LES NAVIGATEURS (Serge Lehman / Stéphane De Caneva)

Ah oui, tiens, je n’y avais pas pensé.

Jim

Excellent, une fois de plus. La dimension lovecraftienne est tres réussie.

Je crois que la lecture est une expérience qui ne peut etre représentée sur un plan euclidien. Entre la page, une surface euclidienne et la lettre inscrite dessus, il y a déjà un enchevêtrement de plan différent.

J ai lu à plusieurs reprise une origine pour les sinogrammes chinois sans etre assuré de son fondement historique. Les sinogrammes seraient liés à une magie divinatoire qui nécessitait une carapace de tortues
sur laquelle des symboles etaient inscrits, on fissurait la carapace et l on interprétait en fonction des signes que les fissures indiquées.

Ce qui frappe l imagination est que les sinogrammes n auraient pas été inspirés des signes inscrit sur la carapace mais des formes des fissures produites sur elle durant le rite et qui se repetaient.

Mais voilà, je dis " des fissures produites sur elle" mais ce sont les signes qui etaient peint SUR la carapace, les fissures etaient au niveau de la caparace elle même. Changement de plan. La lecture de la carapace produisait un sinogramme lettre qui changeait le plan où etait inscrit ce qui se lisait.

J aime beaucoup cette origine parce qu elle rend palpable l experience de l enchevêtrement des plans qui sont inhérents, je pense, à l acte de lire.

Sans doute le fait que les lettres cessant d etre sacrées, tout en continuant de mobiliser des plans enchevetrés, des espaces non transposables sur un simple plan euclidien, aura permis de cerner plus précisément cette dimension de la lecture.

Il aura fallu sortir de la religion et de son traitement sacrée de la lettre pour qu on entrevoit la matérialité qui fondait le lien entre lettre et mystique.

Je ne tiens pas pour une coincidence que les fictions de lovecraft aient joué du sentiment d étrangeté que peuvent provoquer des géométries non euclidiennes tout en multipliant souvent à l interieur des histoires les actes de lectures.

Ainsi il n est pas rare qu on lise une histoire de lovecraft dans laquelle le protagoniste lise lui même le recit d un autre.

Entre le saut de plan qui ferait passer du signe au sinogramme et les différents plans de lecture dans les nouvelles de lovecraft (le lecteur lit quelqu un qui lit quelqu un qui lit…) je vois un saut presque similaire.

Pourtant je dois avouer que ce n est pas en lisant lovecraft que j ai pu expérimenter ce vertige de l enchevêtrement des plans dans des espaces non euclidien. Bien des lecteurs l ont ressenti, je le sais mais chtulu restait pour moi juste tres tres grand et ne me procurait par de vertige. Il aura fallu que je lise Moore et desormais lehman faisant hommage à lovecraft pour que j expérimente ce que les lecteurs de lovecraft semblaient expérimenter.

Que ce soit donc en BD n y est pas pour rien, puisqu une page de bd n est pas un plan euclidien. Une page de bd se lit, mais aussi la case, deux plans déjà, mais il y a aussi ces trous dans l espace de la page que sont les bulles dans les cases et les cases dans la page.

Des espaces troués dans des espaces troués qui se bouclent ensemble sur un seul plan, voilà une page de bd lorsqu elle est lue.

De là un vacillement lovecraftien lorsqu on ne sait plus comment lire la perspective d un dessin et distinguer les différents plans dans une pages.

Un paysage et la peinture du paysage dans une bd sont représentés exactement pareil. Il y a un saut de plan entre les deux similaire à celui entre la page et la case qui ne releve que de l acte de lecture et non du dessin lui même.

Alors lorsque Moore et Lehman savent intégrer ce saut de plan dans la fiction elle même, c est un vertige lovecraftien qui est offert au lecteur et qui ne doit pas etre si éloigné de ce que devait ressentir les premiers lecteurs de lovecraft lorsqu ils lisaient quelqu un lire.

Bon, j ai beaucoup aimé.

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Il faut suivre le pansement pour le déni.

Pas sans faire echo non plus au crime oublié de Metropolis.

Ouaip.

Bien vu.

Jim

Tori.

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Serge Lehman, sur son compte Facebook le 16 octobre 2024 :

On réimprime Les Navigateurs !
Merci à tous ceux qui aiment et défendent le livre. Ça nous va droit au cœur.
On fête ça avec La Tête ( = « L’Œuf » d’Odilon Redon), puissance tutélaire de cette sombre histoire.

Jim

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Serge Lehman, sur son compte Facebook le 20 octobre 2024 :

L’une des premières images réalisées par Steph de Caneva quand on a commencé à chercher l’ambiance des Navigateurs ; je l’avais un peu oubliée mais il l’a postée sur Instagram et je la redécouvre avec vous. On n’avait pas encore notre “système” à ce moment-là : des lavis naturalistes pour les deux premiers tiers du livre et un noir et blanc plus brut (inspiré de Félix Valloton) pour la fin. C’est donc une vue sur la Vieille Mer qui n’existe pas dans le livre.

Jim

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Meilleure BD de l’année pour mon libraire.

il s’emballe de beaucoup, c’est un très bon livre, mais il y a mieux.

Ou pas

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Je suis preneur de tes conseils.

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En mieux je lui préfère Au dedans chez 404 qui est pour moi la grosse claque de l’année.

Sinon j’ai préféré aussi Ulysse & Cyrano, et là les Globe-Trotteuses, qui est incroyable graphiquement parlant.

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Celles-là ?

Oui.

Cool, merci.
Les éditions 404, je commence à siphonner avec le H.P. Lovecraft.
Le reste suivra.

Un Ex-Libris Exclusif est proposé par Delcourt et BD Fugue avec l’album « Les Navigateurs » :

Très joli.

Jim