LOST DOGS (Lemire)

Lors d’une des premières expositions dadaïstes dans le courant dans années 1910, un critique « académique » les avait attaqués en proclamant : « il faut briser les règles, certes, mais pour les briser il faut les connaître » ; ce à quoi les dadaïstes, taquins, avaient répliqué : « il faut connaître les règles, certes, mais pour les connaître il faut les briser ».

Il ne faut pas oublier qu’étymologiquement, les deux mots sont équivalents : dans les deux cas, l’artiste ou l’artisan, c’est celui qui fait.
Perso, je suis un peu gêné par le terme « artiste », qui est beaucoup trop connoté et « chargé » de nos jours.

Il y en a aussi qui pensent que c’est moins cher sur Amazon… Il faudrait vraiment faire des affiches et les placarder un peu partout pour rappeler ce qu’est le prix unique du livre.
D’une manière générale (pas seulement pour les livres), les gens pensent que c’est moins cher d’acheter en ligne, ce qui est loin d’être toujours le cas, et ce qui est carrément faux pour le livre (neuf, s’entend).

Concernant le terme artiste, c’est un peu compliqué : je l’utilise, mais pas pour désigner spécifiquement le dessinateur : pour moi, le scénariste est aussi un artiste, comme le coloriste, l’encreur ou le lettreur.

C’est la différence entre un bon illustrateur et un bon dessinateur de BD…
Ce qui marche pour une illustration ne marche pas forcément pour une case de BD.

Tori.

En franco-belge, les très grands dessinateurs gros nez sont aussi des dessinateurs réalistes de premier ordre (Uderzo, Franquin…). Cette base académique leur a permis de créer un style humoristique super solide.

Moi, j’appelle ça un dessinateur.
Tout simplement.
Pour moi, l’artiste (pictural) fabrique une œuvre unique, qui n’est pas destinée à la reproduction. Il peint UNE toile, par exemple. Le dessinateur de BD (ou de presse, ou de jeunesse), son œuvre est destinée à être reproduite, c’est sa finalité. Bajram dit souvent que la planche originale, c’est un déchet de production. J’aurais tendance à penser qu’il a raison.
J’ai franchement beaucoup de mal à accepter qu’on dise « scénariste et artiste », d’une part parce que c’est clairement une influence d’un anglicisme mal maîtrisé (propre aux colonisés culturels que sont les Français), et d’autre part parce que ça revient à confondre deux métiers, et surtout à masquer dans un terme plus vaste, plus vague et plus généraliste la spécificité du bédéaste, qui est justement… dessinateur !

Artisan, oui, effectivement, mais ça procède d’un raisonnement voisin. Ça se veut lutter contre un snobisme évident, mais ça ne fait que valider ledit snobisme. Sfar, quand on lui dit qu’il est « auteur », « artiste », « romancier graphique », il répond « non, je suis dessinateur, c’est tout ». J’aime bien. C’est à la fois une trace de modestie (sans doute affectée, mais qu’importe) et une volonté d’afficher son statut, son métier (et pas de se masquer derrière d’autres termes comme s’il avait honte). J’aime ça.

Jim

Une réflexion très intéressante, qui recoupe un peu les réflexions d’un Walter Benjamin, notamment dans son très fameux « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », où le penseur allemand introduit le duo de concepts valeur cultuelle/valeur d’exposition, inversement proportionnelles l’une par rapport à l’autre.
En gros, ça revient à dire que plus une œuvre est « exposée » (c.a.d reproduite), moins sa valeur « cultuelle » est forte… On pourrait presque remplacer chez Benjamin le terme « valeur cultuelle » par « valeur artistique » mais je ne voudrais pas trop simplifier sa pensée, qui vaut mieux que ça…

C’est de la fausse modestie pur jus, mais comme tu dis : qu’importe.
Je crois que je préfère nettement écouter Sfar parler de son travail que de le subir ; c’est un orateur performant et captivant. Sa masterclass sur France culture l’été dernier, passionnante, en atteste :
Masterclass Joann Sfar

Tout pareil (même si j’aime bien, comme j’ai dit plus haut, Le Chat du Rabbin et quelques autres trucs).

Jim

Oui c’est exactement ça ! Je résume à fond. Je n’avais pas toute la soirée. :smiley:

En tout cas je trouve marrant que l’on évoque plein de dessinateurs ou d’artistes sur ce post. :slight_smile:

@Jim_Laine : Professor Bell ou Merlin de Sfar, ça c’était bien aussi !

Ca sera placardé sur les nouveaux sac de la boutique :wink:

Dans le genre Ryad Satouf est pareil. Les deux sont de très bons clients et incroyables pour donner envie et raconter.

Donc Hokusai n’est pas un artiste ?

Tori.

Quoi ?
Tu ne sacrifies pas la moindre de tes minutes à causer au public ?
Attends, je m’assois, cette révélation m’étourdit !!!

:wink:

Jim

Hokusai, c’est un maître !

Hokusai le peinte connu sous ce nom ou l’homme qui à utilisé des multiples nom au cours de sa carrière tout en changeant de style à chaque fois ?

Zactement.
Qui recouvre un sens « mélioratif » assez flou (c’est quelque chose entre l’auteur, l’indépendant et le militant), propice à nourrir tous les fantasmes snobs des gens qui voudraient qu’il y ait une culture officielle et le reste.
Donc déjà, j’ai du mal.
Ensuite, je ne sais pas ce que ça recoupe précisément, de manière « objective ».
Par exemple, je me suis toujours interrogé sur l’expression « artiste peintre ». Je comprends bien l’intention de base, qui consiste à faire le distinguo entre le peintre sur toile et le peintre en bâtiment, comme Bourvil et Gabin l’expliquent si bien dans La Traversée de Paris :

Mais on ne dit pas « artiste écrivain », par exemple. Ni « artiste dessinateur », ce me semble. De là, j’ai l’impression qu’il y a soit un malaise, soit cette éternelle volonté d’établir une hiérarchie, de se distinguer du tout venant, et in fine de classifier (il y aurait le bon peintre et le mauvais peintre, comme le bon et le mauvais chasseur).
Personnellement, cela crée chez moi une incompréhension de l’intention derrière le mot. Une incompréhension qui me semble levée dès lors que l’on revient aux racines de l’activité de la personne : dessinateur, cinéaste, sculpteur.

Il me semble au demeurant que c’est le temps qui est le juge de paix en la matière. Les hommes et les choses deviennent artistique avec la patine des ans, en général parce qu’ils sont détachés de l’intention qui présidait à la création. C’est très frappant dans le cas de la publicité (je pense aux affiches de Mucha ou de Cassandre), où l’image perd sa fonction promotrice quand le produit est remplacé ou oublié. Dès lors, il ne reste plus que l’objet esthétique. Dans le cas des hommes, souvent c’est quand ils sont à la retraite ou morts que leur travail est considéré comme un peu plus qu’une prestation de service ou une fourniture de contenu. Le cas de Kirby, dont le nom s’affiche dans ma région sur des affiches en 4 par 3 à la faveur de l’expo à Cherbourg : quand on sait qu’aux mêmes dates en gros, il y a une exposition Rockwell à Caen (le cas de Rockwell est intéressant, car il a longtemps été considéré comme un illustrateur servile du rêve américain sans personnalité, avant d’accéder à un statut différent), on voit bien que l’adoubement passe par l’embaumement.
Cela dit, le temps, ce juge de paix, est biaisé, il n’est pas objectif. Il répond aussi à la manière dont l’œuvre et l’auteur ont été perçus « de leur vivant », si j’ose dire. Le temps n’est pas neutre. Et si des auteurs peuvent être redécouverts (c’est fréquent, en littérature, en BD, au cinéma), d’autres peuvent être oubliés. Donc même le temps qui passe n’est pas crédible quand il s’agit de définir ce qu’est un « artiste ».

Je rajouterai enfin (et vous me direz que je radote) que le terme « artiste » est souvent employé de manière galvaudée et parfois sous l’effet d’un anglicisme maladroit. L’anglais peut utiliser le mot « art » avec la fonction méliorative dont je parlais plus haut, mais également pour désigner la production d’un auteur. D’où les titres ronflants mais fautifs à la « tout l’art de ». Quand on lit Tout l’art de World of Warcraft ou Tout l’art de Tom Clancy’s The Division, ça prête à sourire : on voit bien qu’il y a un mot à mot à peine dissimulé derrière l’effort laborieux de créer un titre français. Ce qui dénote une certaine servilité par rapport à la langue d’origine. Et une méconnaissance (ou un jmenfoutisme) criante à l’égard de la langue d’arrivée.

Je travaille en ce moment, en équipe avec deux autres traducteurs, sur un gros bouquin racontant l’histoire éditoriale de Batman (« éditoriale » au sens large, puisque ça cause des bandes dessinées, mais aussi des séries, des films, des jeux). Et donc, nous voilà confrontés à l’expression « concept artist ». Ordinairement traduite, par mollesse intellectuelle, par « artiste conceptuel ».
J’ai personnellement un avis bien tranché sur la question. Voilà ce que j’avais dit aux deux compères quand il a fallu le donner, l’avis :

« conceptuel », ça a un sens précis quand c’est associé à « art » ou
« artiste » : c’est un mouvement esthétique des années soixante.
Donc, un « artiste conceptuel », en français, c’est un héritier de
Marcel Duchamp et de ses ready-made.

Donc, j’estime qu’il faut carrément virer les deux mots. Pour ma part,
je remplace « artiste » par « illustrateur » (ce qui évite d’ailleurs un
anglicisme) et « conceptuel » par « de pré-production ». Parce que, en
définitive, c’est ça dont il s’agit : des illustration faite en pré-
production pour montrer à quoi ça va ressembler.

« artiste conceptuel », quand on parle des gens qui peignent les futures
images des films, c’est la trace de la faiblesse et de l’incurie des
« traducteurs » qui se nourrissent d’anglicismes. Des colonisés
culturels. Ce que nous ne sommes pas.

Donc oui, moi, je vire tout ce qui est « conceptuel ».
Et je remets du contexte « pré-prod », en gros.

L’art conceptuel est un courant qui, en gros, postule que l’art ne se définit pas par des critères esthétiques, mais par sa propre nature d’art, par l’idée même d’art (c’est un peu compliqué, c’est plus simple à comprendre quand on voit une chaise de bistro accrochée à une cimaise). En gros, si on décide que c’est de l’art, c’est de l’art.
(Bon, moi, l’art conceptuel, ça me sort par les trous de nez, assurément parce que je n’ai pas la culture ou la souplesse intellectuelle, et sans doute aussi parce que je préfère l’art pop, ou pop art, qui postule que tout objet peut devenir sujet d’œuvre artistique, y compris l’objet trivial de la société de consommation, ce qui, en filigrane, veut dire que l’art dépend du regard qu’on lui porte. Mais bon, j’ai toujours mieux compris Warhol que Duchamp.)

Bref.
L’important, c’est de regarder la langue anglaise. L’art conceptuel, en anglais, c’est « conceptual art ». Pas « concept art », qui désigne la création d’illustrations de pré-production. Ryan Meinerding n’est pas un artiste conceptuel.
Et si l’anglais a deux expressions, c’est que les anglophones signifient, en les utilisant, deux réalités différentes. Mon prof de philo de terminale vous dirait que s’il y a deux mots, c’est qu’il y a deux sens, la synonymie pure n’existant pas. Dès lors, à l’occasion du passage d’une langue à l’autre, il faut avoir deux expressions, afin de restituer la nuance, même si celle-ci tient à deux lettres seulement.
Appliquer l’expression « artiste conceptuel » à des illustrateurs travaillant pour l’industrie du cinéma et réalisant des images destinées à aider les cinéastes à mettre en forme leur histoire, c’est un pur contre-sens, né d’un faux-ami que la fainéantise médiatique a renoncé à réellement traduire. Ça me semble en plus assez discourtois à la fois pour les artistes conceptuels et pour les illustrateurs de pré-production, dont l’activité et la profession sont confondues avec celles d’autres personnes qui ne font pas le même travail.

Pour toutes ces très longues raisons, expliquées trop longuement, j’ai décidé de ne plus utiliser le mot « artiste », si ce n’est, en cas d’extrême nécessité quand je suis dans une galerie d’art ou un musée. J’ai décidé de ne pas savoir ce qu’est un artiste.

Bon, un jour, il faudra faire un sort aux usages frauduleux et frelatés de « graphisme », aussi. Mais ça sera pour un autre jour, là, j’ai du boulot, moi, non mais…

Jim

Ben oui, pour en avoir tout l’art, il faut acheter le jeu : il contient les musiques, le scénar, les dessins et leur animation !
Alors que quand on achète un artbook, on a un livre d’illustrations (parfois des dessins d’idées abandonnées, ou même des esquisses ou des brouillons, mais c’est tout de même essentiellement des illustrations), ce qui est un peu différent d’un livre d’art.

Tori.

Nuff said.

Jim

ahah bah non et en plus je passe tous les 36 du mois !

Déception.

Jim

Et hop, dernier week end !

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