L’édition que j’ai, qui date de 2003, contient en ouverture le récit « La Cathédrale », sans doute la plus grosse démonstration de force de tout l’album.
Le récit est paru à l’origine dans Pilote #139, daté de janvier 1986 (sous une couverture Jack Palmer). Il est présenté par une page rédactionnelle resituant, en un cours paragraphe, la genèse du récit et la rencontre entre Bill Mantlo (le scénariste préféré de notre cher Tonton Hermès) et Jean-Claude Gal.
Le récit est à la fois simple, ambitieux, universel et d’une belle force allégorique. Tout commence (dans une pleine page qui n’est pas sans évoquer Wally Wood ou John Severin) la défaite des armées de l’Architecte, dont la forteresse a été prise par les troupes de l’Archevêque.
Mais plutôt que de tuer son adversaire, le vainqueur lui demande de lui construire une cathédrale aussi majestueuse qu’imprenable. En l’échange de la vie de son peuple, l’Architecte accepte ce chantage aux allures de défi.
La suite du récit nous permet d’accompagner les deux ennemis au fil des décennies qui suivent, alors que le peuple de l’Architecte, épargné par la promesse de l’Archevêque, meurt à petit feu sur le chantier de construction.
Le récit s’écoule jusqu’à la conclusion fatidique qui emporte les deux adversaires dans une mort commune. Pour paraphraser Frank Herbert, il y a des plans dans les plans, et des pièges dans les pièges.
Il y a aussi, dans cette confrontation de deux hommes définis par leur fonction et leur pouvoir, et dans cette construction d’une bâtisse qui est autant un défi architectural que la matérialisation d’un concept, quelque chose de borgésien, avec ses boucles, ses symétries et ses jeux de miroir.
Les commentateurs de Jean-Claude Gal évoquent parfois une parenté de son style avec celui de John Bolton, parenté qui me semble évidente. Il y a dans « La Cathédrale » quelque chose des EC Comics, sans doute à cause de son statut d’histoire courte mais aussi à cause d’autres influences qui remontent, des influences américaines (Gal semble avoir reluqué Wally Wood, ce qui parfois l’amène du côté d’un Ralph Reese ou d’un Rand Holmes…). Ici, les planches ont été réalisées sur 1984 et 1985, donc après Les Armées du Conquérant , et Gal est en pleine possession de ses moyens. Certaines de ses planches, offrant des perspectives vertigineuses sur les entrailles de la cathédrale en construction, l’entraînent dans les mêmes sphères qu’un François Schuiten, illustrateurs de la série des Cités obscures .
Un sacré morceau. J’ai pris le recueil afin de lire l’histoire écrite par Mantlo, et je me retrouve avec ce qui me semble être le sommet, tant graphique que littéraire, de cette intégrale. Et l’épanouissement du dessinateur explique que ce récit soit placé en ouverture du sommaire.