NEMESIS THE WARLOCK DEVIANT EDITION (Mills/O'Neill, Redondo)

Quelle étrange série, quand même, que Nemesis.

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Déjà, la série est lancée à l’occasion d’une rubrique devant proposer des récits courts, déconnectés de tout univers. Au lieu de ça, « Comic Rock » n’abritera que deux histoires de Nemesis (trois épisodes en tout, si j’ai bien compté). Et dans la foulée, la série commence.

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Mais déjà, Pat Mills et Kevin O’Neill ont posé tous les éléments fondateurs de la série, donnant presque l’impression d’avoir mûrement compilé tous les trucs à ne pas faire. Le héros est un rebelle face à un empire dictatorial religieux, soit : mais ce rebelle est un extraterrestre vaguement humanoïde, qui a l’allure d’un satyre (des sortes de cornes, des jambes de bouc, un visage qui n’a rien d’humain…), contrariant l’habitude d’avoir un personnage éponyme qui puisse ressembler, au moins un peu, à son lecteur. De plus, à la fin de ces épisodes de lancement, le méchant, Torquemada… est mort ! Très « anticlimactic », ça, comme disent les Américains ! Bref, les auteurs prennent à rebrousse-poil pas mal d’attentes.

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L’une d’elles consiste à expliquer que le régime raciste et totalitaire mis en scène dans le lointain futur, Termight, est en fait la Terre (« Mighty Terra » = « Termight »… à ce sujet, je serais curieux de voir la traduction, tiens, parce que la série possède quelques pièges de ce genre…). Les Terriens sont les méchants dans l’histoire. Ce n’est sans doute pas une première dans la science-fiction, mais pour l’époque, fin des années 1970, ça me semble encore assez « neuf ».

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Disposant désormais d’une série régulière, Mills et O’Neill construisent les bases d’un développement au long cours. Ils s’empressent de donner au méchant les moyens de revenir (sous la forme d’un spectre capable de posséder des corps, ce qui se marie bien avec le bourrage de crâne religieux dont son régime a inondé la population) et de conférer à Nemesis un peu plus de personnalité. En effet, dans un premier temps, ce dernier n’était qu’un rebelle voué à gripper les rouages de la grande machine étatique en foutant le bazar un peu partout. Au fil des épisodes, les auteurs vont étoffer tout ça, en mettant en scène par exemple la pendaison du héros dans un village obscurantiste, occasion de mettre en évidence ses nombreux pouvoirs. Puis en présentant Nemesis comme une sorte d’inspiration à un réseau de résistance dont il organise l’évasion massive, ce qui constituera le cœur d’lintrigue du « Book One ».

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Les premières apparitions de Nemesis étaient marquées par la satire sociale (les embouteillages, le portrait d’une classe moyenne aveugle aux vraies problèmes, la déprime des grands ensembles urbains…) et politique (le régime répressif…). Au fil du récit, alors que l’aventure se déploie, cette dimension se trouve en retrait (mais elle demeure présente : dans quelques échanges décalés, dans les décors que Kevin O’Neill emplit de références…) au profit d’une action effrénée doublée d’une charge virulente comme toute forme d’autorité, en particulier religieuse. C’est un des thèmes favoris chez Pat Mills, qui exprime souvent à travers ses récits et ses personnages une haine farouche envers les gouvernements et les instances de tout crin (politiques, religieuses, militaires, médiatiques…).

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Le « Book One » se conclut par l’évasion massive des rebelles et par un combat démesuré entre Nemesis et Torquemada, ce dernier sautant de corps possédé en corps possédé afin d’épuiser son adversaire. O’Neill se montre généreux en cases pleines de détails et bourrées d’énergie. Ça pulse, ça en donne pour son argent.

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L’ensemble est nerveux, teigneux, bagarreur, provocateur. Comme beaucoup de choses dans le sommaire de 2000 AD, il y a une vibration punk évidente, une tonalité de garnement chamailleur, de jeteur de pavé. Nemesis apparaît en 1980, un an après l’arrivée de Margaret Thatcher à Downing Street. Bon, Pat Mills et le magazine (lancé en 1977, quand la Première Ministre n’était encore qu’une voix tonitruante de l’opposition conservatrice) n’ont pas attendu l’arrivée des Conservateurs au pouvoir pour rendre compte des tensions de la société. Scénariste et responsable éditorial, Mills est à l’origine de deux magazines qui auront marqué le paysage bande dessinée de l’époque, Action, qui présentait des bandes dessinées souvent violentes et à la portée sociale évidente, et bien entendu 2000 AD. Ça fait donc quelques années qu’il écrit ou supervise des séries irrévérencieuses, impertinentes, insolentes, et Nemesis semble une sorte d’apogée.

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C’est aussi un tournant dans ses productions. En Nemesis (série qui sera connectée aux ABC Warriors, dont les aventures se déroulent dans le même univers), il y a déjà le caractère baroque et grotesque de Requiem ou Claudia, ses deux séries de chevaliers vampires produites pour la France. On trouve aussi ses idées frappadingues souvent issues d’un mélange entre une science-fiction débridée et une magie décomplexée, dans un mélange des genres sans limites.

Bon, j’ai entamé le « Book Two », dessiné par Jesus Redondo dans un style plus classique. Je reviens en parler bien vite.

Jim