LA TRAVERSÉE DE PARIS (Claude Autant-Lara)

REALISATEUR

Claude Autant-Lara

SCENARISTES

Jean Aurenche et Pierre Bost, d’après la nouvelle de Marcel Aymé

DISTRIBUTION

Jean Gabin, Bourvil, Louis de Funès, Jeannette Batti…

INFOS

Long métrage français/italien
Genre : comédie dramatique
Année de production : 1956

Salauds de pauvres !

Paris, pendant l’Occupation. Epoque troublée mais les premières minutes sont traversées par certains moments de légèreté. Il y a même un petit côté vaudevillesque dans la présentation des protagonistes pendant la scène du restaurant. Martin (excellent Bourvil), un chauffeur de taxi au chômage, y entre avec sa femme pour retrouver un de ses camarades en vue d’un habituel boulot clandestin : transporter à pied quatre valises remplies de nourriture destinées au marché noir (du cochon). Il n’y a que six ou huit kilomètres à parcourir…mais dans la ville occupée, cette distance peut paraître très longue…

Mais Martin apprend que son partenaire a été arrêté. Arrive alors un inconnu qui demande du savon pour se laver les mains. Devant le petit jeu qui s’installe entre l’homme et son épouse, Martin s’emporte et dit des mots qu’il regrette aussitôt. Martin se retrouve seul avec l’inconnu qui se présente sous le nom de Grandgil (énormissime Jean Gabin) et lui propose de faire le travail avec lui (surtout parce que Martin croyait au début que Grandgil allait retrouver sa femme). Commence alors une mémorable traversée de Paris, une odyssée picaresque et tendue marquée aussi bien par l’humour que par le drame…

En apparence tranquille pendant son dîner avec Martin (une scène qui a l’air anodine mais qui se montre très intéressante par les interactions entre les clients du restaurant), Grandgil explose littéralement lors de la rencontre avec l’épicier Jambier incarné par un Louis de Funès fiévreux, bourré de tics, irrésistible dans l’expression de la médiocrité de son personnage, un véritable profiteur. Passage inoubliable (et très drôle) d’un film qui en compte beaucoup, premier acte d’une charge féroce contre l’hypocrisie, la passivité, les abus de pouvoir dans une époque qui exacerbe certains comportements et dérives.

Le scénario et la caractérisation cultivent l’ambigüité, en commençant par celle de Grandgil qui se pose en observateur de la condition de ses concitoyens, ce pauvre Martin, dont le but est juste de gagner ce qu’il faut pour survivre, devenant ainsi en quelque sorte le « cobaye » principal de son étude. C’est très bien écrit et servi par une interprétation de qualité. Et la direction artistique est à l’avenant : la reconstitution des rues de Paris en studio, le travail sur un noir et blanc très contrasté font partie des éléments qui appuient sur le danger qui entoure Martin et Grandgil à chaque instant, nourrissant ainsi idéalement le suspense. La réalisation de Claude Autant-Lara (L’Auberge Rouge) ne manque également pas de très bonnes idées, comme la scène de l’arrestation devant la boucherie Marchandot.

Je n’ai pas lu la nouvelle de Marcel Aymé mais d’après la description trouvée sur le net, la fin est beaucoup plus noire. Celle de La Traversée de Paris aurait pu l’être également si elle s’était terminée quelques minutes plus tôt, sur un plan aussi sec, dur que très efficace. Mais le récit ne s’arrête pas là et si l’épilogue a pu être comparé à un happy-end par certains, je le trouve un peu plus nuancé que cela.

Ah, pourquoi ? Bah pour voir jusqu’où on peut aller en temps d’occupation. T’as vu comme on peut aller loin ! T’as vu ce qu’on peut se permettre avec ces foireux-là ? Aussi bien avec les riches comme Jambier, qui se déculottent pour qu’on les dénonce pas, qu’avec les pauvres, qui se déculottent eux aussi ! Alors, eux, on se demande bien pourquoi ? C’est probablement que c’est la mode en ce moment de se déculotter.

1 « J'aime »

Ha oui ? Tu peux en dire plus ? Parce que pour ma part c’est vraiment la « tâche » du film

Laisser planer l’incertitude sur le sort de Martin aurait été une bonne chose…et bien dans le ton du film. Mais elle n’est pas si mal, cette scène sur le quai de la gare. Parce qu’il n’y a pas de retrouvailles dans le strict sens du terme, Grandgil et Martin ne sautent pas dans les bras l’un de l’autre…l’un s’éloigne pour poursuivre sa vie aisée tandis que l’autre reste sur le quai, à continuer de porter des valises. Le jeu et le langage corporel de Bourvil montrent que Martin est fatigué, que ces années avant la Libération n’ont pas été de tout repos…voilà pourquoi je pense que Autant-Lara et ses scénaristes ont ajouté des nuances dans cet épilogue…

Ouais, je suis d’accord.
Et Grandgil est plus classe et plus à l’aise qu’avant, même. On peut mettre ça sur le compte du soulagement lié à la Libération, mais la France est encore dans ses années de privation, et du coup, l’usure de Martin laisse par contraste planer le doute sur le côté presque pimpant de Grandgil.
En gros, on ne sait pas ce qu’ils ont vécu dans le laps de temps qui n’est pas raconté, et on ne saura jamais ce qu’ils deviennent par la suite, ce qui soulève un flot de questions. Et laisse une certaine amertume.

L’un de mes films préférés de tous les temps.

Jim

Intéressant. Pour ma part il n’y a aucune incertitude quand au sort de Martin quand il se fait emmener, la mort l’attends. Et j’aime cet acte dramatique car renvoyant à la face le nihilisme de Grandgil quand le drame touche, in fine, une personne avec lequel il a un lien. Facile d’affirmer « salaud de pauvre » à des parfaits inconnu. Plus dur quand tu connais le « pauvre ».

Et du coup cette description d’une France occupé qui quoiqu’elle fasse sera perdante me plaisait. Dommage alors qu’une fin plus claire (rajouté à la demande de la production) dénature cet aspect. Personnellement je n’y ai pas vu le doute que vous décrivez.

Ceci étant dis c’est une petite fausse note d’un grand film

Pour moi, c’est pas une fausse note.
Je me suis intéressé à cette période de l’immédiat après-guerre, et j’ai (ou j’avais) dans ma famille des gens qui en ont parlé (c’est parfois plus facile que de parler de la guerre elle-même, et de l’occupation), et c’est une période sacrément douloureuse. Pas du tout la joie et l’allégresse vantée par le roman national (et par l’école : j’ai fait mon collège et mon lycée dans les années 1980, on était dans cette logique : dès 1945, la vie est belle, ce qui est mensonger).
Dans cette optique, la dernière séquence du film nous dit, en gros : « ouais, nous, les Français, on a survécu. Mais à quel prix ! » Avec un énorme non-dit qui laissera au spectateur un sacré arrière-goût.

Quel film !

Jim