Les hasards de mon carnet de commande de traductions m’ont amené récemment à croiser deux fois le chemin des Eternals de Kirby. Il n’en faut pas plus pour que, alors que la charge de boulot s’allège, je replonge dans mon fameux rayon ésotérique (que j’ai déménagé en février dernier à la faveur du passage d’un ami qui a profité de l’occasion pour repartir avec les cent vingt cartons de bouquins stockés chez moi depuis dix ans, autant dire que ça fait un peu de place pour ranger d’autres babioles). Et j’en ressors avec mon édition de Présence des extra-terrestres.
Je l’ai en édition Robert Laffont, dans la collection « Les énigmes de l’univers », mais je crois en fait que je ne l’ai jamais lu en entier.
Il s’agit du fameux ouvrage de l’écrivain Suisse allemand Erich von Däniken, Erinnerrungen an die Zukunft, paru en 1968. Le livre, qui constitue, selon l’expression consacrée, un véritable succès de librairie, a été traduit en Amérique sous le titre Chariots of the Gods (sous lequel il est sans doute plus connu, d’ailleurs) et, donc, en France sous celui de Présence des extra-terrestres. Chose amusante, les deux titres décident de s’éloigner de la version germanophone, qui pourrait se traduire par « souvenirs du futur », ou « mémoires du futur » (j’aurais presque envie de le traduire par « vestiges du futur », pour ma part), loupant ce qui m’apparaît comme une petite étincelle de poésie absurde.
Bref.
Et donc, je me replonge dedans.
Et franchement, c’est assez drôle. Et très sympa.
Mais l’argumentation et la construction des chapitres reposent sur des astuces littéraires assez grossières. Däniken recourt notamment souvent à l’indignation, face aux arguments des spécialistes (rappelons que lui-même n’est spécialiste de rien), sur le ton du « mais voyons, c’est absurde ! » La répétition du procédé est un peu lassante.
Néanmoins, la petite taille des chapitres permet un matraquage assez efficace et, surtout, l’auteur débute son raisonnement (à la hauteur du deuxième chapitre, je crois), par une astuce retorse : il postule que si nous atteignons un monde habité (on est en 1968 je le rappelle, alors que la course à la Lune occupe les médias du monde entier), nous risquons d’apparaître comme des dieux omnipotents aux yeux des indigènes. Ce qui lui permet dès lors d’inverser le propos et de proposer l’idée selon laquelle la situation inverse s’est déjà produite sur Terre, à la préhistoire par exemple.
Malgré ces pirouettes de foire, le bouquin est amusant parce qu’il donne le ton de ce qui deviendra une branche de l’ufologie fertile en idées frappadingues. Les exclamations d’indignation qui ponctuent son bouquin annoncent déjà des émissions comme Alien Theory (alias Ancient Aliens, à laquelle il participe d’ailleurs), des décennies plus tard.
À lire le bouquin, j’ai la paradoxale impression de ne pas l’avoir lu précédemment (ou pas en entier, c’est sûr) mais d’en connaître déjà le contenu. Sans doute parce que, bon, le sommaire est déjà vu et revu : les étranges géoglyphes de Nazca, la disparition de Sodome et Gomorre, tout ça tout ça. C’est assez marrant de relire tout ça avec mes années de lecture de comics en tête.
Une dimension me frappe néanmoins, à la lecture des différents chapitres (j’approche de la fin) : Däniken, quand il aborde ce que l’on appellerait aujourd’hui des expériences génétiques, sur les humains de l’époque (pas située, l’époque, hein : une sorte de vaste préhistoire où les hommes sont des « primitifs »), il insiste sur deux choses : l’hybridation entre les autochtones et les visiteurs, et surtout le caractère « beau » des progénitures que ça engendre. Il glisse l’idée que les visiteurs réagissent ensuite de deux manières différentes, soit en détruisant les preuves de ces mélanges illicites (Sodome et Gomorre, par exemple), soit en capturant les rejetons afin de les relâcher ailleurs en vue de développer une autre souche de l’humanité. En soi, c’est intéressant, mais l’insistance sur la « beauté » des hybrides, elle-même associée à une augmentation de l’intelligence chez cette nouvelle génération, conduit immanquablement à faire jaillir du texte une vision eugéniste. Däniken (en tout cas dans ma version traduite…) laisse entrevoir une sorte d’échelle, de classement, de jauge, associant les expériences des visiteurs à une entreprise d’amélioration de la race. Il ne manque pas de mettre ça en parallèle avec l’idée que « dieu a créé l’homme à son image », ce qui induit que les visiteurs incarnent une sorte de perfection (dans leur esprit en tout cas) vers laquelle ils tentent d’attirer leurs cobayes. Et fatalement, de la part d’un auteur germanophone né en 1935, donc exposé, tôt ou tard, à ce genre de littérature, ça teinte un peu la lecture.
Mais au-delà de ce point précis, la redécouverte du bouquin constitue un divertissement très agréable.