LE GOUFFRE AUX CHIMÈRES (Billy Wilder)

Drame
Long métrage américain
Réalisé par Billy Wilder
Scénarisé par Billy Wilder, Walter Newman et Lesser Samuels
Avec Kirk Douglas, Jan Sterling, Bob Arthur, Porter Hall…
Titres originaux U.S. : Ace in the Hole / The Big Carnival
Année de production : 1951

Après le succès de l’oscarisé Boulevard du Crépuscule, devenu un classique du film noir, Billy Wilder (Certains l’aiment chaud) a obtenu carte blanche de la Paramount pour son projet suivant qu’il a co-écrit, réalisé et produit. Il était également prévu qu’il touche un pourcentage sur les bénéfices en cas de succès…ce qui n’est jamais arrivé car la sortie du Gouffre des Chimères, dont Billy Wilder a toujours parlé comme de l’un de ses meilleurs films (et il avait bien raison), s’est soldée par un échec cinglant, aussi bien critique que public. Le cynisme cruel d’un scénario au ton très dur inspiré par deux faits divers a désarçonné les spectateurs de l’époque…et le portrait virulent de certaines institutions n’est pas passé auprès des journalistes…

Le personnage principal est d’ailleurs un reporter. Arrogant et opportuniste, Charles Tatum a été viré de la plupart des magazines des grandes villes. Sans le sou, il propose ses services au journal local d’une petite ville près d’Albuquerque au Nouveau Mexique. Sa réaction amusée à la devise de l’éditeur (« Dire la vérité », brodée et accrochée au mur, non pas une mais deux fois) en dit déjà long sur le bonhomme. Tatum pense qu’il va se remettre en selle, trouver le bon sujet avant de repartir pour la grande ville…mais après une ellipse bien amenée, on découvre qu’il est toujours là un an plus tard, rongé par l’ennui…

Alors que son patron l’envoie couvrir une chasse aux serpents, Tatum s’arrête dans la bourgade reculée d’Escudero pour remplir son réservoir. Là, il apprend qu’un homme appelé Leo Minosa est pris au piège de la galerie effondrée d’une montagne où il était à la recherche d’objets indiens. Tatum voit tout le potentiel de cette histoire et il va tout faire pour s’en assurer l’exclusivité. Celui qui était presque éteint semble revivre, son énergie et son sourire carnassier contrastant avec le drame qui se déroule et l’état de l’homme désespéré, incapable de bouger dans les profondeurs de la grotte. Kirk Douglas est remarquable dans le rôle de ce manipulateur qui serait bien capable de vendre sa mère pour un scoop…

Pour tirer tout ce qu’il peut tirer de cette affaire, Tatum se met dans la poche le shérif véreux et parvient à faire prolonger le sauvetage de quelques jours afin d’avoir de la matière pour alimenter ses articles. La situation fait qu’il y a peu de protagonistes sympathiques dans ce récit, entre la femme de Leo qui ne pense qu’à quitter ce trou perdu (et avec laquelle Tatum noue une relation conflictuelle et presque sadomasochiste), le jeune photographe un peu trop naïf qui se laisse facilement embarquer par les promesses de Tatum, un représentant de la loi obsédé par sa réélection et des témoins attirés par l’odeur du sang, vision désabusée d’un trait de caractère hélas très humain…

Car autour du sauvetage s’organise un véritable cirque médiatique, expression qui n’existait pas encore et qui montre à quel point Billy Wilder s’était montré visionnaire et pertinent dans sa critique du sensationnalisme. Même s’il n’a pas apprécié l’initiative, le deuxième titre choisi par le studio pour essayer d’attirer (en vain) plus de monde dans les salles, The Big Carnival, correspond bien à cette atmosphère dérangeante, où la lutte pour la survie passe presque au second plan, l’histoire montée autour de Leo étant devenue plus importante que son propre sort…jusqu’à ce que Tatum se rende compte, bien trop tard, qu’il est allé trop loin…

Réussite absolue, Le Gouffre aux Chimères ne pouvait que se terminer sur une note amère…et un plan d’une infinie tristesse…

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Le meilleur film sur le cirque médiatique, le buzz et la responsabilité de tous dans ce bordel méprisable, a plus de 70 ans

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