SHADOWSLAYER (Pat Mills, Tony Skinner / Éric Larnoy)

Premier et unique tome d’une saga improbable comme Pat Mills sait en concocter, Shadowslayer est paru aux éditions Zenda en 1995. Je n’ai pas regardé les dates en détail, mais j’ai l’impression que c’est la première œuvre d’une longue liste de productions destinées au marché francophone (avec Sha, Requiem, Claudia et quelques autres).

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Le récit suit le périple du professeur C. P. Norn, spécialiste du surnaturel, qui dispose du double don de voir l’ombre de Mélanikus, une entité maléfique précipitant les malheurs de l’humanité, et de lire dans les futurs probables afin d’y décerner les moments où le monde bascule. Et afin d’éviter les catastrophes, il tue les personnes qui les déclencheront. Le récit est écrit en voix off, ce qui donne à lire les pensées du personnage. Au début, cela assoit sa justification morale, mais quand il découvre Cassandre, une enfant sauvage qui a peur du feu mais n’a jamais vu ni arme, ni vêtement ni humain, il commence à remettre sa mission en perspective. D’une part il se rend compte que les armées de Mélanikus tentent de tuer la jeune femme et décide donc de la protéger (alors qu’il prévoyait de l’abattre), et d’autre part il finit, au détour de quelques récitatifs, par s’interroger sur son obsession, d’autant qu’un flash-back renvoyant à son enfance pose la question du traumatisme, et donc de l’équilibre psychique.

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Au scénario, Pat Mills est ici associé à son complice Tony Skinner, tandem que l’on retrouve dans certaines aventures des ABC Warriors ou dans Punisher 2099. Remplie de sous-entendus, la narration est assez claire et limpide (surtout de la part de ces deux compères, qui ont déjà livré des trucs plus abscons), même si l’on sent parfois qu’ils s’écoutent un peu écrire. Mills, une fois de plus, laboure un terrain qu’il connaît bien, revenant sur des thèmes qu’il affectionne : la nature du mal, la violence du héros, le caractère néfaste de la religion, l’hypocrisie de la société. Il place ici son action dans un monde contemporain, rupture évidente par rapport aux univers de Requiem, Nemesis ou ABC Warriors. Au dessin, on retrouve Éric Larnoy, qui a déjà illustré La Sphère du Nécromant écrit par Thierry « Aquablue » Cailleteau chez Delcourt, ou Thanéros sur scénario de Denis Parent et Claude Carré, chez Dupuis (série interrompue pour cause de fâcherie entre les auteurs et l’éditeur, apparemment). Sur Shadowslayer, il travaille en peinture, marchant sur les pas de l’école picturale comics qui s’est imposée dans les années 1980 (on sent l’influence de Dave McKean, Kent Williams et surtout Simon Bisley).

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Le titre ne connaîtra qu’un seul tome. Est-ce dû au décès prématuré de l’illustrateur ? L’album ne présente aucune tomaison, on peut donc également pensé qu’il est envisagé dès le départ en tant qu’one-shot. Cependant, la fin du récit laisse le lecteur dans le doute : est-ce une fin volontaire, cynique et désespérée, concluant le récit sur la défaite du héros ? Ou bien les auteurs avaient-ils prévu une suite, portant plus loin la lutte de Norn contre Mélanikus ? On ne le saura jamais.

Jim