Ceux de Greg ?

J’adore.
[quote=« Darkythib »]
Et ben dis donc.
Je ne suis pas résolument fan des comics des années 80, à cause juste de la narration lourde parfois (mais je ne suis pas réfractaire pour autant hein), mais toute cette argumentation est profondément géniale. Bien envie de me replonger dans des trucs un peu plus vieux pour voir ça du coup![/quote]
« Génial » est sans doute bien exagéré, mais en tout cas, merci beaucoup.

Et je n’ai pas le temps de venir beaucoup, en ce moment, mais quand je viens, et que je balance un truc, j’essaie de prendre le temps d’expliquer pourquoi.
En fait, cette réflexion, c’est pas simplement de la lecture, c’est aussi des expériences d’écriture. Par exemple, j’avais écrit un double épisode de Zembla dessiné par Jean-Jacques Dzialowski, dans Spécial Zembla, est on s’était dit « tiens, on va faire deux doubles pages avec que de la baston, pour le plaisir des yeux ». Jean-Marc Lofficier m’avait déconseillé de le faire, son argument étant que les lecteurs allaient zapper. Il a conseillé de mettre des onomatopées, mais j’étais jeune, fougueux et inconscient, et je n’en ai pas mises. Résultat, les gens zappent les pages, ne les regardent pas. Comme le duel dans la montagne à la fin du Troisième Testament. On a voulu faire les malins (enfin, surtout moi), et on s’est plantés.
Une chose qu’on oublie, nous les créateurs de BD, c’est qu’il peut nous arriver d’être lus par des gens qui ne sont pas des bédévores chevronnés. Qui n’ont pas les codes, les réflexes, l’entraînement, l’instinct. On peut être lus par des gens qui d’ordinaire lisent des « vrais » livres et à qui quelqu’un prête l’album ou le comic. Ces « nouveaux » lecteurs s’appuient sur ce qu’ils connaissent, à savoir les mots. Si on fait une séquence de cinq pages muettes, on les perd. L’accélération, le silence, la beauté des images, tout ça, ils zappent.
Ou alors faut être des méga cadors de la narration. Et là, comme j’ai cessé d’être jeune, fougueux et inconscient, et que je suis désormais vieux, fourbu et peut-être un peu sage, je n’ai pas la prétention d’être un cador de la narration.
C’est pour ça que j’essaie d’appliquer la règle suivante : si je veux une séquence sans bulle, je mets du son. L’œil s’arrêtera sur le mot qu’est l’onomatopée. Si je veux une séquence de silence, je ne la fais pas sur une planche entière, je réserve une ou deux cases avec une bulle ou un récitatif. Pas une seule planche sans au moins un mot.
C’est mon crédo. Je ne veux pas larguer mon « lecteur occasionnel ».
Je bosse pas mal avec mon pote Luca Erbetta, excellent scénariste de franco-belge pour qui j’écris les dialogues en français sur certains de ses albums. Luca est un de ces scénaristes talentueux, travailleurs mais pas assez connus. Et il a un talent évident pour l’accélération. Si l’on compte le nombre de cases de ses planches, il navigue entre huit et douze cases (il tourne autour de neuf : fourchette haute pour du franco-belge) et il gère ses accélérations notamment par la quantité de texte par page. Et il est super bon pour ça. Je conseille à tous de jeter un œil sur ses albums.
Mais vous pouvez aussi regarder Blacksad. C’est un peu pareil : scènes de dialogues qui posent les personnages et les enjeux, qui sont plus lourdes question dialogues, et scènes de baston avec moins de textes. La page « mes cauchemars avaient enfin un nom » du premier tome est à ce titre un démonstration de maîtrise de BD incroyable. Blacksad, c’est un déluge de clichés, mais c’est raconté à la perfection pour ce média-là.
La BD n’a pas de temps en soi. Elle génère le temps par la succession des cases et des bulles. Et je crois que c’est par la densité que l’immersion se fait.
Je reste également persuadé que les grands succès du franco-belge tiennent justement à cette générosité, à cette profusion. Les trucs qui vendent à cent mille exemplaires (donc là, c’est quand même du grand public), c’est des trucs bavards (Lanfeust, XIII, plein d’autres trucs qui ne me viennent pas à l’esprit), et je reste persuadé que c’est cette présence lourde de la dimension littéraire qui attire les lecteurs venus d’ailleurs, pas seulement les bédévores.
Jim