LA NUIT DES MALÉFICES (Piers Haggard)

Puisqu’on en causait dans le tout récent sujet consacré à Witchfinder General, je me permets une petite bafouille ici.

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Danny, viens jouer avec nous…

Le film de Piers Haggard n’est pas dénué de défauts. La qualité du jeu d’acteurs y est… disons, pour être gentil, « aléatoire ». Le scénario n’est pas exempt de maladresses, balourdises et raccourcis, avec de temps en temps des personnages qui semblent réagir de façon franchement absurde, ou qui oublient opportunément des informations : ainsi toute une séquence du film est dévolue à la recherche de qui a tué un enfant, alors que les coupables se sont vantés très explicitement de leur acte PAR DEUX FOIS (devant la mère de la victime, et devant le prêtre qui reste curieusement muet quand il se retrouve accusé). Enfin, les deux dernières minutes (spoiler !) virent aussi malencontreusement que brutalement au ridicule, lorsque la cérémonie finale est interrompue pour faire place à une poignée de plans de « scène d’action » au ralenti, dont c’est peu dire qu’elle ne tient guère les promesses qui ont été faites auparavant — que ce soit celle de la férocité inusitée dont le juge avait prévenu qu’il comptait user (il se contente d’agiter sa grande épée en l’air en faisant des grimaces), ou celle des grands pouvoirs de l’entité maléfique qu’il affronte (qui se laisse embrocher au-dessus du feu comme une vulgaire brochette sans offrir de résistance, la moitié des figurants restant par ailleurs sagement immobiles).

Malgré cela, qui empêche qu’on puisse vraiment parler de chef-d’œuvre du Septième Art, The Blood on Satan’s Claw / La Nuit des maléfices reste au moins un incontournable, non seulement de par son statut « historique » de pierre angulaire de la folk horror, mais aussi pour son côté fascinant et pour des qualités, je trouve, compensent assez largement les défauts.

Le Doc a déjà mentionné la présence d’une photographie et de cadrages superbes et très travaillés. Concernant ces derniers, je ne sais pas en revanche si j’irais jusqu’à dire que leur but est « d’évoquer l’importante connexion à la terre des habitants » : cette façon de les présenter « enfouis » dans la végétation (quand ils ne sont pas complètement perdus ou enfouis au milieu des arbres ou des fourrés, ils sont présentés par des « cadres dans le cadre » formés de branchages qui les enserrent, par exemple :

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… ce qui me semble plus relever de quelque chose d’assez étouffant, voire anxiogène, que d’une simple et plus positive « connexion ».)

Également évoqué et expliqué par le Doc, le côté un peu décousu du scénario ne me gêne pour ma part pas tant que ça : même s’il s’agit peut-être plus d’une « poésie involontaire » que d’un effet pleinement intentionnel, le fait que toute cette histoire reste remarquablement floue, dans ses tenants et aboutissants ou la logique de ses péripéties, participe pour moi à l’atmosphère mystérieuse de l’ensemble (même si, il faut quand même le dire, cela pourra frustrer des gens plus fermement attachés à une narration plus classique).

Mais une part non négligeable de la fascination qu’exerce le film tient peut-être aussi au choix de se focaliser, comme source ou en tout cas vecteurs du Mal, essentiellement sur un groupe d’enfants et d’adolescents. Cette approche — qui donne par moments au métrage un petit côté Village des Damnés — prend à rebours ce qui pourrait être un attendu logique de la veine horrifique « folk » : si l’on retrouve ici l’opposition entre une ville « moderne et civilisée » (d’où vient le juge) et une ruralité servant secrètement de conservatoire aux « voies anciennes », on s’attendrait en effet à ce que ces dernières soient plutôt l’apanage… eh bien, des anciens, justement. En se focalisant à l’inverse sur Angel et sa bande de cultistes en culottes courtes, a priori largement coupés de toute tradition (à l’inverse de ce qu’on trouvera dans The Wicker Man, exemplairement), le film donne à sa (nébuleuse) menace un côté beaucoup plus primal, un resurgissement inexpliqué (le point de départ de la « contagion » étant littéralement le fait que le paysan du coin déterre quelque chose en retournant la terre) et, du coup, hors de toute possibilité de contrôle.

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Cet aspect du film, en outre, me semble ouvrir à une autre lecture quand on le replace dans le contexte de l’époque.

On lit souvent que la folk horror procède d’une réaction face aux désillusions du mouvement hippie (échec du « retour à la terre », tout ça tout ça). — Sans prétendre évacuer complètement cette approche, elle ne me semble pas non plus être intégralement valable non plus. Que des films finalement assez tardifs comme cette Nuit des maléfices et The Wicker Man aient été élevés au rang d’exemples-types de cette veine ne doit en effet pas occulter qu’il a des racines tout de même un poil plus anciennes (et des exemples cinématographiques pour l’illustrer), au cours des années 50 et 60, et qui ont à voir avec d’autres phénomènes. — Toutefois, dans ce cas précis, le fait est que le film de Piers Haggard sort bel et bien alors que la contre-culture hippie est en pleine descente d’acide (post-Altamont, post-Manson…). Du coup, dans ce contexte, il est difficile de ne pas se dire que la jeunesse représentée dans le film, s’adonnant à une sexualité inquiétante et à des rites incompréhensibles sur fond de musique inécoutable, renvoie sans doute bien aux peurs d’une époque.

La figure du juge et les « extrémités » auxquels il se dit prêt à se livrer pour extirper le Mal montre toutefois, à mon avis, que la vision ici n’est pas purement réactionnaire : personne ne sort vraiment grandi de l’affrontement, même si la fin un peu bâclée (faute de budget, visiblement), que j’ai déjà mentionnée, évacue malheureusement un peu cette dimension qui aurait pu rendre ce conflit encore plus intéressant.

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