Le tome 4, s’il continue sur sa lancée, avec des moments touchants, des fulgurances dans la représentation de la colère, et un suivi minutieux de l’enquête de Gesicht, qui est montré de plus en plus fragile, le tout sur fond de complot politique et de conséquences de la guerre, propose aussi une représentation presque super-héroïsée, à travers le personnage d’Uran.
Et ça marche foutrement bien. Les mouvements, les perspectives, le vol, le rapport à l’espace (endroits clos ou lieux ouverts), tout cela est assez frappant, d’un point de vue visuel.
En sous-texte, on a le mystère de la création (un thème transversal chez Urasawa, j’ai l’impression), une création double ici, puisqu’on parle de créer des objets mais aussi de créer des êtres (ce qui permet un parallèle entre l’art et la vie), ainsi qu’une parabole du racisme, assise sur la jalousie et les différents aspects de la convoitise. Comme souvent, il n’y a pas de réel jugement, en tout cas pas de morale : le péché d’orgueil, la volonté de surpasser l’autre, est présenté, au fil de la série, comme un moteur d’épanouissement mais aussi comme une source de destruction, dans des jeux de symétrie entre humains et robots, entre gentils et méchants, entre créateurs et créatures.
Mais au final, alors que l’histoire se déploie à plusieurs niveaux (les robots, l’ancien dictateur), c’est autour d’Astro ou d’Uran que s’articulent les meilleures scènes, le premier étant au centre des attentions de tout le monde et la seconde essayant d’aider tout le monde autour d’elle.
Je ne fais que le survoler, puisque j’ai lu la série il y a deux ans et que c’est à peu près encore frais, mais ça me permet de renouer avec des thèmes, de voir les articulations, tout ça…
En fait, ce qui manque singulièrement, ce sont les scènes de repas : y en a plein chez Urasawa, d’ordinaire (c’est frappant dans Monster), Orsini en parle très bien, et là, je trouve que c’est plutôt portion congrue, à ce niveau. Amusant.
Le tome 6 est un festival graphique : c’est là qu’il y a la très belle image de la fleur, porteuse à la fois d’éléments narratifs qui font avancer l’histoire et de visuels forts (le champ avec les éoliennes…).
C’est aussi l’occasion de grosses scènes de baston (le tunnel souterrain, l’ascenseur…) qui procurent un vrai plaisir pour l’amateur d’action. Et si on aime les sentiments, la scène finale, avec les larmes, est très forte.
En resurvolant la série, je me dis que sa force, c’est qu’elle est relativement courte, par rapport au reste de la production de l’auteur. C’est donc plus dense, plus intense, à la fois dans l’action, dans le suspense ou dans l’émotion. Urasawa, qui sait faire durer le plaisir dans ses grandes sagas, va ici à l’économie, droit au but, et ça lui réussit grandement.
Le septième épisode marque l’avancée vers le dernier acte : plus de révélations et de rencontres, des mystères qui se dévoilent petit à petit (l’image de la figure nuageuse est à ce titre assez éloquente), une préparation à quelques grosses scènes d’action, et toujours ces émotions mélancoliques et ces personnages tristes dont Urasawa a le secret.
Pour des raisons évidentes (qu’explique l’histoire, je ne dévoilerai rien), il y a des personnages absents et même Uran est en retrait. Cela conduit à mettre en valeur des protagonistes secondaires, à recomposer un peu les alliances et les enjeux. Et à conduire à un réveil final qui promet un dernier tome bondissant.
Reparcourir la série après avoir relu Monster permet de retrouver, de manière plus évidente, certains des thèmes transversaux de l’auteur : l’enfance traumatisée, par exemple, ou encore l’importance du récit de fiction comme révélateur (ici, bien évidemment, Pinocchio).
On a droit au retour d’Astro (avec les doutes qui vont avec), à des rencontres émouvantes (celle de l’épouse de Gesicht, par exemple), à des moments intenses, à de grosses bastons (très suggestives, malgré la force des dessins), à toute une interrogation sur la vie, l’identité, le pouvoir. C’est bien troussé, équilibrant le spectaculaire propre au genre et l’intimité propre à l’auteur.
Ce qui est intéressant, c’est de voir aussi apparaître un thème récurrent chez Urasawa, celui de la renaissance. Ce tome, c’est celui où Astro se reconstruit, un peu comme Billy Bat, dans sa seconde moitié, est le récit de la reconstruction de Kevin Goodman, en quelque sorte, retour duquel la victoire attendue dépend.