Dites bonjour à la nouvelle Tante Zelda.
- À Greendale, la ville voisine de Riverdale, la jeune Sabrina Spellman est secrètement un être à part. Mi-sorcière par son père, mi-mortelle par sa mère, elle évolue entre deux mondes qui ne sont pas censés se rencontrer. Élevée par ses tantes après la mort de ses parents, elle doit cacher sa nature de sorcière à ses amis, tandis qu’elle est violemment rejetée par une partie du monde magique en raison de son statut de sang-mêlée. Alors qu’arrive son seizième Halloween / anniversaire, elle va devoir choisir un camp. Mais à son insu, des forces très puissantes sont déjà à l’œuvre pour orienter ce choix…
Eh bien je viens de finir cette première fournée de 10 épisodes et c’est vraiment, vraiment, vraiment pas mal du tout. Prenante de bout en bout, la saison développe une intrigue cohérente (même si je regrette un ou deux subplots apparemment oubliés en cours de route), seuls quelques épisodes au milieu déviant un peu plus de l’approche feuilletonnante pour donner dans le « monstre de la semaine », avec un effet de ventre mou qui reste heureusement peu prononcé.
Comme indiqué dès le lancement du projet, et il n’y a pas menterie sur la marchandise de ce point de vue-là, la série s’inscrit bien moins dans la lignée de la gentille série télé Sabrina The Teenage Witch des années 90 que dans celle de la mini-série de comics bien horrifique The Chilling Adventures of Sabrina de 2016, dont elle reprend le titre en V.O. Comme celui d’iZombie avec Allred, le générique de la série fait d’ailleurs directement appel aux dessins de Robert Hack, tandis que Roberto Aguirre-Sacasa, scénariste de la mini, officie comme développeur et coproducteur exécutif et signe l’écriture des premiers et dernier épisodes de la saison. Étant donné les… disons, écarts avec le matériau traditionnel de chez Archie que la grande sœur Riverdale se permet déjà
si vous voyez ce que je veux dire
on pouvait se demander à quel point les curseurs allaient être poussés pour une série Sabrina tournée résolument vers son plus sombre potentiel. Et la réponse : à onze !
Située, comme ses aînées Riverdale ou Gotham, dans un univers archi-stylisé et artificiel qui mêle des éléments des années 50 à nos jours, la série est une orgie visuelle — au risque même d’en faire trop : il faut un moment pour s’habituer à l’usage, pour ne pas dire l’abus, des effets de flous massifs et récurrents, et les éclairages maniéristes ne vont pas toujours très bien au teint du casting. Les décors sont un festival d’easter eggs, de la statue de Baphomet trônant au milieu du hall de l’Académie des Arts Occultes au plafond emprunté au Suspiria d’Argento du salon des sœurs Spellman, en passant par Goya et Hellraiser, les costumes sortent directement tantôt de Rosemary’s Baby, tantôt des Griffes de la nuit, tandis que le cinéma et les chaînes de télé locales ne semblent diffuser que des classiques en noir et blanc (Carnival of Souls, Freaks, I Walked With a Zombie… la série s’ouvre d’ailleurs sur une projection de La Nuit des morts-vivants de Romero, suivie de son analyse entre amis au drugstore).
Surtout, la série se permet des éléments vraiment inquiétants et quelques échappées gores plutôt inattendues (le cannibalisme est par exemple un motif récurrent !). La marque de fabrique du show sur ce point semble être de ménager une ambiguïté permanente, et assez efficace, qui maintient le spectateur déstabilisé, jamais sûr de savoir si ces éléments vont être traités au second ou au premier degré, tourner au gag ou rester d’un effroyable sérieux.
Les sorciers et sorcières de la série sont dépeints comme des êtres à part, non seulement par leur pouvoirs mais apparemment dans leur biologie même, des capacités qu’ils tirent de leur allégeance à Belzébuth en personne. La série s’en donne à cœur joie dans ce folklore particulier, avec des personnages qui lâchent toutes les deux minutes des « Satan soit loué ! » et autres expressions détournées. Mais il apparaît vite, me semble-t-il, que le satanisme est ici surtout utilisé comme une métaphore commode pour servir de vecteur notamment à une critique de toute éducation ultra-religieuse. Sabrina ne va en effet pas tarder à découvrir que les beaux discours dans lesquels elle a été élevée cachent des réalités plus perturbantes, et qu’on ne se fait jamais autant de coups bas qu’au sein d’une communauté qui prétend se serrer les coudes contre le reste du monde.
À ce propos, ajoutons au passage que la série porte aussi la marque de son autre coproducteur, Greg Berlanti, notamment par l’attention à un casting « diversifié », et par des efforts qui ne sont pas ménagés pour aller toucher également à un certain nombre de « sujets de société » — même si ce n’est pas toujours avec la plus grande profondeur ou la plus grande subtilité. Le cousin Ambrose devient ici noir et homo, Rosalind change également de couleur par rapport à sa version papier et doit affronter une maladie handicapante, une autre amie de Sabrina est aux prises avec une identité de genre problématique (et est jouée par un acteur s’identifiant comme non-binaire). On pourrait craindre qu’à vouloir jouer à la fois des éléments de discours historique contre les sorcières (l’association à Satan) et de la récupération militante moderne, pro-féministe voire queer, de la figure, la série se prenne un peu les pieds dans le tapis, et pourtant non.
Il faut enfin, et ce n’est pas une petite contribution au succès de l’ensemble, saluer un excellent casting.
Kiernan Shipka, qui assure le rôle-titre, dix ans après son début de carrière en tant que fille du couple Drapier dans Mad Men, s’impose en incarnation idéale de la première à la dernière minute. Dans son entourage, si Ross « Mon ami Dehmer » Lynch n’inspirera peut-être pas autant de passion au spectateur qu’à Sabrina en petit ami normalissime, difficile de ne pas éprouver immédiatement de l’empathie pour ses deux autres copines de lycée, Roz (Jaz Sinclair) et Susie (Lachlan Watson), et de la fascination pour le trio des « weird sisters » côté monde magique ; Chance Perdomo donne à Ambrose un petit côté « rock star en congé sabbatique ».
Côté adultes, si Richard Coyle cabotine comme un beau diable dans le rôle de Son Impiété le grand prêtre Faustus Blackwood, c’est surtout le trio féminin qui s’impose. Otto « Eowyn » Miranda compose une Tante Zelda snob, cassante, amorale et fanatique qu’on se prend néanmoins à aimer au fil de la saison, tandis que Lucy « Etta Candy » Davis fait une Tante Hilda plus immédiatement attachante mais qui dévoile elle aussi petit à petit une palette plus riche qu’on ne pourrait le croire initialement. Mais c’est Michelle Gomez, la « Missy » du 12e Docteur, qui emporte véritablement le morceau en faux mentor manipulant tout du long l’héroïne vers le chemin de la perdition.