LÉNINE A MARCHÉ SUR LA LUNE (Michel Eltchaninoff)

Lénine a marché sur la lune: La folle histoire des cosmistes et transhumanistes russes

Il y a un peu plus de cent ans, en Russie, des penseurs mystiques ou anarchistes voulaient ressusciter les morts et les envoyer dans l’espace. Contrôler les processus physiologiques, cosmiques et mentaux devint un objectif majeur du régime communiste.
Ce projet ne disparaitra pas avec l’Union soviétique. Cette histoire, quasiment inconnue, annonce notre époque qui rêve à nouveau d’ immortalité et de conquête spatiale.

Cosmisme

Les origines russes du transhumanisme

Coloniser l’espace. Repousser la mort et faire renaître les défunts. Créer le vivant. Mettre en place un réseau mondial. Libérer la puissance de l’esprit. Comprendre et contrôler les processus cosmiques. Manipuler les phénomènes atmosphériques. Sauver la terre. Ces projets, dont certains ont été réalisés et d’autres le seront peut- être bientôt, ont une histoire russe. Dans un mélange de recherche scientifique approfondie, de métaphysique pure et de mysticisme, le mouvement appelé cosmisme a modelé le siècle soviétique. Il est l’une des sources d’inspiration des transhumanistes californiens d’aujourd’hui. Le laboratoire secret de Google en reprend toutes les idées. Les cosmistes ont écrit notre futur.

Cet ouvrage se propose de tirer les fils de cette histoire, du milieu du 19e siècle à nos jours. Le premier cosmiste était un philosophe farfelu, Nicolas Fedorov, correspondant de Dostoïevski. Il avait le projet de ressusciter concrètement les morts. Certains de ses disciples, comme le grand rival bolchévique de Lénine Alexandre Bogdanov, étaient convaincus que la transfusion sanguine en était le moyen. Le corps de Lénine n’a-t-il pas été momifié à cette fin ? D’autres ont théorisé la conquête spatiale dès les années 1920, afin de peupler une terre devenue trop exigüe. Des savants soviétiques ont tenté de calculer l’effet du soleil sur la vie et l’histoire humaine. Ou, comme Guéorgui Vernadski, ont créé le concept de biosphère et de noosphère, ouvrant le champ d’une physique de la pensée. Délires poétiques ou carrément totalitaires, destinés à créer l’Homme nouveau ? Sans doute. Mais ces hommes ont donné naissance au programme spatial de l’Union soviétique, à ses progrès en cybernétique, à la fascination de ses services secrets pour la par apsychologie. Aujourd’hui Vladimir Poutine cite Vernadski. Le tout nouveau chef de l’administration présidentielle, Anton Vaïno, est le concepteur d’un nooscope, « réseau de scanners spatiaux » destinés à sonder la pensée humaine… Ce pan de la culture russe est soviétique, presque totalement inconnu en dehors de la Russie, paraîtra un peu fou à un esprit cartésien. Il est néanmoins très présent et explique de nombreux traits de la Russie actuelle, et même de sa politique. Depuis quelques décennies, le cosmisme a d’ailleurs une seconde patrie. La Silicon Valley a été massivement investie par des informaticiens et des savants d’origine russe, dont le plus célèbre est Sergueï Brin, cofondateur de Google, et qui rêve… de ce dont rêvaient les penseurs du cosmisme : transhumanisme, nouvelle manière de vivre et de se déplacer sur terre, conquête spatiale.

Les vies et les idées de ces savants géniaux et inquiétants dessinent notre futur. Racontons leur histoire, redécouvrons leurs textes (non traduits) et leurs projets. Afin de souligner le lien entre le passé et le présent, le livre comportera également des entretiens avec des personnalités ― savants, ingénieurs, intellectuels ― en Russie et en Californie. Finalement, nous essaierons de comprendre comment le rêve de progrès, que l’Europe a abandonné, est passé de l’Eurasie vers la Côte Ouest des Etats-Unis.

Michel Eltchaninoff, agrégé et docteur en philosophie, spécialiste de philosophie russe, est rédacteur en chef adjoint de Philosophie Magazine.

  • Éditeur ‏ : ‎ Actes Sud (12 janvier 2022)
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Broché ‏ : ‎ 256 pages
  • ISBN-10 ‏ : ‎ 2330130481
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2330130480
  • Poids de l’article ‏ : ‎ 210 g
  • Dimensions ‏ : ‎ 11.6 x 1.9 x 19.4 cm

Hier, dans la chronique « Le Vif de l’histoire » de Jean Lebrun, évocation du bouquin de Michel Eltchaninoff :

Excellent bouquin, au demeurant. Passionnant, même.

Jim

Donc, bouquin passionnant.
Eltchaninoff choisit une perspective historique, afin de replacer le « cosmisme » dans l’histoire des idées, d’en expliquer les origines et les racines (par exemple, l’infinie platitude des plaines russes enneigées, parsemée d’églises, propice à la contemplation, à la religiosité et à la projection vers l’ailleurs et le lointain), les articulations avec les grandes pensées de l’époque, etc. Il décrit comment une interprétation innovante de la religion chrétienne (que l’on pourrait taxer d’hérésie, disons) s’est mélangée au rapport positiviste à la science et à l’obsession de l’homme nouveau qui parcourt le début du XXe siècle et qui aura son expression dans le soviétisme… Puis il explique comment le régime en place y voit des traces de religion, ce qui conduit la pensée cosmiste à devenir souterrain, à s’expatrier avec ceux qui y adhèrent, et à se mélanger à d’autres visions (là, on croise notamment Pierre Teilhard du Chardin, pour n’évoquer que le plus connu…).
L’auteur explique comment les idées mûrissent en cachette, nourrissent un imaginaire de l’espace chez les scientifiques, et finissent par émerger à nouveau à la faveur de la glasnost gorbatchévienne. Là, à ce niveau, l’aspect religieux revient en force, dans un effet d’appel d’air après la chasse aux soutanes de l’ère soviétique et, en passant par l’idée d’une énergie propre au peuple russe, se greffe sur le nationalisme renaissant.
C’est assez passionnant parce que, en plus de raconter l’histoire de certaines idées, le bouquin est aussi une histoire de la Russie, à la fois en matière d’événements, de dates et de points de repère, mais aussi en matière de concept.
Fatalement, mais c’est lié au sujet, on pourra reprocher au bouquin de ne pas avoir souvent jeté des ponts vers d’autres cultures (par exemple, vers la même époque, dans l’ouest américain, un étrange syncrétisme entre la religion chrétienne et les croyances indiennes donnera « la danse des esprits », sorte de fantasme de retour des morts et de reconquête de la prairie par un peuple indien unissant ses vivants et ses morts : l’ambiance fin de siècle, déjà palpable dans la littérature européenne, engendre des trucs marrants un peu partout en même temps…) voire d’autres supports (on aurait rêvé d’avoir un éclairage sur la fiction russe, un peu plus poussé que le roman L’Étoile rouge ou les textes des frères Strougatski). Mais en même temps, cette structure du bouquin fait écho à la chape de plomb de l’époque, et l’auteur aura sans doute préféré ne pas s’aventurer dans des domaines pouvant, à terme, relever du hors sujet.
Les dernières pages, qui évoquent la manière dont les idées cosmistes peuvent se retrouver à la fois dans les efforts sidéraux (et sidérants) d’Elon Musk ou Jeff Bezos et dans la pensée transhumaniste, sont pas mal du tout. Elles présentent de la part d’Eltchaninoff un plus grand nombre de suppositions (ça se voit au fait qu’il y a moins de notes et de références), mais les parallèles sont bien articulés, d’autant que l’auteur cherche à mettre en évidence les points communs et les divergences (notamment d’ordre religieux) entre les deux approches.
Bref, c’est un super bouquin, qui propose une exploration d’un imaginaire entre conquête spatial et résurrection des morts, avec aisance, le style étant plutôt élégant (quelques répétitions ici et là, rien de bien rédhibitoire) et agréable à suivre. Une chouette découverte, qui m’a donné envie de me replonger dans Cosmonautes, de Nikolavitch, histoire d’avoir un dialogue entre les deux.

Jim

1 « J'aime »

J’ai prêté le bouquin à un pote, qui est en pleine lecture enthousiaste :

Fiodorov ami de Tolstoi… Faudrait que je relise ce gros pavé avec un œil nouveau… voir photo.

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Jim