Embarqué dans ma « période anglaise » de lectures et relectures, je replonge en ce moment dans mes albums ABC Warriors. J’ai bien entendu commencé par les deux tomes publiés par Zenda dans la première moitié des années 1990. J’ai découvert cette série à l’occasion de cette édition, ce qui fait que ça fait presque une trentaine d’années que j’ai lu ces aventures. Mon souvenir en était flou.
Rappelons que les ABC Warriors sont des héros robotiques apparus en 1979 ans la revue 2000 AD, sous la plume énervée (comme souvent) de Pat Mills. Ils ont connu de longues aventures en noir & blanc auxquelles les lecteurs français n’ont pas eu accès avant cette édition en couleurs. Les albums sont sortis en 1993 mais les épisodes ont été réalisés deux ans auparavant en Angleterre.
Les robots arrivent sur une planète, Hékate, où règne un pouvoir mystique féminin, auquel Deadlock veut sacrifier sept victimes. Ce personnage, le chef du groupe, est un adepte d’une croyance (aux faux airs de religion), celle du Khaos. L’intrigue voit donc le petit groupe de robots affronter divers tenants de l’autorité (obéissant à cet empire galactique qui nous est présenté comme néfaste, oppresseur et inique) : un collecteur d’impôts, un scientifique… On suivra en parallèle le recrutement d’un nouveau membre (un robot à l’allure féminine) et les différentes attaques contre les représentants de « l’ordre », tandis que l’empire envoie des troupes pour régler le compte aux héros. Celles-ci sont d’ailleurs rejointes par la momie ranimée de l’empereur divinisé, qui est prêt à détruire les trois lunes pour contrer l’alignement et perturber l’émergence du pouvoir féminin qui règne sur Hékate.
Même si l’éditeur a collé les chapitres à la suite afin de conférer au récit l’allure d’un album franco-belge, on sent bien les passages d’un épisode à l’autre, chacun commençant par une lettre d’un personnage. Le début est confus, foutraque, rentre-dedans et un peu brutal. Pat Mills a une écriture mal dégrossie, instinctive, et il aligne les péripéties sans les éclairer. Cela demande au lecteur français un temps d’adaptation, là où son homologue anglais connaît les protagonistes et leurs ambitions. Il manque à cette édition une accroche en quatrième de couverture et un texte d’ouverture, histoire de présenter les enjeux. Des choses qui paraissent naturelles aujourd’hui mais qui n’étaient guère évidente à l’époque.
Mais l’ensemble réserve de grands moments. Le chapitre consacré au scientifique est l’occasion pour Mills (aidé par Tony Skinner : ensemble, ils ont écrit du Punisher 2099, mais je ne sais pas ce que Skinner a pu faire en solo) de taper à bras raccourci sur les expériences cruelles justifiées par le « progrès ». Il y a, aussi étonnant que cela puisse paraître, une sorte de féminisme révolutionnaire et revanchard, aussi, dans certains épisodes, d’autant que les créatures femelles et magiques de la planète l’emporte à la fin.
Surtout, ce qui l’emporte, c’est le chaos. Enfin, le Khaos. Tous les « guerriers ABC » sont séduits par les préceptes de Deadlock et décident de s’émanciper de l’ordre. Ils désobéissent, ils choisissent l’individu et non le groupe. Et, au grand triomphe de leur fanatique de chef, ils décident tous de quitter l’équipe en même temps. Ainsi se conclut ce premier cycle, épisode étrange dans une série qui ne l’est pas moins, et qui a dû désarçonner les lecteurs à l’époque (moi, en tout cas).
Jim