Continuant de découvrir les strates perdues de mes piles à lire, je viens d’exhumer le premier tome de L’Or du bout du monde, un récit de Jérôme Félix qui a le vent en poupe depuis Jusqu’au dernier.
Le principe est simple : Maureen, une servante modeste et naïve, est manipulée par son patron afin de déniaiser le fils de ce dernier, et bien entendu, tombe enceinte (sans bien comprendre ce qui lui arrive). Rejetée par sa famille, elle est contrainte d’abandonner sa fille, mais elle fait soudain un héritage inattendu qui lui offre la perspective de récupérer l’enfant et de l’élever seule. Mais il faut traverser l’Atlantique. Maureen cherche des alliances, et au fil du récit, elle s’endurcit. Doucement, discrètement, par petites touches, tout en conservant une forme évidente de crédulité qui lui fait retomber dans des pièges qui seraient flagrants à des esprits plus éveillés.
Jérôme Félix reprend ici son modèle de personnage candide qu’il affectionne tant, et qui servent bien souvent de prisme, de clé de lecture au monde mis en scène. Si, dans Jusqu’au dernier, il a recouru au procédé afin de décaler l’attention du lecteur vers un autre type de personnage, ici, ce n’est plus un jeune homme mais une jeune femme, et cela change le discours du récit mis en scène. En effet, Maureen est régulièrement la victime de l’ambition des autres. Et l’album se teinte alors d’une couleur proprement féministe. Les hommes (mais certaines femmes aussi) sont des rapaces qui profitent des plus faibles et des plus gentils. À ce discours sur la condition féminine à l’orée du XXe siècle naissant s’ajoute la description d’une société entièrement tournée vers l’argent, véritable moteur du monde, et jusque dans les recoins les plus isolés de la jungle. Il est d’ailleurs intéressant que l’album s’ouvre sur une séquence montrant des enjeux en passe de devenir obsolètes, à savoir la survie de la lignée, du nom et du prestige. Comme si cette scène d’ouverture appartenait à un autre monde, le début du périple de Maureen correspond au moment où elle et le récit tournent le dos à ce monde des « fortunes » pour aller explorer celui des « richesses » et plonger dans un univers peuplé de gens emportés par l’appât du gain. En creux, Félix et Delaporte brossent le portrait du nouveau siècle, et il n’est pas beau.
Question dessin, on est dans du classique. Si les décors naturels sont splendides et très riches, les personnages, les vêtements, les cadrages s’inscrivent dans une veine réaliste quelque part entre Gillon et Forton. Agréable, narratif, servi par un lettrage bien placé, le style sert totalement l’histoire, même s’il lui manque peut-être un peu d’exubérance.
Jim