je confirme. Au moins sur ceux de Simonson. Et moi, j’ai adoré (je l’avais écrit dans ma chronique à l’époque d’ailleurs)

Il me semble (mais j’ai la flemme de vérifier) qu’elle a aussi officié sur ceux de Dan Jurgens. Et de mémoire, c’était très convenable.

Jim

Il peut y avoir aussi le travail d’adaptation graphique (des onomatopées, principalement, qui occupent une grande place dans le manga) et le lettrage…

Concernant la traduction, en effet, elle est bien plus professionnelle aujourd’hui chez la majorité des éditeurs (même si ça n’empêche pas les âneries). À l’époque, beaucoup de traductions ont été effectuées plutôt par des étudiants en japonais que par des traducteurs professionnels (même s’il devait y en avoir).

Il y a aussi « Belmotte » pour « Vermouth » dans Détective Conan ou « Rivaia-san » pour « Leviathan » (que j’ai vu dans plusieurs titres, dont Yu-Gi-Oh!)…
Et le célèbre Livaï (pour Levi) dans L’attaque des Titans… qui a un spin-off dédié (_Birth of Livaï) dont les couvertures japonaises arborent bien un « Birth of Levi » en lettres latines…
Il y a plein d’autres exemples de mauvaises transcriptions depuis le japonais, mais ce sont celles qui me viennent à l’esprit (Ah, et pour revenir au chien Blanco, il s’appelle Blanca en japonais…).

Ah, c’est donc ça qui m’a poussé à revenir !

Je n’aurais pas dit ça comme ça : il y avait un travail d’adaptation, ce qu’il n’y a presque plus : aujourd’hui, on traduit plus qu’on n’adapte, alors qu’à l’époque on adaptait beaucoup (voire on modifiait le sens des répliques qui étaient gênantes). Je trouve certaines traductions d’aujourd’hui un peu trop lisses (mais elles sont plus fidèles, c’est certain).

Il y avait un peu de ça, j’ai l’impression.
Et ça a duré pas mal de temps, d’ailleurs. Ça et le recrutement de traducteurs avant même la fin de leurs études. Certains traducteurs proviennent du milieu du scantrad, aussi (je mets au présent, car certains traduisent encore des mangas à l’heure actuelle).
Je connais une fille qui a traduit certains mangas… Ce n’était pas du tout son métier, et elle a fait de belles bourdes dans certaines de ses traductions… Heureusement qu’elle n’en a pas traduit beaucoup.

Non, quand c’est passé de MSE à Pika, Pika a sorti les suites des séries en cours (enfin, pas toutes : Belle Starr, Possession Tracer ou Rampou n’ont pas survécu à la fin de MSE), puis a réédité les débuts, mais sans en changer la traduction. Seule la maquette a été modifiée (principalement la jaquette… Il faut dire que la maquette Manga Player avec son énorme éclaté était assez immonde).

Je pense que tu mets le doigt sur le coeur du problème. Bon, et les traducteurs de littérature japonaise n’étaient peut-être pas intéressés par la traduction de mangas… Ce sont deux mondes très différents (dans le même ordre d’idées, un film d’Ozu est aux antipodes de Goldorak)…

Tori.

Toute la période bénie de « Player One » où Gunsmith Cats et OMG étaient prépubliées…
Ca me donne envie de prendre ces nouvelles éditions!!!

Que de souvenirs!

Pasionnant.
Et ouais, je trouve que certaines traductions se lâchent bien, parfois, parviennent à ne pas faire sentir qu’il y a un texte d’origine, derrière. J’aime bien.

Ah, Belle Star, j’en ai un bon souvenir, j’en aurais bien repris une tranche.
On sait ce qui a motivé ces choix ? Les ventes, sans doute ? Ou bien des goûts personnels ? Ou des soucis de droits (je garde toujours à l’esprit ce que tu avais dit sur Raïka, avec l’éditeur japonais qui avait arrêté…).

Jim

Ah oué c’est marrant car il y a pas longtemps (je crois que c’est One Punch ou une autre série p’tet Chainsaw), j’ai vu apparaitre des « dingueries » et autres expressions plus modernes qui seront p’tet démodées dans pas longtemps. Ca m’a surpris. J’avais l’impression que ça s’était un peu libéré.

Ah, ça, l’utilisation de tics de langages qui font l’effet de modes, ça m’agace un peu, parce que ça veut faire jeune (en utilisant ou essayant d’utiliser le vocabulaire des jeunes) mais, comme tu le soulignes, ce sera peut-être vite démodé.

Et, bien que plus fidèles, il y a de temps en temps des petits arrangements : le vocabulaire, comme dans l’exemple que tu donnes, est « djeunifié », ou bien une référence française est glissée… Bon, en revanche, je trouve qu’il y a régulièrement des fautes (de grammaire, de conjugaison, d’orthographe… ou, carrément, des phrases qui ne sont pas françaises).

Tori.

C’est sympa pour l’instant (je remets le nez dedans et tout cela était parti bien loin), outrancier, plein d’action, avec des séquences musclées et de grosses fusillades. J’aime bien, même s’il me manque un truc, mais je n’arrive pas à savoir quoi. Je vais continuer ma lecture pour en savoir plus.

Je te remercie d’avoir remis le sujet en haut de la pile. Comme je l’exposais plus haut, c’est ma période « Player One » et je me souviens parfaitement de cette série, surtout des premiers épisodes.

Tu résumes bien le ton de la série, outrancier par moment, violent avec une passion pour Sonoda à dessiner des mains qui explosent (!!!) surtout avec deux « nénettes » au joli minois.

Ce qu’il manque, je dirais que c’est narratif. Ca va très vite, ça manque un peu de temps d’exposition et de respiration. Mais les héroïnes sont tellement attachantes que je prendrais la suite!

Oui, c’est peut-être le rythme. Il faudrait que je trouve le temps de tout relire. J’ai toujours l’impression que ça ne démarre pas (ou, a contrario, qu’il fait des ellipses afin de faire avancer le récit). Moi aussi, en tout cas, il me manque un petit truc…

Jim

J’ai omis d’en parler mais les ellipses sont parfois mal placées ou presque subies par le lecteur. Ca manque de petits moments d’exposition. Mais le récit dégage d’autres qualités très fun!

C’est quand même parfois un peu sec.
Au sein d’un épisode, ou d’un chapitre à l’autre.

Jim

Prends un Gin avec. Il parait que ça passe tout seul.