Le film est très agréable. Et assez futé. En bref, dans la lignée du précédent, dont il reprend les personnages, mais également les enjeux, la dialectique, la psychologie, afin de tirer un film « conséquences ».
C’est d’ailleurs l’une des grandes forces du scénario, montrer que les personnages sont le fruit d’une expérience. Ça dépasse le simple déterminisme (genre « il tue parce qu’il a eu une enfance malheureuse ») qui aurait pu sonner comme du Zola à la petite semaine, et servir un discours de droite (« les pauvres sont pauvres et les méchants sont méchants parce qu’ils sont nés comme ça »), d’autant que tous les personnages luttent, chacun à leur manière et chacun avec ses moyens, contre le formatage que l’expérience lui a fait subir. En cela, il n’y a pas de pur méchant. Il y a des méchants, dans les deux camps, mais ce sont souvent des personnages qui font les mauvais choix sur un coup de tête, voire sciemment, mais après des dilemmes intérieurs, pas par pure malignité. De sorte, les personnages sont riches.
L’autre chose qui m’a semblé intéressante (et en cela, j’irais contre l’avis de notre Seigneur de Babylone préféré), c’est justement de montrer une société humaine survivante dont la situation chronologique est bien précisé (dix ans plus tard). C’est suffisant pour qu’un semblant de civilisation ait pu sédimenter, mais pas assez pour qu’une nouvelle culture se soit installée. Les personnages (dans les deux camps là encore) vivent dans le souvenir de ce qui était avant, et cela pose la question de la reconstruction. Reconstruction double, d’ailleurs, puisque d’un côté il y a un îlot humain et de l’autre un village simien, qui bâtissent deux modèles de société, aucun ne pouvant s’émanciper de la société humaine du premier film. Cela amène une interrogation sur le rapport à la technologie, à l’arme à feu, à l’éducation, au langage, qui est assez bien résumé dans les premières minutes du film. Le singe imite l’homme, mais le survivant imite l’homme du passé. Ça, c’est assez bien vu.
Et c’est d’autant bien vu que, justement, le film débute dix ans après l’épidémie, quand les deux groupes se retrouvent presque à égalité (numérique, technique, logistique…). Voir la chute de la civilisation humaine ne me semble pas très intéressant en soi, et n’aurait au final que dirigé l’empathie et l’identification vers l’humain. Or, il me semble que tout le propos des scénaristes est de canaliser cette identification vers le singe. Le film commence sur les singes, qui se sont organisés en société et reproduise des activités fondatrices de l’humanité (la chasse, notamment…), témoignant de la proximité qu’ils entretiennent avec l’homme (et donc avec le spectateur).
Et c’est là sans doute que le film prend une dimension vraiment intéressante.
D’une part, il évite l’angélisme qui accompagne souvent les récits autour de sociétés animales, où l’homme est le grand méchant. Là, les singes reproduisent les mêmes travers. Bon, c’est traditionnel, dans la licence Planète des Singes (le vieux cycle hestono-franciscain, la série télé, le film burtonien et les deux récents opus…), mais de mémoire, c’est la première fois qu’une intrigue propose une véritable confrontation entre deux groupes de taille et de poids à peu près égaux. On aurait pu avoir une prise de parti tranchée, mais en fait, non, c’est assez subtil.
D’autre part, si l’on part du principe que le spectateur est invité à s’identifier aux singes par l’ouverture du film (comment Denny Colt appelait-il, déjà, les cases de Grant Morrison où le personnage regarde le dessinateur ? « direct to eye » ? « eye to eye » ?), on peut considérer que les singes, c’est les Américains. Tout confirme cette lecture : il s’agit d’une civilisation en rupture de ban avec la société qui l’a abritée (et torturée, et marchandisée), mais qui reproduit les structures de la société précédente, celle-ci étant représentée par une poche d’humains survivants baptisée « la colonie », comme les colonies anglaises d’avant l’Indépendance. Dans cette perspective, il devient intéressant de constater que la « guerre » est déclenchée par un va-t-en-guerre paranoïaque mais pétri de bonnes intentions, qui préfère inventer un ennemi imaginaire afin de créer le conflit plutôt que de le subir, dans une version perverse du « si vis pacem, para bellum ». Et si l’on accepte la métaphore de l’Amérique, alors on a ici le portrait d’une Amérique qui invente un conflit pour affirmer son existence. Je trouve ça vertigineux.
C’est d’autant plus fort que le film se termine sur la promesse d’un contact avec des renforts humains, dont rien ne nous affirme, nous spectateurs, que c’est vrai. Le peu qu’on a entendu des messages radios sont des propos apparemment humains mais parfaitement inaudibles. Le mexican stand-off entre Malcolm et Dreyfus repose sur un bluff, dont le premier n’a pas l’explication, et qu’il transmet à César comme argent comptant. La société des singes, endurcie par le conflit, va donc se fédérer autour d’un mythe, celui de l’attaque imminente venue de l’extérieur. Il suffira d’un simple camion traversant la forêt par hasard pour conférer corps à ce mythe, et donner à cette nation naissante et paranoïaque des raisons de guerroyer.
Là encore, la métaphore tabasse.
Au-delà de ça, le film, au premier degré, est agréable. La scène d’action d’ouverture est assez bien amenée et ne fait pas « in your face », les décors sont pas mal (la San Francisco noyée dans la végétation est plus convaincante que la New York de Je suis une légende), le filmage contient quelques bonnes idées (la tourelle du char), les acteurs sont formidables (je ne connaissais pas Jason Clarke, et je trouve Keri Russell réellement craquantes), et la construction prend son temps sans donner l’impression de traîner.
Bref, aussi agréable à regarder que riche à commenter.
Tout bonus.
Jim