REALISATEUR
Herk Harvey
SCENARISTE
John Clifford
DISTRIBUTION
Candace Hilligoss, Frances Feist, Sidney Berger, Herk Harvey…
INFOS
Long métrage américain
Genre : fantastique
Titre original : Carnival of souls
Année de production : 1962
Herk Harvey était le principal réalisateur et producteur de la Centron Corporation, un studio spécialisé dans les films d’entreprise et les courts métrages éducatifs basé au Kansas. Un jour, pendant un voyage de retour après avoir mis en boîte un nouveau film Centron en Californie, Harvey remarque sur son chemin un parc d’attraction désaffecté, le Pavillon Saltair de Salt Lake City, dont l’aspect et l’ambiance particulière lui donne le premier déclic pour ce qui sera sa seule oeuvre de fiction, le magnifique Carnaval des Âmes. Le film connaîtra un destin semblable à celui de La Nuit du Chasseur de Charles Laughton, autre chef d’oeuvre, autre long métrage unique de son réalisateur, autre échec commercial devenu un véritable classique ayant influencé de nombreux cinéastes avec le temps…et à raison !
Petit budget monté grâce à des investissements locaux et mis en boîte par une équipe technique réduite (tous des employés de Centron) avec des acteurs pour la plupart non-professionnels, Le Carnaval des Âmes suit les pas de Mary Henry, une organiste qui tente de reprendre le cours de son existence après un accident idiot qui a coûté la vie à deux de ses amies. Le long métrage commence d’ailleurs par un de ces rallyes en vogue dans les années 50 et 60 et popularisé notamment par La Fureur de Vivre avec James Dean (et ce n’est pas la scène la plus réussie d’ailleurs…mais je chipote)…deux bagnoles s’amusent à faire la course, l’une avec à son bord trois passagères féminines (dont Mary) et l’autre avec un peu plus de testostérone. Sur un pont, la conductrice perd le contrôle et précipite la voiture dans le lac en contrebas. Seule Mary en réchappera…
Mary, organiste de métier, décide d’aller de l’avant et de quitter les lieux pour se rendre à son nouveau poste. C’est là que l’histoire commence à prendre des allures de rêverie, de voyage hors du temps, entrecoupé de plans presque subliminaux de la silhouette d’un bâtiment qui se distingue à l’horizon. Mary commence à être hanté par un homme étrange, sorte de goule inquiétante au visage blafard (et interprété par Herk Harvey lui-même). Ce trajet, et son côté irréel, m’a fait penser à celui de John Trent/Sam Neill vers la ville de Hobb’s End dans L’Antre de la Folie de John Carpenter…et j’ai comme l’impression que Big John a voulu par cette scène rendre un hommage au Carnaval…
David Lynch et George Romero, dixit l’ami Photonik, ont également reconnu l’influence de cette incroyable oeuvre longtemps oubliée sur leur cinéma (et pour Romero, l’image des zombies sortant des eaux dans Land of the Dead semble être une référence directe à l’un des moments forts du final du Carnaval)…
Mary, campée par l’intrigante Candace Hilligoss (qui n’a connu qu’une très courte carrière), prend ensuite ses fonctions à l’Eglise de sa nouvelle ville. Le portrait qui en est fait par les auteurs tranche avec l’habituelle représentation de la femme en vogue à cette époque : indépendante, pragmatique (elle fait ce métier parce qu’elle y excelle, pas parce qu’elle ressent une inclinaison vers le spirituel), distante (ce qui se comprend suite au drame qu’elle a vécue)…attraits qui ne manqueront pas de lui être reprochés…
Elle est également mystérieusement attirée par un parc d’attractions laissé à l’abandon, qui exerce sur elle un pouvoir qu’elle ne comprend pas…
Alors qu’elle pensait pouvoir recommencer sa vie à zéro, Mary bascule doucement mais sûrement vers la folie. Les visions de l’Homme ne la quittent pas (et elles font leur petit effet, j’ai en effet rarement ressenti un malaise pareil devant un film fantastique des sixties). Harvey joue également avec habileté du lien ténu entre rêve et réalité par l’intermédiaire de ces passages où Mary semble coupée du monde, invisible aux yeux de tous…scènes subtilement amenées par une distorsion de l’image et du son.
Cette atmosphère entêtante et envoûtante est magnifiée par une partition musicale organique et hypnotique qui provoque un état de transe qui laisse pantois. Le dernier quart d’heure bascule alors dans le cauchemar le plus total, une valse morbide exacerbée par l’infinie tristesse qui se dégage de ces lieux où le silence de la mort a remplacé les exclamations de joie. Ce final surréaliste laisse place à un dernier plan étonnant, un twist il est vrai maintes fois copié depuis.
Réussite artistique totale, modèle de réalisation effectuée dans les contraintes d’une production modeste (et débordant d’idées de mise en scène d’une efficacité exemplaire), Le Carnaval des Âmes est une complainte élégiaque qui ne laisse pas insensible.
Un grand film, tout simplement…