img15.hostingpics.net/pics/7479971113709411571145909665871139981064380725891n.png
REALISATEUR & SCENARISTE
Michael Mann
DISTRIBUTION
William L. Petersen, Kim Greist, Joan Allen, Tom Noonan, Brian Cox…
INFOS
Long métrage américain
Genre : thriller/horreur
Titre original : Manhunter
Année de production : 1986
Avant d’avoir été remarquablement adapté par Bryan Fuller, le roman « Dragon Rouge » de Thomas Harris avait fait l’objet d’une adaptation cinématographique par nul autre que Michael Mann.
Encore loin à ce moment-là d’avoir obtenu la reconnaissance critique qu’il a fini par acquérir avec Heat, The Insider et Ali, celui-ci oscille entre oeuvres atypiques, sujets de prédilections, et incursions pas toujours concluantes dans des genres variés. Après le téléfilm très abouti « The Jericho Mile », l’excellent « Thief » et le très inégal « The keep », le réalisateur va aborder son magnum opus des années 80 qu’est « Manhunter », en choisissant de s’approprier le sujet tout en étant relativement fidèle au roman d’origine.
img15.hostingpics.net/pics/712199reviewManhunter2.jpg
Une des clés de l’esthétique de l’oeuvre du réalisateur réside dans ce qui reste une des séries phares des 80’s, à savoir Miami Vice. Ce succès lui a remis le pied à l’étrier en lui permettant de rebondir, et il n’est donc pas étonnant de le retrouver dans le genre policier/thriller. Mann est même allé jusqu’à établir une correspondance avec le meurtrier Dennis Wayne Wallace, qui a donné au réalisateur l’idée d’utilise le morceau « In-A-Gadda-Da-Vida » du groupe Iron Butterfly pour la scène de l’affrontement entre le héros et sa némésis (un peu vite réglé à la revoyure).
Au-delà de sa maîtrise technique, Mann est très attaché à la notion d’authenticité comme Friedkin, virant parfois au perfectionnisme maniaque de l’exactitude du détail, ce qui se reflète dans les figures de sa filmographie, qui sont souvent des professionnels rigoureux.
Le personnage de Will Graham s’inscrit dans cette lignée, à la différence près qu’il a démissionné suite à une altercation violente avec Lecter (appelé Lecktor dans ce film). Lorsque son supérieur et ami lui demande de rempiler, il finit par accepter, autant pour arrêter la « Tooth Fairy » que pour opérer une confrontation cathartique avec ses démons intérieurs.
Graham est en effet un profiler, spécialisé dans l’étude des serial killers, ayant la capacité de s’identifier à eux et de reproduire leur état d’esprit pour mieux les arrêter. Le metteur en scène préfère ne pas s’attarder sur les meurtres, mais plutôt sur la méthodologie du profiler qui essaie de retracer le fil des événements et de tracer à partir de là un profil psychologique du tueur pour comprendre sa motivation.
Pour lui cela équivaut à une arme à double tranchant, qui menace constamment sa santé mentale, provoquant chez lui une dualité qu’il le rapproche de ceux qu’il traque. C’est William Petersen qui interprète ce personnage, lui qui a alors déjà bénéficié d’un premier rôle court dans Le Solitaire, et dont l’interprétation la plus mémorable reste sans conteste celle du flic borderline dans l’excellent To Live and Die in L.A., l’autre grand film policier de la décennie, signé William Friedkin, natif de Chicago comme Mann et qui entretient avec lui une relation conflictuelle (du moins à l’époque, il semblerait qu’ils se soient rabibochés depuis).
Après ces deux coups d’éclat, Petersen s’est fait plus rare au cinéma, refusant même un rôle dans « Les Affranchis » de Scorsese, lui préférant visiblement le petit écran, dans lequel il a trouvé son rôle le plus connu, à savoir celui de Grissom dans la série « Les Experts ».
img15.hostingpics.net/pics/758945manhunternoonan3.jpg
Mann s’est entouré également de collaborateurs réguliers comme Dennis Farina, ex-flic que l’on aperçoit dans « Le Solitaire », ou encore Kim Greist, que l’on retrouve dans Miami Vice (la série, pas le film dont Mann s’est également chargé). Brian Cox complète le casting, dans le rôle d’Hannibal, dont la présence occupe une portion congrue du roman et du film, loin encore d’avoir acquis la popularité dont il a bénéficié à partir de l’interprétation d’Anthony Hopkins dans « Le Silence des agneaux » ( Friedkin lui-même a un temps été brièvement envisagé pour le rôle).
Le fait que le film commence à travers le regard du tueur n’est pas un hasard, permettant ainsi de créer ainsi une sensation de malaise, de trouble provoqué par le positionnement, le regard du spectateur se confondant avec celui du tueur, préfigurant le cheminement par lequel passe Graham à chaque fois qu’il se retrouve sur une scène de crime.
Cette tension est manifeste lors du face-à-face entre Graham et Hannibal, liés par leur passif et leur connaissances communes.
Par le biais d’une impression d’enfermement provoquée par le lieu, Mann arrive, grâce à un simple champ-contrechamp, à jouer sur la symétrie spatiale et sur la confusion visuelle, avec un plan conçu de telle manière à ce que l’on voit les barreaux dans le même positionnement à chaque fois que la caméra alterne. À force d’alterner entre les deux interlocuteurs, on en vient à se demander lequel des deux est enfermé, et in fine, qui est finalement est le plus stable psychologiquement.
Hannibal a beau avoir un temps de présence limité à l’écran, cette scène n’en reste pas moins mémorable dans la façon de montrer les similitudes et différences fondamentales entre le tueur qui se cache sous un apparence de normalité et l’homme normal qui se plonge dans la psyché des serial killers, quitte à mettre en danger sa santé mentale.
Cette dualité/complémentarité est poussé encore plus loin avec le personnage de Francis Dolarhyde, dont le réalisateur dresse un portrait loin d’être unilatéral est manichéen.
Mann opère même un choix plutôt risqué mais payant, étant donné que l’intrigue délaisse Graham pendant un temps pour creuser la psychologie du serial killer, dressant ainsi un portrait plus nuancé, par le biais de sa relation avec une jeune femme.
Cela donne lieu à quelques belles idées thématiques, pas surlignées de manière insistante avec des dialogues sur-explicatifs, et qui passe par l’ambiance de la scène, dont la bande son est un élément clé.
L’espace d’un instant on en serait presque à espérer que son bon côté prenne définitivement le dessus, sauf que sa perception déformée en décide autrement.
img15.hostingpics.net/pics/387338tygertyger4.jpg
Cette approche apparaît notamment dans la scène du tigre, qui permet de comprendre que Dolarhyde n’est pas seulement animé par de mauvaise intentions. En effet lui qui est obsédé par le regard des autres, s’éprend d’une femme aveugle, qui l’apprécie pour ce qu’il est, ou en tout cas ce qu’il laisse paraître, de la même façon qu’elle est émue par la beauté du fauve, passant outre sa dangerosité. Ce moment constitue assurément une des scènes les plus envoûtantes du cinéma américain des années 80, et qui renvoie directement au poème de William Blake.
Comme la plupart des autres personnages féminins de la filmographie du réalisateur, Reba incarne une possibilité de rédemption, une autre voie possible faisant miroiter une seconde chance, une autre existence plus paisible, tel un phare dans la nuit, dont ceux qui s’en détournent sont souvent perdus (Neil McCauley, Frank).
Graham fait quant à lui le trajet inverse, en s’éloignant momentanément de ses proches pour les protéger. Les craintes du héros peuvent être résumées par la réplique de Vincent Hanna, prononcé dans Heat (« je suis ce que je poursuis »), qui peut tout aussi bien s’appliquer à Will Graham, à la nuance près qu’il est toujours sur la corde raide, essayant de comprendre le raisonnement des serial killers sans en devenir un lui-même.
Mann travaille cette dichotomie entre les deux en les rendant complémentaires, après tout ils sont opposés mais se comprennent à un niveau que la plupart de leurs proches n’arrivent pas à percevoir, à l’image de Pacino et De Niro dans Heat (qui est décidément la pierre angulaire de sa filmographie, à défaut d’être son meilleur film).
La façon dont ils interagissent avec les autres montre bien que leur regard est primordial, surtout quand il s’agit de perception et de déduction qui peut passer par le ressenti, ou encore ce mal qui ronge Dolarhyde (même si le réalisateur préfère ne pas trop s’appesantir sur la personnalité du Dragon rouge et son enfance malheureuse). Tom Noonan campe à merveille ce personnage, tour à tout touchant ou effrayant, et constamment imprévisible, ce qui le rend d’autant plus intéressant.
Dans un souci de cohérence visuelle, le réalisateur fait preuve d’une récurrence chromatique sur le plan formel, associant le vert à Dolarhyde, le blanc à Hannibal, et bien sûr le bleu, sa couleur fétiche, souvent associé à la femme, à la mer, et au foyer accueillant, tous trois synonymes de sérénité retrouvée pour le héros à l’issue de son périple.
Le film bénéficie d’un montage nerveux quand il le nécessite, alternant avec des passages plus contemplatifs qui instillent une atmosphère bien particulière, à la fois onirique et éthérée, par le biais d’une approche sensitive (faute d’un meilleur terme) en phase avec les visions de Graham, responsable de cette espèce de bulle de réalité alternative qu’il se construit dans son esprit, et qui permet au spectateur de figurer ce qu’il entrevoit (moins gore que dans la série de Fuller mais tout aussi dérangeant dans l’ambiance qui s’en dégage).
img15.hostingpics.net/pics/661805275818mhpng5.jpg
À l’instar de ses précédents films, la musique occupe une place prépondérante, un élément indispensable comme vecteur d’émotions, dont l’impact est décuplé par une mise en scène atmosphérique et stylisé, bien mise en valeur grâce au travail de Dante Spinotti, le directeur de la photographie qui a dans son tableau de chasse quelques fleurons du film noir et du polar (Heat, The Insider, L.A. Confidential). Mann accorde beaucoup d’importance à la composition du cadre, et pour cause puisque il a toujours eu intérêt certain pour l’architecture, cet aspect étant toujours choisi avec soin dans ses films, avec une prédilection pour l’épure, la soustraction pour ne préserver que l’essentiel.
Le producteur mogul Dino De Laurentiis a préféré changer le titre « Red Dragon », en raison de L’Année du dragon de Cimino qui n’avait pas hyper bien marché l’année précédente au box-office. Cependant il n’a pas eu les mêmes réserves par la suite, puisque le roman a été adapté de nouveau, et de manière déplorable par Brett Ratner. Les deux films constituent l’adaptation du même récit, mais ils sont cependant diamétralement opposés, tant dans la qualité que dans l’approche (d’un côté un film de commande sans éclat et de l’autre une oeuvre innovante et quasi-expérimentale dans sa façon de renouveler le genre dans lequel il s’articule).
Suite à une réception mitigée du film au box-office, Mann est revenu vers le petit écran avec la série Les Incorruptibles de Chicago, pour ensuite définitivement s’imposer dans les années 90, avec au moins deux films qui atteignent à mon sens les sommets de leurs genres respectifs.