Donc, c’est très bien.
Tout commence avec les retrouvailles entre une bande de copains (qui grenouillent plus ou moins dans le monde de l’édition) et une amie de longue date qu’ils avaient perdue de vue, Neige. Max, le personnage central, m’évoque un peu Lehman lui-même, qui à mes yeux lui prête certains traits physiques, mais peut-être suis-je influencé par ma lecture de quelques textes récents où il évoque sa dépression et sa difficulté à écrire, mauvaise passe dans laquelle Max semble aussi se trouver.
On découvre également Seb, également lié aux éditions du Saule qu’il souhaite moderniser en investissant dans l’édition numérique, et Arthur, baroudeur ayant pratiqué l’urbex et nanti d’une prothèse de la jambe. Quant à Neige, elle a vécu en Angleterre avant de revenir par surprise. Ce retour est donc l’occasion d’évoquer le passé des personnages, notamment Max. Les échanges (notamment autour de l’urbex et du temps à rattraper) les conduisent à contempler une fresque que le décollage d’un papier peint a en partie révélée (une péripétie qui m’a immanquablement évoqué un épisode de Doctor Who - c’est dans « Blink », je crois, non ? - et dont l’idée, m’a-t-on dit, provient d’un texte de Charles Finney…).
Mais bien entendu, les choses ne s’arrêtent pas là et Max assiste à la disparition de Neige, pensant même avoir aperçu la silhouette d’une araignée géante, ce qui génère des regards interloqués de la part des enquêteurs (un peu méfiants mais très présents). Parallèlement à l’enquête de police, les amis vont suivre d’autres pistes, en partant de la signature au bas de la fresque : Ferdinand Krebs. Ce faisant, ils vont découvrir un pan à la fois historique et surnaturel de la région parisienne, qui relève d’une forme d’héritage atavique, voire de mythologie, et s’embarquer dans un voyage qui les dépasse… mais sur un chemin qu’ils ne sont pas les premiers à arpenter.
Alors c’est dense, c’est touffu, c’est bien dialogué et caractérisé dans l’ensemble, ça parle aussi de traumatisme et de reconstruction (et de déni). Et on retrouve les fixettes du scénariste-romancier : sa fascination pour les endroits secrets et les passages cachés, son rapport à l’art et à l’histoire des formes, sa volonté de créer (ou de mettre au jour) une mythologie foncièrement européenne / française / parisienne. Les lieux, les façades, les paysages, les points surélevés offrant des vues imprenables et mêmes les cartes constituent des étapes de la visite touristique qu’il nous propose. L’enquête est généreuse, elle déborde, il m’est arrivé plusieurs fois de revenir en arrière afin de bien vérifier qu’effectivement, tel nom, telle date ou telle information a déjà été évoquée. Je sens qu’il va falloir que je relise, d’autant que Lehman s’ingénie à glisser des indices qui rendent évidentes certaines révélations, à condition qu’on soit attentif. Il a également un sens évident de l’onomastique (la « vieille mer », trouvaille aussi simple que géniale) et sait nourrir un fantastique du quotidien qui surgit dans les coins d’ombre.
Une belle réussite, qui mérite sans doute plusieurs lectures.
Jim