Le coin des histoires courtes

quand on y pense : cable, deadpool, dans une moindre mesure domino ou stryfe, quel auteur moderne peut se targuer d’avoir créer autant de perso marvel devenu peut être pas iconique mais susceptible de porter leur propre série ?

Très bonne chronique de cet épisode génial de david

Oui, bien au-delà. Les 3 TPB en question (les seuls disponibles pour l’instant) reprennent environ les 20 premiers épisodes, l’intégralité du long arc « American Scream ». Mais le titre comprend en tout quelques 70 épisodes…

Tout à fait d’accord avec toi.

Sur le premier point, je trouve qu’il y a un arc précoce et assez fabuleux de « Shade… » qui fait fort en matières d’ultra-compression et de « montage » étrange : c’est « Hollywood Monsters », qui trace un parallèle vertigineux entre narration séquentielle propre à la BD et montage proprement cinématographique tendance jump-cuts violents. Une réussite éclatante.

Su le deuxième point, Milligan lui-même reconnaît qu’il est très peu intéressé par le déploiement des intrigues et les rebondissements dramatiques, clairement seconds pour lui au regard du traitement des personnages. S’il fallait le ranger dans une des deux fameuses cases « plot-driven / character-driven », il appartiendrait clairement à la seconde catégorie.

Il est clair que l’une des caractéristiques du travail de Milligan est d’avoir compris, comme tous les grands auteurs, les spécificités de son médium, et d’en tirer des conclusions pour sa pratique. Chez lui notamment (mais aussi chez un Morrison ou un Moore), l’interaction « mots / images » est poussée très loin.

on pourrait même dire que c’est pas « driven » du tout au sens où ça ne va pas d’un point A à un point B. On est pas conduit, on est éconduit dans notre lecture linéaire d’une case à l’autre.

Une très bonne pioche, merci de l’avoir mentionné j’avais complètement oublié cet épisode dont la construction narrative fonctionne très bien (Daredevil #12 à ne pas confondre avec celui de Waid/Samnee qui est également un bon stand-alone).

Par contre l’autre oeuvre de Haynes sur le personnage (Daredevil:Ninja avec Bendis au scénar) n’a pas l’air d’être du même acabit.

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Hellblazer #27 (mars 1990)
Hold Me
scénario: Neil Gaiman
dessin: Dave McKean

Dès ses débuts dans l’industrie des comics, Gaiman a fait preuve d’un intérêt certain pour l’écriture de séries qui s’inscrivent dans le genre fantastique et pour les types d’histoires qui restent reliées à la réalité, ce n’est donc pas un hasard qu’il ait fini par s’intéresser au personnages de John Constantine créé par son pote Alan Moore, qui réutilisera d’ailleurs sur Swamp Thing un script qui n’a pas abouti de Gaiman sur le personnage (« The Day My Pad Went Mad »).
En attendant de pouvoir écrire l’histoire qu’il a en tête depuis quelque temps et qui implique Constantine, Gaiman lui fait faire une une apparition remarquée lors des tout premiers épisodes de Sandman sa série phare, et également dans la mini-série Books of Magic.

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Lui qui avait expressément voulu écrire au moins un épisode centré sur le personnage verra son souhait se réaliser quelques années plus tard avec cet épisode qui constitue sa seule véritable contribution à la série, situé entre la saga « Family Man » de Delano et le diptyque de Morrison (venu dépanner l’éditrice Karen Berger au pied levé avec un fill-in, vu que l’épisode stand-alone de Gaiman a tardé à arriver, sans doute en raison du dessinateur qui a tenu à superviser le travail de colorisation de Danny Vozzo).

La série Hellblazer est alors une des séries centrales du label Vertigo, faisant office de rite de passage pour le scénaristes anglais venus travailler chez DC, l’anti-héros au trench-coat étant généralement écrit par ses confrères britanniques à quelques exceptions près (Azzarello et Aaron notamment).
Pour cette occasion spéciale, le scénariste n’a pas démérité, visiblement très inspiré par le sujet et la possibilité de coucher sur le papier un sujet qui lui tenait à coeur.
Son choix se porte sur Dave McKean pour la partie graphique, marquant ainsi la continuation de la collaboration prolifique du duo (Black Orchid, Mr. Punch, Signal to Noise, ou encore l’excellent Violent Cases).

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Au bout du compte cette forte implication dans le projet a payé, car le résultat final est indéniablement une grande réussite, à tel point que le scénariste va jusqu’à considérer désormais cet épisode comme étant son récit favori parmi les nombreuses histoires courtes dont il est l’auteur, ce qui n’est pas peu dire le concernant, vu qu’il a quand même écrit quelques pépites dans ce domaine.

Comme souvent dans la série, le récit débute dans un environnement normal, ancré dans une réalité sociale et urbaine, pour être ensuite peu à peu rattrapé par une dimension fantastique parfois déstabilisante dans cette façon qu’elle a d’altérer les contours et la perception du réel dans lequel évoluent les personnages.
L’histoire se concentre au départ sur une bande de sans-abris qui cherchent refuge dans une vieille bâtisse, et qui se retrouvent enfermés, finissant par mourir de froid.
Dans les mois qui suivent, un des défunts nommé Jacko finit par hanter les alentours après sa mort, visiblement pas vraiment conscient de ce qui lui est arrivé, et surtout motivé par son unique but.
Il erre telle une âme vagabonde dans les rues sombres de Londres à la recherche d’une attention qui lui est constamment refusée, la plupart des rencontres qu’il fait se heurtent à la peur et à l’incapacité de voir au-delà de l’apparence.
L’approche graphique accentue cette impression que tous les éléments sont semblables et sur le même plan, comme si les passants étaient en train de se fondre dans le décor, tous aussi froids et indifférents les uns que les autres, laissant ce pauvre bougre dans une quête qui semble vouée à ne jamais se terminer, à moins qu’il ne finisse par trouver la personne adéquate.

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Malgré tous ses efforts, Jacko est exclu socialement et privé d’une quelconque considération, et pour cause vu la situation dans laquelle il est.
Durant la même période, John se rend à une soirée en hommage à son vieil ami décédé, un homosexuel (fait assez rare à l’époque pour les séries mainstream, surtout que la bisexualité de John n’avait pas encore été clairement établie par les auteurs à ce moment-là) du nom de Ray Monde, ayant succombé suite à une rixe avec un groupe de fanatiques religieux.
Il y fait la connaissance de Anthea, une jeune lesbienne désirant avoir un enfant et ayant besoin d’un donneur sain (durant la période où le Sida fait des ravages il est normal qu’elle prenne des précautions).

En plus de celui du protagoniste principal, le scénariste met l’accent sur les différents points de vue des autres personnages (celui du conducteur de taxi sur les immigrants, et la façon dont sont perçus les sans-abris) qui éprouvent en un sens un besoin analogue à celui du revenant, cherchant à éviter les affres de la solitude.
Dans les scènes où Jacko apparaît, la narration séquentielle se fait plus chaotique, morcelée, comme un miroir de son état d’esprit, traduisant un profond désarroi existentiel, une confusion mentale d’un être qui a perdu toutes notions du temps.

Au fond il ne souhaite qu’une seule chose, de pouvoir enfin se réchauffer et de ne plus souffrir en raison des contingences de son mode de vie, tellement éloigné et ignoré qu’il semble vivre sur un autre plan d’existence,visible seulement par certains, une situation qui n’est pas sans rappeler l’intrigue de Neverwhere, une autre oeuvre du scénariste qui porte sur un sujet similaire (que j’aurais tendance à considérer pour ma part comme son meilleur roman).
Gaiman joue avec une certaine ambiguïté dans la façon dont Constantine aborde le problème et on se demande alors si c’est en raison de la profonde sincérité de son acte, de ses compétences qui le place au dessus du commun des mortels, ou encore en raison du fait qu’il a encore en lui le sang du démon Nergal.
Le scénariste laisse le doute persister et ce n’est pas plus mal tant la capacité de savoir laisser planer une part de mystère est parfois bénéfique pour le récit, vu qu’il n’est pas forcément nécessaire de tout expliquer.

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Avec cette variation sur le thème du fantôme, Gaiman aborde diverses problématiques sociales au sein d’une histoire efficace qui va à l’essentiel sans démons ni conspirations, et qui permet de montrer un autre aspect de la personnalité de Constantine, souvent obligé de ruser, ici il se contente juste d’être lui-même, derrière son côté désabusé et son sarcasme habituel, John essaye de faire ce qu’il faut quitte à prendre des risques.
La dimension humaine est au coeur de l’histoire, habilement entremêlé avec la partie fantastique et un cadre ancré dans le réel, porté par une mélancolie lancinante, le tout passé à travers le prisme du label Vertigo, avec tout ce que cela implique en choix de graphisme hors normes et en thématiques réinterprétées d’une manière complètement inédite et originale, ce qui montre bien la richesse de cette série focalisée sur le fantastique mais qui peut être un catalyseur de thèmes variés.

Au fin fond de cet environnement rude, Jacko a enfin trouvé quelqu’un qui fait preuve d’un peu de chaleur humaine et de compassion (comme le montre la superbe couverture de McKean).
Il n’est plus une chose sans nom, un être indistinct sans identité et adresse (John lui demande comment il s’appelle et c’est mine de rien loin d’être sans importance, il se soucie vraiment de son sort).
Face à son interlocuteur, il semble trouver quelqu’un de semblable d’une certaine façon, qui le comprend car il pourrait se retrouver éventuellement dans une situation semblable, pas à la rue mais seul, à savoir la tendance de John à pouvoir se sortir des pires situations tout en étant le plus souvent incapable de sauver ses amis, et même les morts ne le laissent pas toujours tranquille (les victimes de l’incident de Newcastle qui reviennent le hanter au début du run de Delano).

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McKean gère la représentation des ombres un peu comme une sorte de voile opaque qui recouvre la ville, créant une patine visuelle reconnaissable, qui lui permet de tirer parti convenablement de la dimension surnaturelle du récit, et de rester dans un type de représentation vague avec un trait esquissé qui suffit pour les silhouettes.
La palette chromatique est au diapason de ce choix d’effets, avec des teintes automnales et froides, ce qui fait d’autant plus ressortir Jacko au milieu de tout cela, donnant à cette figure spectrale un aspect saisissant et vecteur d’une imagerie forte et évocatrice.
L’approche est plus picturale, il ne s’agit pas forcément de faire de chaque cases un tableau en soit, mais plutôt d’arriver à capter un ressenti, une atmosphère, tout en gardant un sens de l’abstraction de moins en moins figurative au fil du récit, afin d’arriver à représenter convenablement le tourment intérieur du personnage, apportant ainsi un sens de l’immersion total.
Là où Sienkiewicz est plus porté sur l’onirisme et l’hyperbole (sa version mémorable du Caïd avec sa trogne pouponne et son gabarit qui lui donne des allures de montagne humaine) McKean opte plutôt pour un style plus malléable et protéiforme, qui s’adapte au ton du récit et à ses spécificités, une tâche pas trop compliqué vu qu’il est un habitué de la série et plus précisément le cover artist attitré d’Hellblazer à ses débuts.
Concernant cet épisode, il opte pour une narration relativement plus classique par rapport à Arkham Asylum puisque le ton de l’histoire repose sur une base plus terre à terre et intimiste.

Les histoires de fantômes portent souvent sur quelque chose qui est en suspens, qui nécessite d’être achevé pour que l’âme du défunt puisse enfin reposer en paix, et à travers le biais choisi par le scénariste l’ensemble est transcendé, ce n’est pas seulement une histoire de revenant mais aussi une ode à la compassion et à l’entraide, une évocation de ce qui nous rend fondamentalement humains, ce besoin de contact, d’affection et d’amour, cet acte symbolique et universel de serrer quelqu’un dans ses bras, un moment de réconfort mutuel, de quiétude et de sérénité qui prend le pas momentanément sur les soucis quotidiens, et qui montre que l’on tient à cette personne et qu’elle n’est en aucun cas seule, un élément bien représentatif de l’empathie et de la sensibilité de l’auteur.

Il ne me reste plus qu’à laisser le mot de la fin à Death, avec cette séquence issue de Death Talks About Life (toujours signé par Gaiman et McKean) un comics de prévention à propos des dangers du VIH à destination des lecteurs lycéens, l’occasion pour l’illustre soeur de Morphée de rappeler certaines informations cruciales notamment en ce qui concerne l’utilisation du préservatif, ce qu’elle fait à l’aide d’une banane et d’un anglais embarrassé originaire de Liverpool, John Constantine lui-même, la mort étant décidément toujours à ses côtés d’une manière ou d’une autre.

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J’ai relu cet arc récemment, et c’est vrai qu’il est remarquable dans l’agencement de ces transitions abruptes et dans la mise en place de cette folie générale qui contamine peu à peu le lieux des événements, à l’instar de l’introduction assez dense en informations sur les protagonistes et qui montre bien la prise de conscience de quelque chose qui cloche, ce dont se rend compte le réalisateur qui est littéralement supplanté par le métrage dont il s’occupe.

Ce n’est que le second arc de la série mais par rapport au premier il est intéressant de voir émerger par petites touches le style de Bachalo tel qu’on le connait aujourd’hui (enfin celui des années 90).

Excellent article, mais à la lecture il est vrai que ça m’a beaucoup fait penser à l’épisode des fantômes qui hantent le bar par Garth Ennis. J’espère pouvoir mettre la main dessus…

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Spider-Man’s Tangled Web #4 (septembre 2001)
Severance Package
scénario: Greg Rucka
dessin/couverture: Eduardo Risso

Au début des années 2000, **Axel Alonso **se voit confier la gamme des titres de tête de toile, avec dans l’idée de diversifier la franchise, c’est dans cette optique que la série Tangled Web est créée, une anthologie qui permet à des auteurs reconnus venant aussi bien du mainstream (Ennis, Wells, Azzarello, Weeks) que de l’indé (Cooke, McKeever, Pope, Mahfood) de participer à cette oeuvre à part.
C’est l’occasion de proposer certaines histoires avec comme indication de base la volonté de se concentrer sur l’univers de Spidey et ses répercussions plutôt que sur le personnage en lui-même (réduit le plus souvent au rang de caméo/guest star).
Cette orientation est l’occasion de se focaliser sur des bad guys de seconde zone ou de simples citoyens new-yorkais, ce qui permet une liberté accrue et une plus grande marge de manoeuvre dans l’écriture, au point que certains épisodes semblent être plus de l’ordre du récit hors continuité, voire retconné par la suite comme c’est le cas avec l’épisode qui évoque la jeunesse de J. Jonah Jameson.
Le statut de cette série à la marge permet aux scénaristes d’expérimenter et d’innover dans un cadre bien précis, à la manière des séries Batman: Black & White et Legends of the Dark Knight de la distinguée concurrence.

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Cet épisode s’inscrit dans cette lancée puisque il délaisse le monte en l’air (même si ici il apparaît de manière fugace au détour d’un reportage télé) pour se pencher sur le destin d’un homme de main/collaborateur régulier de Fisk, non pas une éternelle petite frappe tendance looser au rôle de bouffon gaffeur comme Turk, mais plutôt quelqu’un du calibre de Lynch ou Wesley, montrant ainsi une partie de l’envers du décor de l’organisation criminelle du Caïd.
Ce protagoniste principal nommé Tom Cochrane est présenté comme un partenaire en affaires plus que compétent, ayant une situation aisée, et visiblement intégré dans le milieu depuis pas mal de temps, faisant preuve de beaucoup de self-control et ayant à coeur de se comporter de manière responsable (le mantra récurrent de Spidey s’applique donc à travers un prisme complètement différent).

Après avoir appris que son plan a capoté en raison de l’intervention du tisseur, il se retrouve dans une position plutôt délicate par rapport à son employeur, son échec ayant des conséquences désastreuses, provoquant un effet papillon qui illustre l’impact souvent insoupçonné que les actes pourtant bénéfiques des nombreux héros peuvent avoir.

Le scénario précis et concis, va droit au but sans une once de gras ou de détail superflu, les digressions n’étant pas nécessaires dans ce cas de figure, ce qui amène une sobriété bienvenue, à l’image de son personnage principal, plus proche dans la mentalité d’un Michael Corleone taiseux que d’un Tony Montana grande gueule.
Suspense, violence, tension, tous les ingrédients du genre ou presque sont présents, au sein d’un canevas de l’ordre du récit façon « film noir » quasi intemporel s’il n’y avait pas les portables et les Twin Towers.

L’idée de base de l’intrigue est est simple mais c’est la façon dont elle est gérée qui fait toute la différence et qui rend cette histoire unique. Cela est bien visible dans son aspect émotionnel, qui ne passe pas par des tonnes de dialogues, c’est alors à la partie graphique de prendre le relais par le biais d’une restitution visuelle, de la représentation d’un dilemme intérieur, poignant sans en faire des caisses, restant dans ce cadre intimiste et feutré dans lequel évoluent les personnages.

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Suite à sa carrière d’écrivain de romans noir, Greg Rucka continue dans cette veine polar qu’il affectionne, ce qui tombe bien car c’est un domaine dans lequel son collaborateur est particulièrement à son aise, car cette intrigue qui fait la part belle à l’atmosphère permet de mettre en avant le talent de Risso qui brille dans cet épisode, par sa capacité à soigner la composition et plus largement son sens de la narration séquentielle.

Son style ligne claire expressionniste met en avant sa gestion des éclairages et des contrastes, un élément primordial de l’approche du dessinateur qui est une de ses spécificités les plus reconnaissables et les plus appréciables. Les aplats noirs et l’aspect clair-obscur apportent une touche minimaliste et une force visuelle supplémentaire.
Cette stylisation apporte une constante élégance dans la représentation, commune à la plupart de ses oeuvres, tel le regretté Gordon Willis dont on reconnait la patte au fil des oeuvres.

Conscient des risques encourus, Cochrane se montre à la fois loyal et résigné, dès lors que son plan a échoué il sait qu’il doit rendre des comptes et qu’il ne peut y échapper. Le coût de l’échec est élevé à cet échelon, une simple erreur et tout ce qu’il a construit risque de s’effondrer, hormis s’il accepte le choix qui s’impose pour protéger sa famille.
À ce stade il y a trop en jeu, il ne peut se permettre de tout envoyer valser dans une posture désespérée de repli comme l’anti-héros de Thief/Le Solitaire.

Malgré sa connaissance du milieu et de ses dangereuses implications, il reste calme et pragmatique tout en évaluant ses options éventuelles, pas besoin de dialogues pour l’expliciter, la simple information visuelle suffit à comprendre ce qui lui vient à l’esprit, et c’est toute la maîtrise de Risso dans ce domaine qui fait toute la différence, notamment dans les cadrages mettant en valeur seulement les éléments essentiels à la compréhension de ce qui se déroule, changeant de perspective et de point de vue selon les scènes.

Le dessinateur argentin arrive à retranscrire cette impression de fatalité qui pèse sur les épaules de Cochrane, la suite des événements est prévisible, mais les détours en chemin pour arriver à cette situation ne le sont certainement pas. À l’instar des meilleurs récits hardboiled, on devine la tournure des événements, mais on se prend à espérer qu’il en sera autrement, une preuve certaine de son efficacité narrative.

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Lorsque il atteint l’antre de son supérieur hiérarchique, l’atmosphère n’est déjà plus la même, son chemin parcouru prend à partir de là des allures de descente infernale, une manière de se concentrer sur l’aboutissement de son pacte faustien avec Fisk, qui se démarque par sa carrure gigantesque à l’image de sa forte influence dans le milieu criminel, ce physique bigger than life lui accordant d’emblée une prédominance, une singularité, donnant l’impression qu’il vit sur un autre plan.
Plus il se rapproche du Caïd plus la colorisation vire aux teintes rougeâtres et sombres, marquant symboliquement son entrée dans un lieu qui abrite une instance supérieure auquel il ne peut espérer échapper. Il a signé un pacte avec le diable et le temps est venu de payer, il ne reste plus qu’à gérer les préparatifs et à essayer d’arriver à un accord mutuel si tant est que ce soit encore possible.

L’ombre menaçante de l’ennemi juré de DD plane sur l’ensemble du récit, son emprise est palpable même s’il est rarement présent de manière effective dans l’histoire.
Son allure imposante va de pair avec son assurance en toutes circonstances, déterminé tout en faisant preuve de sang-froid, plus proche de l’implacable version millerienne que du colosse colérique de Romita Sr, qui avait tendance à se faire vanner par Spidey sur son embonpoint, ce que bendis a retenu pour la version ultimate.

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Fisk a engagé des professionnels et Cochrane ne fait pas exception, malgré son rang il n’est qu’un domino chancelant au sein de cette organisation, et un obstacle de moins dans la perspective d’atteindre son chef.
Or chacun de ces pions sont des êtres humains tout autant leurs adversaires, et avec cet épisode entre autres le lecteur accède au point de vue de ce type de personnages, ayant un aperçu de ses failles et de l’ampleur du drame qui se joue, il ne s’agit pas de justifier ses actes bien au contraire, mais d’amener un peu de nuance dans la caractérisation.

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Du début jusqu’à la fin, l’ensemble est mené de main de maître par un scénariste qui connait les codes du genre par coeur, et capable ainsi de déjouer les attentes, une franche réussite qui lui a valu une nomination bien mérité aux Eisner Awards dans la catégorie « best single issue », un domaine dans lequel cette série se démarque puisque elle contient quelques autres perles, et notamment l’excellent diptyque « Flowers for Rhino » du duo Milligan/Fegredo, dont le schéma narratif est basé sur le roman « Flowers for Algernon » de Daniel Keyes.

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Qu’est-ce que cette série fut bonne. Mais en même temps c’est une excellente période chez Marvel.

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Spider-Man #17 (décembre 1991)
No One Gets Outta Here Alive !
scénario: Ann Nocenti
dessin: Rick Leonardi
encrage: Al Williamson

Durant sa carrière de scénariste et d’éditrice chez Marvel dans les années 80/90, Ann Nocenti a souvent fait preuve d’une certaine originalité dans sa façon d’aborder les codes du genre et de déjouer les attentes, en proposant de nouvelles directions inédites, l’exemple le plus frappant étant certainement son run sur DD, qui tout en reprenant certains éléments éminemment Milleriens, est allé dans une tout autre voie.

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Dans le cadre de la série de tête à cornes, la scénariste s’était remarquablement débrouillée pour ce qui est d’incorporer les crossovers mutants, pourtant bien éloignés de l’ambiance habituelle de la série, en s’en servant comme un tremplin vers des potentialités inédites et non pas comme une corvée inévitable, les contraintes étant ainsi souvent génératrices de créativité (il faut avouer aussi que le fait d’avoir édité les titres mutants a dû faciliter le processus).

C’est ainsi que le blackout de Fall of the Mutants a permis d’accentuer l’atmosphère de déliquescence urbaine propre à Hell’s Kitchen, accentuée par Inferno et son cortège de démons incontrôlables, tout comme Acts of Vengeance a été l’occasion de dépeindre une version alternative d’Ultron, qui reste pour moi une des plus intéressantes (sans oublier l’épisode de Mutant Massacre centré sur Dents-de-Sabre).

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Lors de ce run, Ann Nocenti avait toujours le chic pour trouver un moyen de raconter une histoire bien à elle malgré les contraintes des events, se payant le luxe de s’occuper de tie-in parfois plus intéressants que les crossovers en question.
Durant la même période, Peter David avait démontré avec le mini Hulk et l’Abomination défiguré qu’il était possible de concevoir un très bon tie-in, original et touchant, à même de développer sa propre histoire annexe tout en n’étant pas trop inféodé à l’event en question, quasiment relégué au hors-champ.

Cet épisode peut être considéré comme tel, même si Infinity Gauntlet n’est pas mentionné sur la couverture, il a quand même été inclus dans l’omnibus vo. Il a ainsi fait office de pseudo tie-in au crossover, tout en étant tellement à part qu’il peut se lire indépendamment du crossover (vu la chronologie des événements, le récit semble d’ailleurs se situer avant Thanos Quest).

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Ce stand-alone, qui a marqué la réunion du trio qui avait si bien fonctionné sur l’arc de Daredevil qui a précédé l’arrivée de JRjr (toujours inédit en vf), reste à ce jour une perle rare un peu oubliée, à part pour les indécrottables fans de Leonardi comme votre serviteur, ce qui s’explique par le fait que ce fill-in de luxe s’est retrouvé pris en sandwich entre la fin du run de McFarlane et le début de celui de Larsen.

L’intrigue est aussi simple qu’efficace, après un accident qui prend des proportions insoupçonnés, Spidey se retrouve à affronter Thanos, pour sauver du trépas une jeune fille innocente, qui lui importe plus que sa propre survie.
La scénariste dépeint le personnage selon ses caractéristiques fondamentales, avec notamment ce mélange d’héroïsme et de culpabilité qui le pousse à ne jamais abandonner, que ce soit pour sauver des centaines de vies ou une seule, c’est ce qui compte le plus pour lui (comme à la fin de Ends of the Earth). À propos de l’excellence de la partie graphique, il n’est pas étonnant de voir que la paire Leonardi/Williamson a été réunie peu après sur la série Spider-Man 2099 de Peter David, qui a donné lieu à des planches toutes aussi sublimes.

Leonardi avait déjà a eu l’occasion d’illustrer la version du personnage de l’univers 616, notamment lors des premiers épisodes avec le symbiote, et dans ce cas-là il s’est montré tout aussi à l’aise, avec son trait souple, dynamique et tout en rondeurs, qui s’accorde à merveille avec la représentation de ce personnage bondissant qu’est le Monte-en-l’air. Au cours de l’épisode, le dessinateur a également fait preuve de sa grande maîtrise de la narration et du storytelling (s’il y a bien quelque chose que j’apprécie chez lui au-delà du trait, ce serait sans doute ses choix de cadrages).

Quand en plus s’ajoute à cela la finesse de l’encrage de Williamson, le résultat ne peut être que mémorable. Leonardi a été plutôt chanceux de collaborer avec cet ancien dessinateur devenu par la suite un des plus grands encreurs de la profession, une reconversion d’autant plus remarquable puisque il a toujours été très respectueux du style du dessinateur, comme s’il avait cherché à embellir plutôt qu’à altérer en profondeur.

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Le passage de la scénariste sur Spidey est beaucoup moins resté dans les mémoires, alors qu’elle s’est pourtant occupée d’histoires assez chouettes, tels que l’arc « Life in the Mad Dog Ward », l’annual avec Warlock, ou encore le diptyque « Typhoid Attack », qui comme son titre l’indique lui a permis de retrouver son personnage fétiche, à l’instar de la mini-série sortie l’année suivante.

J’ai vraiment l’impression qu’Ann Nocenti mérite beaucoup plus de respect qu’elle en a aujourd’hui…

Elle mérite surtout d’être connue des jeunes qui ne fouinent pas assez ! (ce n’est pas une attaque perso, hein ! Mais bon, si tu ne fouines pas au-delà des bacs qui sont devant ton nez, tu peux le prendre pour toi quand même … :mrgreen: )

Nous, on n’a pas attendu pour la respecter !

Ses histoires méritent surtout des éditions de qualité…surtout que pour Daredevil, il y a pas mal d’épisodes qui restent encore inédits en V.F.
Si la mini-série Longshot avait été rééditée dans X-Men Classic comme c’était un temps prévu, je l’aurais acheté sans hésiter (il y a eu plein de coupes dans les Special Strange).

Très intéressant. Je n’ai jamais lu cet épisode, mais je suis un fan indécrottable du travail de Nocenti chez Marvel. Son travail éditorial sur les « Uncanny X-Men » de Claremont est selon moi pour beaucoup dans la réussite et l’originalité de ce run historique, sans rien enlever au mérite du scénariste…

C’est vrai que des titres comme « Longshot » ou « Daredevil » sous sa plume mériteraient d’être cités plus souvent : ce sont des prototypes très aboutis de récits « adultes » qui ne cèdent finalement que très peu aux sirènes du grim n’gritty naissant. C’est plutôt une forme de surréalisme dark si l’on peut dire qui s’épanouit dans les histoires de Nocenti ; en cela elle est le précurseur de nombreux scénaristes bien plus acclamés.

Tiens, ça me rappelle que j’avais commencé un long billet sur « Daredevil » par Nocenti et Romita Jr, faudrait que j’y remette le nez pour boucler ça…

Episode publié en V.F. dans cette revue. Tu ne la lisais pas à l’époque ?

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Un Marvel Classic reprenant ses épisodes avec DD en enfer ce serait la classe…

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Si, mais je me rappelle aussi très bien avoir loupé ce numéro-là. J’ai dû faire des choix j’imagine, avec mes maigres moyens de l’époque.
Et je dois dire que c’était loin d’être ma revue préférée à l’époque. Que ce soit avec McFarlane ou Larsen, je ne suis pas un fou de cette période du Tisseur.

Clairement (enfin, pas dans « Marvel Classic » par la force des choses…).
Peut-être que les saisons à venir de la série télé homonyme pousseront Panini à se pencher sur cette période pour sortir un peu de « patrimonial ». Ceci dit, étant donné le sort des épisodes de « Longshot » dans une mouture précédente du mag’ (c’est-à-dire annoncés puis pas publiés), on peut penser que c’est pas près d’arriver malheureusement.
Dommage, parce qu’encore une fois c’est une période fabuleuse du personnage, sans même compter que c’est une des visions du perso les plus fraîches et novatrices qui aient été proposées.

J’aime bien cette façon qu’elle a eu de tourner quelque peu en dérision cette tendance, notamment avec la création du personnage de Shotgun, bardé de tonnes d’armes tel le Punisher, et qui se révèle finalement inefficace face à Daredevil.