Quelques nouvelles

Bonjour.

Je me permets de poster ici, pour tout simplement proposer quelques-unes de mes créations.
J’ai longtemps beaucoup écrit, que ça soit des fan-fictions, des nouvelles, quelques BD. J’ai eu des blogs, j’ai participé à des fanzines.

J’ai tout arrêté il y a plus de trois ans, car je n’y arrivais plus, notamment par usure mais aussi parce que quelques événements personnels m’avaient coupé l’inspiration et les jambes.
Mais le temps peut faire son oeuvre et j’ai eu envie avant-hier de bricoler quelque chose.

Ce n’est sûrement pas aussi bon ou fluide que je l’espérais, et c’est d’une qualité fort faible par rapport au minimum qu’on peut attendre. Mais je suis simplement content de l’avoir écrit.
Et j’ose le publier, ce qui me semblait encore impossible il y a quelques temps.

Bonne lecture pour les courageux ! :slight_smile:

Le règne

La tête roule sur le sol. Elle est décapitée, d’un coup.
Un fracas assourdissant l’accompagne, semblable au tonnerre quand il brise le silence d’une nuit chaude et tendue.
Le corps ne tarde pas à suivre. Le soldat chute. Le soldat a cédé, sous la puissance.
Sous la colère. Du Roi.
Le Roi avance, sans s’y intéresser. Le Roi ne s’occupe pas de ce soldat tombé. Ni du prochain. Ni de celui d’après.
Ils tombent. L’un après l’autre. Les uns après les autres.
Ils tomberont, qu’importe leur nombre. Sous sa force. Sous sa rage.

Elle permet au Roi d’avancer.
Il frappe. Il attaque. Il abat ses adversaires, ses victimes. Ses propres troupes l’accompagnent, et anéantissent les survivants. Ou les blessés. Nul n’est épargné.
Sa fureur est infinie. Sa souffrance est absolue. Le cœur du Roi s’est fermé ; gelé.
Car son fils n’est plus.

Le Roi connaissait les risques. Il avait déjà entendu les histoires, les bilans. Les diagnostics.
Son fils…
On le lui a dit. On le lui a répété. On n’a cessé de le prévenir.
Son fils ne pouvait pas survivre, grandir. Son fils ne pouvait pas être à ses côtés.
Alors qu’il était sa perle, son offrande au monde. Si beau. Si fier. Si puissant, et si doux à la fois.
Avec la légèreté et le sourire de la Reine ; et un rire aussi long et joyeux qu’une nuit d’été qui ne s’arrête jamais. Avec la force et l’intransigeance du Roi ; et un regard aussi dur qu’une gelée d’hiver.

Son fils n’est plus. Il s’est évaporé, l’a quitté. On le lui a pris.
Pour que le Roi puisse vivre, lui a-t-on dit. Pour que son règne perdure.
Il le savait.
Il ne l’a pas accepté. Il ne l’accepte toujours pas.
Il s’acharne, alors. Il englobe son royaume puis le monde de son voile. Ses forces se dispersent. Sur toutes les terres. Dans tous les villages.
Les griffes acérées de ses sbires se plantent dans les bois, les lacs ; les chairs. Dans la chaleur des foyers, soudain bien plus froids et secs. Rendant la vie illusoire, la survie difficile.
Il n’en a cure.

Le Roi souffre. Le monde, alors, doit en payer le prix – et elle, aussi. Elle, surtout.
Elle qui est absente, alors que leur fils n’est plus.
Celle à qui il a cédé, qui a su ouvrir les pans de ce manteau si dur, si froid glissé autour de son âme.
La Reine. Qu’il a aimée, qu’il aime. Car elle est si lointaine, si différente. Si légère. Si rieuse. Si chaude. Si joyeuse. Si détendue.

Lui n’est que force, froideur, dureté ; en apparence. Mais aussi poésie rude, sous la chape de plomb qu’il impose aux autres, et ne laisse jamais sortir – car il a une tâche, une fonction dans ce monde.
Il brise. Il détruit. Il recouvre de son ombre, car il le faut. Les jours sont plus courts. Les nuits sont plus longues, et froides.
La vie se raréfie, s’use à cause de lui. Par lui.

Ils n’auraient jamais dû s’unir – et pourtant. Ils n’auraient même jamais dû se rencontrer – et pourtant. L’impossible eût lieu.
Et leur fils… est né. Pour faire leur fierté.
Ils ne pouvaient le voir, l’avoir ensemble ; les différences sont trop profondes, leurs temps trop éloignés. Mais leur fils était le lien. Et leur bonheur.
Il n’est plus.

Alors le Roi s’emporte, s’enferme, s’abandonne. Le temps passe.
Et les semaines, les mois. Les forces du Roi se consolident. Son règne est total, tyrannique, violent. Absolu. Le monde est froid. Le monde est vide. Le monde se meurt.
Son cœur s’est fermé. Il fait tomber les quelques résistants. Il anéantit les survivants. Ils chutent, tous, devant lui.

Le monde est froid. Le monde est vide. Le monde se meurt.
Son temps est plus loin qu’il ne le faut. Le Roi ne s’en préoccupe plus.
Sa place est différente. Ses aspirations sont différentes.
Son fils lui a été pris. Qu’importe le reste. Qu’importe le monde. Qu’importe le grand axe des temps.
Seule sa souffrance compte – et l’étendre à tous est sa seule façon d’accepter encore une respiration de plus.

Mais un jour.
Les gardes l’alertent. La terre tremble. Ses forces, sa puissance, le manteau lourd qu’il impose au monde se fissure ; s’évapore. La forteresse de froid et de ruines tangue.
Le Roi se lève de ce trône où le gel et le deuil l’ont figé, pour comprendre la raison de ce trouble – et il voit.
Il voit ses sbires s’effondrer. Les invincibles, indestructibles, éternels… disparaissent.
Il voit son influence s’éclipser, son contrôle se briser. Il voit ses soldats tomber ; tous.

Devant elle, qui s’avance.
D’une démarche aussi lourde qu’un brouillard en janvier. D’un pas aussi éclatant qu’un soleil de midi en plein août.
Elle se fige devant lui, s’arrête. Elle lève ses yeux vers lui, et porte toute la rage d’un monde qui refuse son influence, son règne, sa puissance ; et son deuil.
C’en est assez. Le temps a passé. Lui aussi le doit.

Le Roi pourrait agir. Lever son épée, et l’abattre. Lancer ses forces même déclinantes dans la bataille. Tonner, hurler, faire souffler le vent et briser les murs sous la froideur de son ombre.
Le Roi pourrait. Mais…
Le Roi voit.
Celle venue briser son règne, anéantir sa puissance ; évaporer son deuil. Et le Roi… cède, alors.

Le Roi abandonne.S’écroule sur son trône. Cesse.
Le Roi s’effondre, s’émiette, s’évapore… et laisse la place.
Les vaincus ressuscitent. Les soumis relèvent la tête. Les soldats ravivent leurs racines et déploient leurs branches alors, que l’ombre blanche est effacée par la renaissance verte.
Son temps est passé.

Il a voulu soigner la peine, le deuil par la fureur d’un temps, d’une saison qui a été la plus dure de toutes. Tout cela par la tristesse d’avoir perdu son fils.
Le Prince d’Automne.
Une tristesse qui n’a pu, hélas, bénéficier du réconfort, de la chaleur que la Reine aurait pu lui donner. Mais le Roi s’est refermé dans la solitude.
Car la Reine d’Eté est trop loin, toujours.

Mais elle, devant lui, alors que son esprit s’éclipse devant sa majesté… elle a réussi.
Et il ne peut que former un sourire doux et triste, devant une beauté éclatante digne de la Reine, et une intransigeance digne du Roi.
Elle a vaincu. La Princesse a vaincu.
La Princesse du Printemps.

Qui, sur le trône désormais libre, s’installe. Sur les ruines du Roi de l’Hiver.
Après avoir conquis son temps, sa saison ; et son règne.

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C’est bien.

J’avais saisi l’idée, mais il me manquait un élément… Cet élément, c’était la Princesse !

J’ai seulement une petite question : que sont ces astérisques qui apparaissent par endroits ?

Tori.

Sûrement des problèmes dû au logiciel que j’utilise pour écrire (Open Office), qui créé des « espaces » que certains forums traduisent en *.
Je vais les supprimer. :slight_smile:

Merci beaucoup de ton retour ! Je me doutais que les quelques indices seraient lisibles, mais je suis très content que l’élément final ne soit révélé qu’à la fin !
Merci beaucoup de m’avoir lu, ça me touche.

Ton conte est réussi…
Au contraire de Tori, je n’avais pas imaginé quoi que ce soit et je n’avais pas pensé au cycle des saisons.
J’ai pensé (après coup) au conte russe des 12 mois qui règnent l’un après l’autre.

A quand la prochaine nouvelle?
Amicalement

ginevra

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Oh merci beaucoup. :slight_smile:
Ca me fait vraiment très, très plaisir de lire vos retours, et surtout de savoir que ça a plu !

Je suis aussi content que la surprise ait joué, j’aime beaucoup les twists !

J’espère pouvoir enchaîner sur l’inspiration, je ramènerais peut-être aussi quelques vieux trucs.

Merci encore de vos retours !

Un petit point : avant de lire ta nouvelle, j’ai quand même regardé sa longueur… Sur le forum, quand c’est une micro-nouvelle (comme c’est le cas de celle par laquelle tu as commencé), ça va. pour un texte plus long, je ne pense pas que ce soit adapté.

Tori.

Merci du conseil ! :smiley:

Ne serait-ce que pour des questions de mise en page, d’ailleurs.

Tori.

C’est vrai, c’est beaucoup trop lourd sinon. J’essaye de toute façon de faire court, pour ne pas me perdre dans des détails inutiles ou des effets de style trop appuyés.

Bonjour à tous.
Petite résurrection de ce sujet, laissé en jachère par manque d’inspiration. Je me suis relancé aujourd’hui, sur un coup de tête. Je suis plutôt content du texte malgré des défauts, même si je ne suis pas très satisfait du titre (si difficile à trouver).
Cela fait un peu plus de quatre pages sur Word. Merci aux curieux pour leur intérêt. :slight_smile:

La promesse de vie

Il court.
Il se précipite, comme il le peut. Il halète, a l’impression de perdre sa respiration, et un moment ses pensées s’abandonnent aux critiques régulières qu’il s’adresse, pour marquer son manque de confiance en lui. Il aurait dû… faire du sport ; se forcer. Améliorer son endurance. Se créer une endurance, plutôt.
Mais, très vite, ces pensées s’évaporent. Son esprit se coupe, reste éveillé alternativement, en alternance avec le subconscient qui doit gérer ; s’occuper de l’évidence, du vital.

La survie. Il doit survivre. Il doit accélérer, malgré le point de côté, la bave aux lèvres, la chaleur qui embrase tout son corps. Il doit courir. Il doit s’enfuir.
Il doit s’échapper.

Il doit lui échapper.
Même si… même s’il ne sait pas ce que c’est. Même s’il ne sait pas ce qu’il a vu ; mais il a bien vu quelque chose. Dans les ombres. Dans l’obscurité.
Il a vu, quelque chose. Il a ressenti – une présence, une aura ; une forme, indéfinissable mais terrifiante. Il a entendu, surtout.

Un grognement. Qui n’a rien d’humain. Qui n’a rien de sensé. Qui existe, cependant.
Un grognement léger, rapide – répété. Plusieurs fois, dès qu’il s’approchait d’avenues, de rues plus éclairées que les ruelles où il s’est perdu il y a plusieurs minutes, déjà.
Un grognement terrible, qui le pousse, le conduit, le mène… là où la terreur l’emporte.

Il est terrifié. Perdu, surtout.
Perdu dans ces rues inconnues – dans cette ville, surtout, dont il ne sait rien. Il n’aurait jamais dû venir ici. Il n’aurait jamais dû accepter ce fichu voyage d’entreprise. Il n’aurait jamais dû relever le défi de cet imbécile de Ted, qui l’a provoqué devant tous leurs collègues de l’open-space pour oser quelque chose de nouveau. Il n’aurait jamais dû quitter sa chère routine, qui le cadre, qui organise ses journées, ses repas selon agenda répété, routinier et si agréable.
Il aime ça. Il adore ça. Qu’importe qu’on le critique, qu’on le considère mort de l’intérieur parce qu’il ne serait pas fun ou drôle. Lui a trouvé son équilibre, a ses petits hobbys, a son travail de contrôleur financier qui lui plaît, mais…
Mais il a cédé. Mais il s’est soumis à la pression sociale.

Il s’en veut.
Pour ce défi, et surtout d’avoir quitté l’hôtel, pour cette insomnie stupide, dans cette chaleur étouffante d’un mois d’août oppressant. Il a cherché la fraîcheur, ne l’a pas trouvée dans cet hôtel désagréable, et s’est offert un frisson imprévu en osant sortir quelques instants. Il ne sait plus quelle direction il a prise.

Il s’est perdu. Dans cette fichue ville… Istanbul.
Jadis Byzance. Jadis Constantinople. Mais aussi Lygos, au début, puis même Augusta Antonina, ou la Deuxième Rome, un temps, et également Tsargrad. Istanbul depuis 1930, après la création de la République de Turquie.
Ah, il a bien suivi les présentations des guides, durant ce fichu voyage, où il s’est passionné pour le sujet, en élève appliqué qu’il a toujours été – mais ça ne l’aide pas, là.

Il est perdu. Il s’est perdu. Il… n’en peut plus. Il a quitté l’hôtel. Il a erré. Il a marché. Et… et il l’a entendu ; le grognement. Puis il a vu ; l’ombre. Il a fui.
Il s’est enfui.

Il ne reconnaît rien. Il ne voit rien qu’il peut connaître, reconnaître. Ils étaient… ils sont dans le quartier Haydarpaşa, dans la partie asiatique de la ville. Sur la côte de la mer de Marmara, ce qui semble avoir poussé les organisateurs à les loger ici, pour fuir la chaleur ; peine perdue.
Un quartier historique. Une zone culturelle. Un endroit magnifique, mais… non. Il ne reconnaît rien. Il est perdu. Il court. Il fuit. Il… ne voit rien ; plus rien.

Sa vue l’abandonne. Les ruelles sont obscures. Les allées sont troubles. Les luminaires sont éteints ou dysfonctionnent. Son corps surchauffe. Chaque respiration racle sur les parois sèches de sa gorge en feu.
Il court, il fuit. Il l’entend encore ; le grognement. Il se projette, mais se sait entouré, oppressé, att…

Il hurle. Il est touché. On l’a touché. Ça l’a touché.
Il tombe.
Il roule en avant, et sent du métal ployer – non pas sous son poids, minime face aux armatures anciennes et solides. Mais elles cèdent face à la puissance, la force, la détermination de… de l’ombre.
De la Chose.

La Chose est là. Il roule encore. Il roule sur de l’herbe, de la terre ; un talus, dont il ne sait rien.
Il roule puis s’arrête. Mais la Chose est encore là. Toujours.

La Chose grogne. La Chose hume. La Chose le sent.
La Chose s’approche, tourne autour de lui ; joue avec lui.

Il tremble, incapable de former des mots, et perd toute dignité, quand la terreur se rit de sa vessie. Ses yeux se perdent, tournent et retournent par panique ; mais fonctionnent encore.
Il voit, alors. Il voit… ce qui l’entoure ; ce qui est légèrement éclairé, par des luminaires publiqcs mais aussi une circulation cruellement lointaine et inaccessible.

Un obélisque. Un immense obélisque est posé, là. Plus loin, mais il le voit ; il le voit quand même. Une colonne, également. Il y a une colonne ; brisée. Et laissée brisée, telle qu’elle.
Mais aussi… des formes. Des formes en dur. Des formes au sol. En rang. Des formes symétriques. Des formes visibles. Des formes avec… des écritures, dessus.
Il comprend, alors. Il connaît. Il reconnaît. Il reconnaît l’endroit.

Le cimetière de Haydarpaşa.
Créé en 1855, initialement pour le personnel militaire britannique intervenu durant la Guerre de Crimée. L’obélisque a été érigé en 1857, sur ordre de la Reine Victoria. La colonne brisée vise la mémoire des officiers des Chasseurs à pied allemands, décédés durant la Guerre de Crimée également. Une plaque, quelque part, valorise l’action de Florence Nightingale dans la région ; mais il ne la voit pas.
Il ne voit rien, hormis ces signes – et évacue l’ombre du sourire qui tentait de perler sur son visage. Le plaisir sincère et ancien d’avoir bien retenu la leçon, d’avoir été attentif, s’évapore bien vite quand un nouveau grognement intervient, résonne.

La Chose est toujours là. La Chose approche.
Il a peur. Il bégaye. Il supplie. Il appelle à l’aide.
Il prie.

Il prie tous les dieux. Il prie tous les saints. Il prie même les démons. Il supplie.
Il promet ; de changer, de se transformer, de vivre sa vie. Il promet de sortir de sa routine. Il promet de faire la différence. Il promet de ne plus s’oublier. Il promet de faire le deuil de ses disparus, qui ont brisé les maigres flammes d’espoir et d’initiative qu’il nourrissait alors.
Il promet de sortir de sa routine, qui le rassure face à un monde si chaotique, si incontrôlable.

Il promet de changer. Si… on le laisse vivre. Si… on l’aide.
Si… on le sauve.

Il la voit. La Chose. L’horreur. L’abomination. La… la créature.
Indéfinissable. Indescriptible.
Elle… il voit des chairs. Les chairs. La chair qui se disloque, tombe ; s’étiole. La chair s’étiole du corps. La chair est collée aux os, qu’il voit à l’œil nu, et s’étiole.
Rien d’autre. Pas de vêtement, pas d’habit. Pas de tissu. Rien. Juste… la chair ; les chairs, qui pendent d’un corps si frêle qu’il semble capable de s’envoler, au moindre coup de vent.

Mais le vent ne souffle pas, ce soir. Une chaleur sèche oppresse la ville – et l’a poussé, lui, à sortir sans sa veste ; et son téléphone portable.
Il est seul. Avec la Chose, dont le visage… le visage s’approche. Les chairs tombent. Pas de cheveux. Pas de sourcils. Juste… une maigre pellicule de chair, sur le crâne d’os. Et des yeux, terribles, dont le blanc puissant entoure une noirceur terrifiante. Et une bouche, qui s’ouvre, qui bave, qui salive… qui s’approche.

La Chose approche. La… la Goule.
Il connaît. Il reconnaît. Il comprend. Il se rappelle.
Le guide en a parlé. Une Goule. Une légende. Un croque-mitaine, similaire au Grand Méchant Loup des Occidentaux. Un monstre des contes des Mille et Une Nuits, une classe de Djinns qui peut avoir plusieurs formes, mais que l’on reconnaît par… ses pieds.

Ces pieds qu’il voit, et qui confirment ce qu’il pense – ce qui n’a pas de sens, mais ce qui est quand même.
Des pieds fourchus. Des pieds terribles, qu’il aperçoit alors que la Goule avance à quatre pattes. Des pieds qui s’enfoncent dans l’herbe, dans le sol sacré qui ne le protège pas.
La Goule l’obsède, il ne peut la quitter des yeux. Son esprit fracturé se raccroche à ses connaissances, aux leçons entendues, par réflexe. La Goule ; un mythe dont le nom arabe a pour étymologie le mot « saisir ». Car elle s’empare, oui. Elle s’empare d’autrui. Elle s’empare… des chairs ; de la viande.

La Goule veut le dévorer ; et il ne peut pas bouger. Il est figé. Il s’est perdu, et… il est perdu.
Nul ne va le chercher, ici. Nul ne va le trouver. Nul ne va l’entendre.
Nul ne va le sauver.

Il murmure, encore. Il supplie, toujours. Il promet.
De bien faire. De mieux faire. D’être digne. D’être bon. D’être juste.
D’être… fidèle à ses serments.

La Goule n’en a cure, elle approche. La Goule fait craquer une mâchoire branlante, pour ouvrir encore plus la bouche. Il manque de s’étourdir, sous l’haleine terrible – chargée de relents de viande avariée et impie ; humaine.
Il tremble. Il supplie. Il pleure. Il sent. Il va… elle va… ils vont…

Rien. Il ne sent rien. Il ne ressent rien.
Il ne subit… rien.
La Goule allait le mordre – devait le mordre. Mais rien. Elle ne lui fait rien.
Parce que… la Goule n’est plus là.

La Goule n’est plus au-dessus de lui. La Goule est plus loin. La Goule est repoussée. La Goule est projetée. La Goule est propulsée. La Goule est étirée. La Goule hurle.
La Goule souffre.

Il ne comprend pas. Il ne comprend rien.
Il voit, cependant.

Des formes. Ethérées. Floues. A peine visibles ; mais il les voit.
Des hommes, surtout. Des femmes, quelques-unes.
Des gens. Des êtres, qui flottent au-dessus du sol, dans une aura de lumière déclinante, dans une atmosphère de soufre, et s’en prennent à la Goule.

Des gens qui sont là sans l’être. Des gens aux vêtements débraillés, usés, anciens ; très anciens. Troués, aussi. Marqués.
Des vêtements tâchés ; de sang. Leur sang.
Des fantômes. Des fantômes s’en prennent à la Goule. Des fantômes poussent, étirent, forcent… déchirent la Goule.

Des fantômes. Beaucoup armés. Beaucoup en uniforme. Des soldats ; de tant d’origine. Britanniques. Allemands. Indiens, aussi, car les cendres de cimetières hindous ont été dispersées ici après la Première Guerre Mondiale. Turcs, bien sûr. Et tant d’autres.
Pas que, aussi. Des civils, aussi. Plein. Enormément.
Une masse.

Une masse de fantômes s’en prend à la Goule – qui cède ; qui finit par céder. Elle explose. Elle éclate. Elle se brise. Les membres se brisent. Les os se brisent. Les chairs s’évaporent.
La Goule se brise, et ses restes retombent lourdement au sol. Dans un bruit humide terrible, dégoûtant.

Le silence règne, ensuite. Le silence s’impose. Il n’entend… rien. Hormis sa respiration ; si lourde, si saccadée. Si difficile. Il n’entend rien. Il ne sent rien.
… mais il les voit.

Eux. Eux tous. Eux tous, autour de lui, qui l’encerclent. Les fantômes. Les militaires. Les civils. Les locaux. Les étrangers.
Les morts.

Les morts l’entourent – et ils ne disent rien ; mais il entend, dans son cœur autant que dans son esprit. Il entend. Il comprend.
Ils l’ont défendu. Ils l’ont protégé. Ils l’ont sauvé.
Parce qu’ils l’ont entendu.

Il a promis. De changer. De profiter. De vivre, enfin.
Certains, beaucoup l’ont aidé parce qu’ils avaient pris l’engagement de protéger les civils – mais les autres, encore plus nombreux, ont senti son engagement, qui a résonné en eux.
Ils sont morts, mais voudraient vivre.
Il vit, mais agissait comme un automate – comme un vivant, sans vie. Un mort de principe.

Ils l’ont sauvé. Pour qu’il vive.
Et il sent… il sent qu’il ne doit pas se parjurer. Il sent qu’il ne peut pas, ne pourra pas renoncer. Ils s’en assureront.

Les morts l’ont sauvé ; mais les morts le suivent, maintenant.
Beaucoup disent que les morts ne racontent pas d’histoire… et c’est vrai. Mais mieux vaut, aussi, savoir éviter de rompre une promesse avec ceux qui ont l’éternité pour vous attendre, et juger de la deuxième chance que l’on vous a donnée.

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Whoaaaah ! De la lecture, j’ai commencé le premier poste, pas fini. Je les lirai (tes deux nouvelles) demain, car il y a de quoi lire et ce que j’ai commencé à lire me plaît bien. Je donnerai mon avis pour chaque nouvelle. Et merci de l’avoir remonter, car je ne l’aurai pas découvert seul…

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Oh merci beaucoup, c’est très gentil. :slightly_smiling_face:

Merci pour ce 2e texte haletant et prenant…
Du danger à se laisser entraîner par les conventions sociales contre sa nature profonde !

ginevra

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Merci énormément pour ce retour. :slightly_smiling_face:
Même si forcer sa nature, ça peut amenerbeaucoup… mais pas là ! :yum:

Pareil, je n’ai rien vu venir ! Pourtant, j’aurai pu, vu que je suis un grand lecteur… mais non. Bravo ! :wink: j’ai beaucoup apprécié.

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Il y a une coquille, saurais-tu la retrouver ? :grin::wink:

Une belle conclusion qui serait aussi une leçon de la vie.

J’ai aussi beaucoup apprécié et je peux me permettre de te poser une question : pourquoi des phrases courtes ? La première, ça avait un sens. Celle-ci, tu aurais pu remplacer certains points par des virgules ou des ponctuations qui n’obligent pas à s’arrêter, à faire des pauses… comme, par exemple, je prends au hasard :

Il murmure, encore. Il supplie, toujours. Il promet.
De bien faire. De mieux faire. D’être digne. D’être bon. D’être juste.
D’être… fidèle à ses serments.

Il murmure, encore. Il supplie, toujours. Il promet… de bien faire, de mieux faire… d’être digne, d’être bon. D’être juste.
D’être… fidèle à ses serments.

Cela permet de faire moins de pause… enfin, tu as peut-être une raison. Mais, je vois plutôt qu’il y a, par moment, de l’urgence… la personne, dans sa frayeur, dans son angoisse, donnerait plutôt une ambiance directe sur ses émotions. Il n’a pas le temps de réfléchir au mieux dans ce qu’il ressent mais peut hésiter, oui, mais pas trop. Car il tient à survivre… donc moins de pause.
Enfin, je vois ça comme ça… :wink:

Merci énormément de m’avoir lu, ça me touche. :slightly_smiling_face:

Merci. J’aime beaucoup (trop) les fins à twist.

Haha bien vu, merci !!

Merci. C’est ce que j’ai voulu faire, même si c’est maladroit.

Tu as raison.
En fait, je me fais souvent avoir en voulant en faire trop : trop de description des pensées, trop de phrases, trop d’attente, trop d’effets de style.
Je suis très sensible au rythme d’un texte, sa dynamique, et j’aime le côté rythmé et haché des phrases courtes. Mais j’ai du mal à me juguler, et j’ai trop souvent envie de mettre en ligne vite. Je n’aime pas me relire, même s’il faudrait !

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Marrant, c’est tout le contraire pour moi. Je prends beaucoup plus de temps et j’aime laisser mûrir le texte. Et pas du tout pressé de mettre en ligne. Je suis plutôt réservé.
J’ai plus de facilité d’écrire un poème (en vers ou en prose, classique ou moderne) que d’écrire des nouvelles. Plus de facilité d’écrire des nouvelles ou pièces de théâtre que d’écrire un roman. Je n’ai jamais écrit un roman : je n’en ai jamais eu cette motivation. Mais un récit court, oui. Et je garde tout ça pour moi :grin: - des fois je partage, mais ce n’est pas non plus un besoin. Mon besoin d’écrire est plus une souffrance, un désir de m’exprimer pour me soulager… une sorte de thérapie :grin::wink: - pour cette raison que je ne cherche jamais à publier… c’est trop personnel. :wink:

Même sur Internet ?

Oui. J’en ai publié sur le net, d’ailleurs ! J’ai un nombre incalculable de pseudos, déjà… on ne risque pas de me trouver facilement… :grin::wink: mais je ne crois pas en avoir posté un grand nombre de mes écrits. Très peu.