Le coin des histoires courtes

Je crée ce topic (dont l’idée m’est venue grâce au fameux « Anatomy Lesson » d’Alan Moore) dédié aux stand-alone publiés sous diverses formes (annual, one-shot, fill-in, back-up, giant-size ou numéros spéciaux).
Un espace de libertés et de contraintes, parfois plus propice aux exercices de style et aux expérimentations narratives, et qui permet plus largement d’exercer sa capacité à écrire un récit auto-contenu avec un nombre de pages limitées, un domaine dans lequel certains artistes se révèlent très doués comme Gaiman, Kirby, Ennis, David, etc…

Je commence avec un de mes one-shot préférés des années 80 (relu à de nombreuses reprises dans Strange 196, c’est même la seule version que j’ai donc je ne saurais dire si la censure de Lug a été sévère ou non).

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Daredevil #208 (juillet 1984)
The Deadliest Night Of My Life
scénario: Harlan Ellison/Arthur Byron Cover
dessin: David Mazzucchelli
encrage: Danny Bulanadi

Un simple fill-in qui a visiblement marqué pas mal de lecteurs (moi le premier) écrit par le célèbre auteur de science-fiction Harlan Ellison, aidé pour l’occasion par Arthur Byron Cover pour sa connaissance de tête à cornes, et publié pendant le run de Denny O’Neil (alors occupé par un bref séjour à l’hosto).

L’histoire se focalise sur le périple de DD qui tombe dans un piège orchestré par la mère d’un vieil ennemi (l’origine de cette vengeance remonte au tout premier épisode dessiné par Miller) à savoir le Death-Stalker, qui est décédé d’une manière assez inédite et lugubre.

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Se retrouvant dans une vieille bâtisse remplie de piège mortels, Daredevil doit faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour survivre dans cet environnement hostile qui cherche à le tuer à chaque instant.

Un scénario somme toute assez classique mais très efficace, véritablement transcendé par le talent de Mazzucchelli, particulièrement pour son sens inné de la narration séquentielle.
Alors certes il n’a pas encore le niveau de maîtrise et de maestria de Born Again, ni l’élégance de l’épure à la façon d’Alex Toth sur Year One, mais son storytelling est déjà excellent, très dynamique lors des nombreuses scènes d’actions mouvementées (où l’influence de Colan se fait encore sentir).

Ellison ayant pris le soin de terminer son histoire sur un cliffhanger qui montre que les ennuis ne sont pas tout à fait terminés, cela permettra donc à Byron Cover de reprendre l’idée des gamines robots dans l’épisode suivant qui est moins mémorable dans mon lointain souvenir.

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Excellent choix. Cet épisode m’avait marqué à l’époque où je l’ai découvert. Le coup de la petite fille robot faisait froid dans le dos.

Oui surtout à la fin.

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Et dans l’épisode suivant, cela a donné lieu à une scène que je ne suis pas prêt d’oublier…

La planche avec le pistolet m’a marqué à mort, une des plus belle que j’ai pu voir

C’est une excellent idée, sauf que maintenant j’aimerais lire cet épisode…

Pour le coup il n’a jamais été réédité je crois. Le seul moyen de le lire c’est retrouver le numéro VO ou le Strange correspondant.

Et dire que c’est mon 1er Strange… Je redécouvre (oui j’avais lu les Strange 5-6-7) Daredevil par Franck Miller, ça aurait pu être pire.

Comme Kab,la planche avec le flingue est assez fascinante. Elle explose les mirettes.
C’est pas ma coupe de cheveux préférée de la Veuve Noire par contre.

Cet épisode n’est pas sans rappeler celui d’un épisode de Chapeau Melon et Bottes de cuir: L’héritage diabolique (The house that Jack built)

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The Invisibles #12 (volume 1, septembre 1995)
Best Man Fall
scénario: Grant Morrison
dessin/encrage: Steve Parkhouse

Morrison met de côté ses concepts métaphysiques et ses intrigues conspirationnistes pour raconter une histoire plus accessible et intimiste, qui lui permet de raconter le destin de Bobby Murray, un garde anonyme qui meurt au détour d’une case, tué lors d’une fusillade dès le premier numéro de la série. Ce portrait que dresse Morrison, qui fait la part belle aux tranches de vies dans leurs bons et mauvais côtés, permet d’amener une pause bienvenue, un intermède basé sur le travail de caractérisation et de storytelling, dont l’intérêt principal réside dans l’approche choisie et la qualité d’écriture.

Au début, on ne sait pas quelle est la cause de sa mort, et on se demande pourquoi il a droit à ce traitement spécial (après tout pourquoi lui et pas un autre ?) et puis on remonte le fil des événements de manière aléatoire en naviguant dans le temps, par le biais des divers flashbacks, qui démarrent au moment des derniers instants du personnage mourant. Celui-ci voit sa vie défiler devant ses yeux dans le désordre, et les lecteurs la découvrent par la même occasion.

La narration alterne les époques, passant d’un extrême à un autre, usant des possibilités propres au médium, jouant avec les ellipses et les récurrences thématiques. Le lecteur est le seule juge des actions du personnage, qui en l’espace d’une vingtaine de pages est passé du statut de figurant insignifiant à celui de figure centrale de ce récit auto contenu admirable.

Morrison réalise là un véritable tour de force narratif, en arrivant à faire en sorte que l’on s’attache à un personnage qui était au départ assez unidimensionnel. Avec cette démarche très intéressante de mettre sous les feux des projecteurs un personnage obscur, le scénariste profite de ce regard sensiblement différent pour revisiter des événements passées sous un nouvel angle.

Vu à travers un prisme autre que ceux des personnages principaux, King Mob paraît soudainement moins héroïque, évacuant du coup le risque de manichéisme (chacun est représenté avec ses bons et mauvais côtés qu’il s’agisse de Mob ou Bobby). La situation est inversée, d’autant que c’est Mob qui paraît plus inhumain dans cette version, cette fois-ci c’est son propre masque qui lui donne un air inquiétant, il personnifie et fait ressurgir les inquiétudes et les difficultés auxquelles Bobby a fait face durant toute son existence (sa phobie d’enfance, la rancune de son frère, la maladie de sa fille, la guerre des Malouines, et enfin sa propre mort).

Morrison questionne ainsi le rapport des lecteurs à la violence et son risque de banalisation, et plus largement à la mort dans les comics, qui est tellement récurrente et galvaudée, utilisée comme un élément narratif parmi d’autres (surtout durant cette période des 90’s où pullulent les anti-héros cyborgs/ninjas qui tuent à tout va) au point qu’elle semble perdre son sens et son impact.
Il critique ainsi les excès de l’époque (le « Grim & Gritty » semble clairement visé) et procède également à une sorte d’auto-critique vu la nature rétrospective de l’histoire, et le fait que King Mob est un avatar morrisonnien.

Confronté aux conséquences de ce conflit et aux coûts qu’il entraine, Dane apprendra ainsi la dure leçon de cette expérience acquise, puisque après avoir tué il décide, contrairement à Mob, de plus jamais le refaire.

Du coup les personnages tués ne sont pas des figures interchangeables mais bien des humains que l’on apprend à connaître, un peu comme si Lucas décidait de s’intéresser à la vie d’un stormtrooper en particulier (Ennis avec d’ailleurs écrit une situation similaire pour un épisode de Star Wars Tales) ce qui est tout de même un privilège rare pour des personnages secondaires qui font plus parti du décor qu’autre chose, par exemple pratiquement aucun des ninjas de la Main n’a bénéficié d’un tel focus, si ce n’est Kirigi (ce qui est logique vu son statut particulier de boss de fin de niveau).

Au travers de ce récit, on découvre ainsi un personnage imparfait, faillible, attachant, qui permet de se rendre compte que n’importe quel personnage secondaire (Bobby n’était au départ guère que de la chair à canon) à une histoire qui mérite d’être racontée, susceptible qui plus est d’aboutir à un grand éventail de possibilités narratives, ce qui donne lieu dans ce cas précis à un drame poignant.

Un des sommets indépassables de la série, et peut-être bien de tout le travail de Morrison.

J’ignore s’il y a eu influence, mais j’ai toujours vu ce gag impayable du premier « Austin Powers » où on téléphone à la famille d’un homme de main anonyme pour la prévenir de sa mort comme le pendant comique de cet épisode…

« Techniquement », cet épisode est le prototype d’une narration « multi-dimensionnelle » (où le temps est perçu comme une sorte d’instant éternel unique où tous les moments co-existent) que Morrison réexplorera par la suite avec bonheur, dès la suite des Invisibles avec l’incroyable story-arc sur Lord Fanny, « Apocalipstick », ou plus tard avec son travail sur Batman (dans « Batman Dies at Dawn » si je ne me trompe pas) et sa reprise de « Action Comics » (l’attaque « simultanéiste » de Vyndktvx).

Oui, cet épisode des Invisibles est particulièrement marquant et c’est vrai que dans l’ensemble foisonnant d’épisodes que compte la série, celui-ci me revient tout de suite à l’esprit.

Ce que je retiens surtout, c’est le questionnement sur l’archétype du héros qui tue sans aucun scrupule et sur le raisonnement des scénaristes qui utilisent de tels procédés, avec comme conséquence la banalisation de la violence.

Mais cela fait déjà écho à la réflexion qu’aura Jack, puis King Mob lui-même plus tard, puisque dans le volume 3, il refusera ensuite de tuer.

La même. M’avait impressionné à l’époque ! (et je crois qu’elle me fait toujours son petit effet, la coquine !)

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Tomb of Dracula #25 (octobre 1974)
Night of the Blood Stalker !
scénario: Marv Wolfman
dessin: Gene Colan
encrage: Tom Palmer

Le détective privé Hannibal King fait la connaissance de Adrianne Brown, une jeune mariée qui a assistée impuissante à l’assassinat de son mari par le roi des vampires lui-même.
Vu qu’elle ne croit pas aux vampires, King essaye donc de la convaincre en évoquant son expérience personnelle sur le sujet.

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Après avoir décidé de s’occuper de l’affaire, il rencontrera assez vite le meurtrier, occasionnant quelques imprévus qui le pousseront à clore ses recherches et à essayer d’y voir un peu plus clair dans tout cela, pour pouvoir expliquer à sa cliente les raisons du meurtre.

La jeune veuve se satisfera finalement de la théorie de King, ce qui s’explique par la conclusion qui dévoile un twist bien dans le ton de la série, bien amené et de manière assez subtile puisque ce rebondissement n’est pas spécialement prévisible et amène à prendre en considération les divers indices qui parsèment l’histoire, et donc à revenir en arrière pour les dénicher, poussant les lecteurs à jouer à leurs tours les détectives.

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Pour une fois, l’attention n’est pas focalisée sur Dracula et ses adversaires, s’éloignant ainsi du fantastique pur pour lorgner plus ouvertement vers le polar, avec toutes les techniques narratives que cela implique (la voix off en particulier que le scénariste utilise d’une manière très adéquate) au sein d’une intrigue qui peut se résumer à une structure classique de film noir bouleversée par l’irruption des vampires.

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Tout cela passe par l’utilisation de codes et situations récurrentes du genre qu’il s’agisse des complots, des passages à tabac, des descentes dans les bars à la recherche d’informations, et bien sûr une figure féminine centrale à l’intrigue, comme le montre la première page de l’épisode qui débute avec une situation archétypale du genre, qui me rappelle une scène semblable avec Hela dans un excellent épisode de X-Factor (l’arc à Las Vegas avec Pip le Troll si mes souvenirs sont bons).

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Au début de la saga la qualité était assez variable, mais à ce stade la série a trouvée son rythme de croisière et l‘équipe créative est très efficace, Wolfman varie les genres et Palmer apporte une plus-value indéniable à l’encrage, sans oublier Gene « The Dean » Colan dont le style virtuose dans la gestion des ombres et du mouvement crée une atmosphère inimitable qui s’accorde à merveille avec ce type de récit (à l’instar de l’excellente série Nathaniel Dusk qui fonctionne sur une ambiance similaire).

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J’apprécie beaucoup le travail de Palmer en général et plus particulièrement sur cette série, néanmoins en relisant le premier épisode, j’aurais tendance à considérer Colan comme étant celui qui s’encrait le mieux finalement.

Wolverine & the X-Men #24 (janvier 2013)
Ain’t No Sin To Be Glad You’re Alive
scénario: Jason Aaron
dessin: David López
encrage: Alvaro López

Un excellent fill-in, assurément un des meilleurs que j’ai pu lire ces dernières années, qui permet à Aaron de faire un point sur les relations entre certains personnages, et plus largement d’écrire un épisode entièrement focalisé sur la dimension Soap Opera de la franchise.

Le scénariste s’approprie efficacement cette étape incontournable, ce passage obligé comme le rappelle Quentin Quire lors d’une scène irrésistible avec Jean Grey (« S’il est une chose qu’on fait plus souvent que de voyager dans le temps ou de revenir d’entre les morts…c’est de se draguer entre nous »).

L’histoire se concentre sur une série de rencards qui se finissent plus ou moins bien, débouchant sur des constats sensiblement différents, qui montrent bien que les personnages sont décidés à ne pas refaire les mêmes erreurs, voulant manifestement mettre de côté les regrets et la tendance à se morfondre, pour accepter le changement et les responsabilités et apprécier l’instant présent.

Le scénariste utilise le groupe de nouveau plus comme une famille recomposée à grande échelle plutôt qu’en tant équipe lambda, retrouvant fugacement un élément propre au charme de la période des 80’s, propice aux intermèdes portant sur la caractérisation des personnages et l’approfondissement de leur psychologie. Aaron semble renouer avec le sens du fun caractéristique de certains arcs de la période Claremont (Asgardian Wars pour citer un de mes préférés).

L’épisode est également l’occasion de développer la relation d’un jeune couple prometteur à ce moment-là, mais ça c’était avant que Bendis fasse son petit caprice et décide au moment du crossover (ou plutôt la purge) Battle of the Atom de s’accaparer le personnage de Kitty Pryde que Aaron écrivait d’une manière bien plus satisfaisante.

Les interactions sont dans l’ensemble très réussies, parsemées de dialogues justes et touchants, qui montrent bien que le scénariste maîtrise très bien les fondamentaux de la série. Cela se voit avec plein de petits détails, ça peut sembler anodin lorsque Bobby mentionne sa présence dans l’équipe des Champions, mais cela témoigne d’un sens de la dérision et d’une gestion astucieuse de la continuité, preuve que ce n’est pas forcément un fardeau mais plutôt une richesse potentielle, dès lors que les scénaristes savent bien s’en servir.

Aaron arrive à bien traiter les divers protagonistes de la série en un seul et même épisode, avec des intrigues assez denses (des arcs en trois numéros bien remplis ça change agréablement de la tendance à la décompression) comme le montre cet épisode d’accalmie entre la saga du cirque de Frankenstein hommage à Byrne et le très bon arc en Terre sauvage (là encore un élément incontournable de la série revisité) assez rare et appréciable pour les enseignants de l’école vu la folie ambiante du titre.
Ce moment de calme relatif permet de découvrir certains professeurs dans des rôles inattendus, qu’il s’agisse de Logan en baby-sitter et Deathlok en capitaine de soirée, ou encore Ororo qui arbore à nouveau son ancien look (ce qui correspond je trouve à la période la plus intéressante du personnage).

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La partie graphique assurée par les frères Lopez s’accorde très bien à ce type d’intrigues, fonctionnant parfaitement notamment dans la représentation des expressions faciales et au niveau du dynamisme des scènes d’actions. Enfin bref un épisode bien représentatif des qualités de la série, qui a permis de redonner beaucoup de fraîcheur et d’inventivité à une franchise qui commençait à en avoir bien besoin.

je sais pas si vous l’avez précisé, mais mme murray, la femme du protagoniste, on la retrouve en fin de série.

C’est exactement ça ! Tu as très bien résumé (du moins, mon ressenti)

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Daredevil #268 (juillet 1989)
Golden Rut
scénario: Ann Nocenti
dessin: John Romita Jr
encrage: Al Williamson

Après la mini-série Longshot, Ann Nocenti arrive sur la série, marquant le début de ce qui reste une des meilleures périodes du titre, qui au départ ne devait durer que le temps d’un fill-in (l’épisode de Windsor-Smith) et qui s’est prolongé en raison du désistement d’Englehart, les événements de l’épisode en question l’ayant obligé à revoir ses plans, sans oublier que la sortie récente à ce moment-là de Born Again apportait une certaine pression. Nocenti a tout de même relevée le défi, ayant le mérite d’avoir osé prendre le risque de s’éloigner de l’héritage millerien pour partir dans une tout autre direction très originale et ambitieuse, en particulier avec la seconde phase du run.

Cette période se démarque par cette errance au fin fond de l’Amérique profonde, dans une quête de rédemption et de ressourcement (finalement quelque chose de presque récurrent dans la série, qu’il s’agisse de l’épisode de Buscema ou encore la mini-série Reborn de Diggle) avec ce voyage de villes en villes, et son lot de problématiques diverses et variées, d’une manière analogue à ce que faisait Dennis O’Neil sur le fameux Green Lantern/Green Arrow.

Après une collaboration avec le talentueux Leonardi entre autres, son run a atteint son plein potentiel avec l’arrivée de JRjr, visiblement inspiré à l’idée de s’occuper de la série de tête à cornes (je me rappelle d’une anecdote découverte je ne sais plus où comme quoi la vocation du dessin lui serait venue grâce à une illustration de son père sur cette série).

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La scénariste n’hésite pas à prendre des risques, ne ménageant pas le protecteur de Hell’s Kitchen loin de là, et en traitant de thèmes peu évoqués généralement, tels que l’écologie, l’euthanasie, la tromperie ou encore la maltraitance animale, le souci de l’environnement, ainsi que la création de personnages féminins qui tranchent avec ceux que l’on voit habituellement, qu’il s’agisse de Typhoid Mary la schizophrène, Brandy l’activiste ou encore n°9 la potiche ultime, un expérience de laboratoire crée dans le but de devenir la femme parfaite, correspondant plutôt à l’idée que se fait le père de Brandy de ce que devrait être la gent féminine.

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Elle va également en profiter pour créer un nouvelle galerie d’adversaires (Bushwacker, Bullet, etc…) ainsi qu’un nouveau supporting cast, qui se distingue par la présence d’un groupe de gosses, d’ailleurs Romita Jr les dessinait bien mieux à l’époque en comparaison de ceux aperçus dans son run sur Captain America. Par rapport à ses prédécesseurs, elle est visiblement plus intéressée par la dimension sociale du récit, comme le montre la période où elle était éditrice de la franchise X-Men, qui verra la mise en avant du sous-texte de la discrimination.

Avec DD, elle pousse très loin également la déconstruction du genre (il n’y a guère qu’avec Miller que Murdock est tombé aussi bas, d’autant que le personnage est en partie responsable de sa propre chute dans la saga de Typhoid Mary).

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Avec ce run, je considère que Romita Jr réalise le meilleur travail de sa carrière, bien aidé par la finesse de l’encrage de Williamson, je trouve que c’est à partir de là que le dessinateur a montré qu’en termes de découpage et de dynamisme, il pouvait être tout aussi doué (sinon plus) que son père, avec le début de la stylisation progressive de son style, sans oublier son utilisation judicieuse du storytelling avec des planches détaillées, dynamiques et lisibles, améliorées par l’aide précieuse d’un encreur expérimenté qui se montre particulièrement doué dans la représentation des effets de matières et de textures, avec ses traits caractéristiques visibles souvent au second-plan.

Cet épisode en particulier marque le début de la période « road-movie », un voyage initiatique ayant comme finalité principale la tentative de rédemption du héros après sa chute. Karen étant partie, la seule personne qui aurait pu l’empêcher de sombrer, Murdock se retrouve désemparé, et déterminé à ne plus interférer, résigné à tourner le dos à son passé.

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Après être arrivé dans une petite ville, Murdock va s’immiscer malgré lui dans un conflit qui oppose deux frères. Raymo répugne à utiliser la violence pratiquée sans scrupules par son frère Hank qui s’enrichit en tant qu’extorqueur de fonds, n’hésitant pas à faire quelques sacrifices aux passage, une notion qui met mal à l’aise son frangin qui a été traumatisé durant son enfance par le sort de Winnie son chien qui avait subit une amputation dans le but de le sauver. Il voudrait arrêter pour avoir enfin la conscience tranquille, mais l’idée de couper le lien fraternel le fait douter, nécessitant du coup une aide extérieure, l’élan nécessaire pour faire ce dont il a réellement envie. Vu le cadre choisi, les scènes sont plus intimistes qu’à l’accoutumée, pas de bad guys dans cet épisode, juste de simple citoyens qui font face à des problèmes de la vie de tous les jours.

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Grâce à ses sens hyper développés (que Nocenti utilise pour user d’une narration assez dense en informations) Matt est au courant de l’affaire, et n’ayant plus rien à perdre, il n’hésite pas à utiliser des mesures drastiques pour régler la situation, signe de sa radicalisation et de son état d’esprit.

Cette courte histoire est véritablement transcendée par le talent de l’équipe créative, qui apporte une véritable singularité dans l’approche, qu’il s’agissait de l’ambiance sombre et de l’utilisation des scènes chocs, en particulier celle de la pendaison avec DD qui se place en tant que figure vengeresse menaçante, qui se contente de répéter les paroles de Hank pour lui rappeler ses crimes, une scène très tendue que le dessinateur gère habilement, s’autorisant au passage quelques expérimentations visuelles (cette scène cauchemardesque qui hante le cadet).

Matt s’aperçoit également à quel point les ramifications de l’organisation du Caïd sont vastes, lui rappelant son désir de vengeance qu’il essaie de contrôler, un des raisons principales de son départ de New York. La conclusion amène une issue plus pacifique que celle d’un des épisodes précédents, je pense en particulier à l’épisode du Bar avec l’affrontement des deux frères, dont l’opposition était exacerbée par l’influence néfaste de Méphisto.

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Pas vraiment intéressée par les scènes de combats classiques, Nocenti aura plutôt tendance à se focaliser sur la caractérisation et l’altération des codes du genres, plus axé sur la dualité et la psychologie, ainsi que la mise en place d’une atmosphère qui se rapproche graduellement plus du fantastique que du polar urbain (le cap est définitivement franchi avec l’arrivée de la némésis du Silver Surfer mais aussi avec les excellents tie-in des crossovers de l’époque souvent centrés autour des X-Men).

Murdock étant plus proche que jamais de la dépression, elle le pousse au fond du gouffre, un pari audacieux qui fonctionne, mais tout cela n’est pas gratuit, la scénariste chercher à tester et à questionner les limites du héros, notamment avec la prise de conscience de la futilité de la violence à résoudre certains conflits. Nocenti rechigne à écrire des scènes d’actions sans raisons valables, mais il faut bien passer par cette étape inévitable, nécessitant du coup de trouver des justifications plausibles qui font sens, durant la même période Morrison cherchait également une alternative à la résolution d’un conflit par la violence, notamment dans sa reprise avec brio de la série Doom Patrol.

La scénariste utilise cette idée forte que choisir de refuser cette option de la violence peut s’avérer un signe de force, et que c’est une façon comme une autre de s’opposer à l’adversaire, comme le montre l’arc en Enfer (à l’instar de ce que fait Raymo lorsque il décide finalement de choisir une autre voie) donnant lieu à une dimension anti-spectaculaire/anti-climatique qui marque la fin momentanée d’un cycle de violence, une phase assez atypique mais qui ne manque pas de singularité et d’intérêt.

Effectivement bonne remarque.
J’avais oublié de le préciser, peut-être parce que je n’ai pas encore lu la fin, vu que je me suis contenté des volumes vf publiés par Panini et Le Téméraire.
La lecture du bouquin de Yann Graff sur Momo m’a motivé pour enfin relire l’ensemble du run.

Merci pour ces chroniques très intéressantes.

Rhaaa merde !! Moi qui bosse sur un gros post sur le run de Nocenti, voilà que je n’ai plus rien à faire ! :wink:

L’épisode sur lequel tu t’appuies, le 268, est mon préféré du run, je crois bien (Alex Nikolavitch en disait aussi tout le bien qu’il en pensait sur un autre thread), sans l’ombre d’un super-vilain en effet… Et le tandem Romita Jr / Williamson est au top là-dessus.

Je suis sûr qu’il y a beaucoup d’autres choses à évoquer sur ce run (le rise & fall du héros notamment) vivement ta rétrospective. :slight_smile:
Le prochain épisode sur lequel je vais me pencher prochainement devrait t’intéresser également puisque il s’agit du Batman de Milligan.