Ah, chacun est différent. J’ai besoin de partager et d’un retour.
Par contre, j’ai quasi le même pseudo depuis bientôt 20 ans !
Je mettrai certains de mes écrits publiés sur le net ici. Il faut que je les retrouve pour faire des copier/coller. - enfin je vais ouvrir un sujet, celui-ci t’est réservé.
Je comprends parfaitement ce besoin de retour, c’est pareil pour beaucoup d’auteurs et artistes. De mon côté, mon partage est plus pour le plaisir que d’avoir un avis, un commentaire ou un échange. Je n’ai pas ce besoin de vouloir un retour. Qu’on me lise ou pas ne change pas grand-chose pour moi. Je sais c’est bizarre.
Quand je partage, c’est plus parce qu’on me le demande ou pour répondre à une actualité ou autres raisons valables.
Chacun est différent et vit les choses comme il le peut. Je te lirai avec plaisir !
Je m’y replonge, mais j’avais collaboré avec Arcadia Graphic Studio pour le Batman Day 2018, en proposant une « revitalisation » d’un cousin original de Batman.
C’est accessible sur leur site et donc ici aussi, pour les curieux.
Mask est un personnage, désormais libre de droits, créé par l’auteur Raymond Thayer pour l’éditeur Nedor.
Il est apparu dans Exciting Comics #1 en avril 1940, et est l’adaptation en bande dessinée du personnage de nouvelles et romans pulp Black Bat, de Norman A. Daniels. Ce dernier dispose d’une certaine popularité et a été l’objet d’un film sur lui : les problématiques liés à une trop grande ressemblance graphique avec Batman, lancé en même temps, ont mené à créer Mask pour les comics. Il est, notamment, une inspiration du vilain Harvey Dent/Double-Face.
A la base un procureur à succès agressé et atteint de cécité, il est aidé par l’étrange Carol Smith, qui lui permet de retrouver une vue, améliorée, et de lutter contre le crime en tant que Mask !
L’éditeur Arcadia a le plaisir d’annoncer la reprise de ce personnage dans son catalogue et, à l’occasion du Batman Day, nous proposons aux curieux de découvrir une traduction d’un des comics originaux, mais aussi une nouvelle et des illustrations du Mask moderne !
Venez découvrir les débuts et la reprise de l’un des cousins de Batman durant l’Âge d’Or ! Bonne lecture !
La nuit des monstres
par Ben Wawe
La lourde porte grinçante est soulevée de terre par deux poignes solides, et glisse difficilement sur les rails rouillés. Le bruit est horrible, aigu et désagréable, heureusement très court ; c’est ouvert.
Une demi-douzaine d’ombres se faufile dans le passage, et les muscles s’activent encore pour replacer la porte. Dans ce sens, c’est heureusement plus facile ; ils en ont vite terminé.
Quelques secondes leur suffisent pour s’avancer dans les ténèbres, sans tâtonner ; la force de l’habitude. Ils parviennent rapidement à destination, quelques allumettes sont grattées – et deux lampes plus vieilles qu’eux sont allumées… la lumière apparaît. Puis éclaire la zone.
Cinq hommes et une femme se trouvent dans une salle perdue d’une usine abandonnée. D’immenses poutres en béton soutiennent la structure, mais le reste n’est que gravats, détritus, coupures de journaux, ordures ou vagues biens récupérés çà et là ; rien de bien, rien de bon, rien de neuf – mais c’est leur foyer.
Quelques mots sont échangés, et des caisses sont placées en cercle autour d’un feu de camp froid, qui a été consolidé après leur arrivée ici. Ils connaissent cette planque depuis une semaine, et l’ont trouvée après avoir échappé à une patrouille de flics. Ils sont la cible de l’officier Jordan, un acharné qui veut absolument les retrouver – et ils ont bien failli y passer, avant de se cacher ici.
Depuis, ils s’y sont faits. Depuis, ils ont commencé à s’installer. Depuis, ils y sont bien.
Le feu se renforce, la chaleur se diffuse ; lentement. Les blousons sont toujours sur les épaules, et les ouvertures sont resserrées, pour limiter la venue du froid. L’hiver est brutal, terrible. De nombreux sans-abris sont déjà décédés, et les stratégies de l’Administration ne sont pas assez efficaces pour endiguer une vague mortelle, qui s’étend.
New York grelotte, disent les experts avec un léger sourire ; uniquement parce qu’eux sont au chaud.
Les gens, les vrais, savent ce qu’il en est. New York gèle, et la foule d’anonymes errant dans les rues se meurt ; le danger est partout. Et la survie, alors, devient une réalité – et un enjeu.
Quelques produits sont sortis des réserves, et placés sur le feu : une boîte de conserve volée, des sardines périmées, un bout de viande récupéré. Pas grand-chose, mais suffisant pour les nourrir… même si, en soi, ils pourraient se payer plus, et mieux.
Hélas, ils le dépensent autrement ; hélas, l’argent acquis plus tôt dans la journée glisse déjà dans les narines, et s’évapore dans les veines. Héroïne, pour certains ; crack, pour d’autres.
Le poison se diffuse… en eux, car la ville est déjà infestée, et leur génération aussi. Dites non à la drogue, ont-ils toujours entendu ; okay. Mais on fait quoi, alors, pour vivre, et oublier un peu ce qui plonge dans la misère et la rue ?
Ce sont des gamins. Le plus jeune a quinze ans, et a été mis dehors par son père quand ce dernier a découvert son coming-out ; le plus vieux en a vingt, et a déjà été en prison. Où il a vu, fait et subi des actes qui le hanteront à jamais.
Ce sont des gamins. Paumés, terrorisés, loin de leurs proches, incapables de rentrer chez eux, de se structurer ; ce sont des gamins. Mais pas des saints.
Certes, ils sont à plaindre – certes, ils doivent être aidés. Certes, la seule fille du groupe a subi le pire il y a deux mois, quand elle traînait avec d’autres, mais… ce ne sont pas des saints. Ils ont froid, ils ont peur, ils n’ont plus rien – et sont désespérés ; ils agissent comme tels.
Ils dépouillent des gens. Ils volent les passants. Ils s’en prennent aux personnes seules, et tentent même des cambriolages.
Ils sont terrorisés ; maladroits. S’énervent vite. Se perdent vite. Vont trop loin, trop vite.
Ils sont ensemble depuis plusieurs semaines, et ont déjà de nombreuses attaques à leur actif. Le phénomène s’amplifie, dans la ville, et les journaux font de plus en plus état de telles bandes, qui sévissent contre les joggers, contre les solitaires, même contre certains conducteurs. La police s’empare du problème, on dit même que certains voudraient appeler les Héros, comme la nouvelle Black Terror. De nombreuses rumeurs font état de choses étranges autour de ces bandes, des liens supposés avec la Mafia ou d’autres organismes… ces gamins le sauraient s’ils s’informaient ; mais non, ils n’ont pas le temps. Ils survivent, juste.
Alors, ils volent. Alors, ils attaquent. Alors… ils vont trop loin. Ils frappent – trop fort. Alors, ils tuent.
Et oublient, et s’oublient dans les drogues, toujours plus nombreuses, toujours plus fortes ; car il en faut, pour oublier ce qu’ils ont dû faire pour l’obtenir.
Un cercle vicieux. Une abomination. Une horreur, pour eux.
Mais cela ne change rien pour leurs victimes. Cela ne changera rien pour le coureur qui les a rencontrés ce matin et qui a fait l’erreur de vouloir prendre un raccourci dans Central Park ; qui a fait l’erreur de poser les yeux sur la fille, en pleine toilette ; et qui a été passé à tabac par la bande, encore sous l’effet des substances de la nuit.
Ils l’ignorent, car ils l’ont oublié après avoir dépouillé son corps inconscient et brisé, mais il est mort ; il est mort et son enfant à naître ne le connaîtra jamais.
Ils l’ignorent, car ils s’en fichent – et se perdent, définitivement, dans ce poison qui est devenu leur quotidien, leur existence. Ils s’en fichent, oui, comme beaucoup dans cette ville.
Mais certains ne s’en fichent pas .
Un bruit, sec et aigu, réveille l’un d’entre eux… le plus jeune, toujours à fleur de peau. En pleine montée d’effet, il grogne contre ce qui le prive du meilleur – mais se relève, quand même ; inquiet.
Difficilement, en tanguant, il tente de s’avancer vers un coin de la salle. La pièce est immense, sombre mais entièrement close. Seule la porte coulissante, qu’ils ont bloquée, permet l’accès ; c’est sûr, ici. C’est leur foyer. C’est sûr, et ils n’ont rien à craindre… les autres l’ont dit. Les autres ont toujours raison.
Il s’avance, alors, se tenant aux murs, aux anciens meubles brisés et si dangereux. A plusieurs reprises, il manque de se blesser, de se trancher ; heureusement, la chance lui sourit ce soir. Il n’a rien.
Il n’a rien… pour l’instant.
Le coup est soudain, et il ne voit rien venir. Alors qu’il s’approchait d’un des angles de la pièce, un poing s’est extrait des ténèbres, et l’a frappé au nez.
Il recule, et sent quelque chose couler sur lui ; son esprit est trop anesthésié pour le comprendre, mais l’os est brisé, et le sang coule fortement. Il tente de garder l’équilibre, mais voit alors une forme qui émerge, elle, des ombres.
« Mais… mais… », murmure-t-il en tentant de voir cette silhouette, qui se devine difficilement ; trop tard. Un autre coup s’écrase sur lui, cette fois-ci à la tempe : il tombe, sans s’en rendre compte. Et une chaussure brune s’écroule sur son torse, suffisamment violemment pour lui couper la respiration, et l’empêcher de bouger pour bien longtemps.
La suite s’enclenche, alors ; et se passe de mots.
Les autres, dans leur état éthéré, ne se rendent pas compte tout de suite ce qu’il se passe ; c’est mieux. La forme s’échappe, et fond sur chacun d’entre eux – littéralement. La silhouette bondit, saute sur des distances extraordinaires, et vient frapper le moindre membre de cette bande.
Après que qu’un autre se soit fait agresser, ceux qui restent tentent de reprendre conscience et de se redresser – mais ce n’est que le cinquième, l’avant-dernier, qui parvient à se relever pleinement. Les jambes tremblantes, perdu, il tente de lever ses poings… mais se fait étaler en trois coups bien placés ; cruels, mais efficaces. Il s’écroule.
Seule demeure la fille, alors. Seule demeure cette petite chose, chétive et terrorisée, qui pleure et s’écrase, anéantie par le choc. Pas celui de ce soir, pas l’anéantissement de sa bande – mais ce que cela révèle. La découverte, par une vérité violente et absolue, que sa vie a pris ce tour-là ; que c’est devenu ça, sa vie.
Elle s’écroule, s’abandonne. La forme vient se placer devant elle, puis la prend dans ses bras. Avec une douceur imprévue.
Par réflexe, elle crispe ses mains endommagées par les drogues sur lui – sur ce qui semble être un homme, portant un tissu doux et tendre ; de luxe. Elle s’y accroche, oui. Et tressaille, en entendant les quelques mots murmurés à son oreille.
« Dis-moi », glisse-t-il lentement. « Dis-moi qui crée les monstres. »

Mask par Yannick Potier.
Plus tard. Ailleurs.
Il est cinq heures du matin ; la soirée s’achève déjà.
Donnie Don s’avance tranquillement dans le couloir sombre, dans les profondeurs de son night-club ; il sourit, en regardant ses chaussures de marque, engoncé dans ses vêtements hors de prix. Il vient de vérifier les résultats, et les bénéfices seront bons, ce soir. Les filles ont ramené assez de billets pour couvrir ses frais, et la vente de drogues a battu des records ; une bonne soirée, oui m’sieur.
Assez pour lui permettre de partir plus tôt que d’habitude. Assez pour laisser Andy fermer. Assez pour récupérer une des filles, oui m’sieur. Une des plus jeunes, lui bourrer le nez de poudre, la sortir de la piste de strip-tease, et l’emmener avec lui ; pour bien finir la soirée, oui m’sieur.
Donnie Don sourit. Les ventes sont bonnes. Les filles plaisent. Il fait froid, les paumés ont besoin de drogue, et lui peut en fournir. Rien ne semble pouvoir le gêner. Rien ne semble pouvoir l’emp…
Trois chocs le stoppent. Deux sourds, un plus long ; trois bruits, terribles.
Donnie s’arrête, se fige, fronce les sourcils. Il se tourne, regarde du côté du couloir qu’il vient de quitter – rien. Pas un mouvement. Pas une dissonance, dans cet endroit qu’il connaît si bien, froid et gris. Sans goût, sans décoration, sans chaleur ; sans humanité, comme il l’a voulu.
Il regarde ensuite de l’autre côté, vers sa destination – la sortie, où l’attendent Tim et Tom, ses deux hommes de main. Deux masses, deux brutes, aux muscles tout droit sortis de dessins-animés, tordus et vicieux comme il aime. Ils ont dû récupérer la p’tite, et la mettre dans la limo pour lui.
Est-ce que… ? Est-ce qu’elle… ? Non. Non m’sieur, il le sait, elle n’oserait pas ; personne n’oserait se révolter, refuser le privilège d’une nuit avec Donnie Don. Non. Impossible. Inacceptable, m’sieur.
Porté par une boule de colère, d’indignation, Donnie Don accélère le pas, et s’avance jusqu’à la lourde porte en métal, qui sépare le night-club de l’extérieur ; de son monde de l’autre, diraient certains, même si c’est faux. Son monde s’étend au-delà de ces murs, et Donnie Don a une soif de conquérant – et bien des moyens de l’assouvir, oui m’sieur.
« Hey, c’est quoi ce bord… », commence-t-il en haussant le ton, avant de s’arrêter ; le souffle coupé.
Il est bien à l’extérieur, maintenant. Il est dans l’arrière-cour, devant sa limousine. Il voit Tim et Tom.
Brisés.
Les deux armoires à glace sont au sol, les visages fracassés, étalés comme des marionnettes abandonnées en plein jeu ; il y a du sang, beaucoup et il ne les voit même pas respirer.
« Put… putain… », dit-il en reculant, par instinct, terreur. Il lève une main, entrouvre la bouche, sent un frisson terrible glisser dans son dos – et s’arrête, soudain, quand il sent quelque chose dans son dos. Contre son dos.
Quelque chose… non. Quelqu’un.
« Donnie Don », murmure une voix lourde, qui roule comme le tonnerre. « Tu ne peux plus te cacher. »
« Qui… qui… », tente le dealer en voulant se retourner – mais il n’y arrivera pas. Une poigne terrible, puissante, s’empare de son crâne, et l’accompagne en le projetant vers l’avant ; vers la limousine.
Son visage s’écrase violemment sur le capot… trois fois, en dix secondes. Donnie aurait bien tenté de se défendre, mais la brutalité coupe sa concentration ; il est déjà trop tard.
Un coup bien placé vient s’écraser dans ses cotes, et en brise deux. Un balayage aux jambes le prive de tout appui, et le fait s’écrouler au sol ; au passage, son crâne s’ouvre sur une jante. Ça ne s’arrête pas là.
Ses cheveux, si longs et bien coiffés, sont récupérés, tirés – et Donnie Don est violemment projeté, en arrière. Son corps s’élève et retombe, tel une marionnette, lui aussi ; la douleur est totale. Mais pas suffisante, hélas, pour l’inconscience qu’il appelle de ses vœux.
« Qu… qu’est… pour… pourq… », essaye-t-il de murmurer, incapable de comprendre que le peu de forces qui lui reste doit être orienté vers la guérison. Mais cela fait cesser les coups – pour l’instant.
« Parce que tu vends du poison, qui anéantit tes victimes, qui en font encore d’autres », réplique une forme qui vient se positionner juste au-dessus de lui. « Ceci est un avertissement – non pas pour toi, mais pour tes congénères. Un signal. Une promesse. », continue ce que Donnie parvient à identifier comme un homme… un homme étrange, vêtu d’un costume de luxe, digne d’un businessman, mais au visage – au visage qu’il ne voit pas ; qu’il ne reconnait pas. Un visage masqué.
« M… mais… », murmure le dealer, dont le système nerveux cède, et ploie sous l’immense douleur ; qui devient immense, totale. Au point qu’il ne peut même plus hurler.
« Je veille sur cette ville. Je détruis les monstres, et ceux qui les créent. Et je n’ai aucune pitié. », répond l’autre en levant un poing fermé, prêt à s’abattre.
« M… qu… qui… », bégaye Donnie, qui sent sa vessie céder sous lui ; plus de peur que de douleur.
« Je suis celui qui agit, parce que d’autres n’osent pas. Mon masque ne me cache pas – il révèle les horreurs de vos âmes ! »
Le poing s’abat, alors – et tout s’assombrit, pour Donnie Don. Définitivement.

Mask par Dino Dinby.
« T’as vu la une du Times ? », lance Patricia dès que Josh rentre dans la chambre, et dépose sa veste sur le porte-manteau.
« Nan, c’est quoi ? », réplique-t-il en levant une main pour la saluer, en se dirigeant directement vers le lit. Il pose un baiser rapide sur les cheveux du jeune homme qui y est allongé. Son corps est relié à une dizaine de machines autour de lui. Ses yeux sont fixes.
« Une bande et un dealer ont été passés à tabac, hier soir. Salement », répond-elle en repliant le journal qui a fait sa une sur l’officier Jordan, qui a retrouvé les corps roués de coups. Elle dépose les quelques pages sur la table amovible, qui peut glisser sur le lit en cas de repas ; hélas, cela fait bien longtemps que le jeune homme n’en prend plus.
« Tu… tu penses que ce sont les mêmes ? Ceux qui lui ont fait ça ? », glisse Josh à voix basse, alors que Patricia se lève et vient le rejoindre, de l’autre côté du lit.
« Non, tu le sais bien », soupire-t-elle en caressant lentement le bras abominablement figé du patient. « Sa… ceux… enfin, ils ont été arrêtés il y a six mois, et ils sont en prison. Ils… ceux d’hier étaient des paumés, drogués. Ceux… ceux qui ont fait ça, l’ont fait parce qu’il… parce qu’ils ne le supportaient pas, lui. Mais il y en a d’autres. Il y en a d’autres, qui font ce qu… ce qu’ils lui ont fait », souffle-t-elle en tenant de stopper ses larmes.
« Est-ce que… est-ce que c’est… enfin… », essaye Josh, en concentrant son regard sur le jeune homme – ce visage qu’il connaît si bien, qu’il a appris par cœur et qui a fait sa joie pendant dix-huit ans ; puis son malheur, ces six derniers mois. Ce visage qu’il a vu grandir, changer, mûrir, déformé par des émotions… et des grimaces, devant lesquelles il fondait.
Le visage de son fils… figé dans cet état, dans ce masque d’immobilité maintenant.
« Oui », souffle Patricia, « c’est la même méthode. Quelqu’un les retrouve. Quelqu’un les agresse. Quelqu’un remonte jusqu’au dealer. »
« Et… enfin, c’est comme… pour… », murmure Josh en régulant difficilement sa respiration.
« Oui », répond-elle, « oui, même description. Un homme, en vêtements de luxe, bien habillé, businessman – avec un masque, et a priori invincible. Un homme, qui retrouve les… enfin… qui les retrouve, puis remonte jusqu’à plus haut, et stoppe tout. La description est… est la même que… que celui qui a retrouvé ceux… enfin. Voilà. »
« Je vois », réplique Josh en baissant les yeux – et en levant la main, qui se glisse entre les doigts de Patricia.
Lentement, tous deux relèvent leurs regards, et partagent le même moment, le même sentiment ; la tristesse s’empare d’eux, mais ils tiennent… ils tiennent pour lui.
Six mois depuis que leur fils a été agressé lors d’un trajet-retour depuis l’Université. Six mois depuis qu’une bande s’est acharnée sur lui, parce qu’il portait un badge Black Lives Matter. Six mois depuis qu’il a été roué de coups par des extrémistes blancs, parce qu’il a commis l’erreur d’être Noir et de refuser le déterminisme social. Six mois depuis qu’il est sorti du coma, le lendemain de l’attaque – mais le corps entièrement brisé, l’esprit uniquement capable de communiquer via des mouvements des paupières.
Bart Weina est tétraplégique, dans un état pire que tout ; pire que la Mort.
Mais, et ses parents l’ignorent… son espoir n’a pas disparu – il est revenu.
Il est revenu, quelques semaines plus tôt, quand une femme étrange, Carol Smith, lui a rendu visite dans sa chambre d’hôpital. Il est revenu, quand elle lui a longuement parlé… de ce qui lui est arrivé, de l’attaque, de l’horreur, de ce qui a été fait – et de ce qui n’a pas été fait. Par ceux qui pouvaient, qui pouvaient l’aider en entendant ses cris mais en s’en détournant ; ou qui pouvaient empêcher tout ça à la source, par l’éducation ou la contestation.
Et n’ont rien fait.
Carol Smith a parlé, oui. De ceux qui peuvent mais ne font rien… de ceux qui voudraient faire, mais ne peuvent pas ; de l’injustice. De cette haine de l’injustice, qui brûle et hante depuis longtemps l’Humanité – et anime certains. Certains qui osent agir. Certains qui n’osent pas, même s’ils le pourraient. Et certains qui voudraient agir, mais ne le peuvent pas.
Elle a parlé, encore et encore. Puis a ouvert sa boîte, son paquet… pour donner un cadeau, à Bart ; un masque, glissé sur son visage.
Et tout a changé, alors.
Comme Tony Colby avant lui, comme bien d’autres avant lui, comme tous ceux approchés par l’étrange Carol Smith au fil des Âges, tout a changé pour Bart – il a changé.
Il ignore comment, mais le masque lui rend son corps, et l’améliore encore. La haine qu’il ressent, enfermé depuis des mois dans ce corps brisé, est un feu suffisant pour agir – agir comme il le veut ; comme il le faut.
Chaque soir, Carol Smith se glisse discrètement dans l’hôpital, et glisse le masque sur Bart ; qui se transforme, alors. Qui n’est plus seulement un jeune homme brisé et anéanti, brûlant de fureur – il devient plus, il est plus.
Par ce masque, Bart Weina change – il dispose du Pouvoir, offert à ceux qui brûlent d’agir mais ne le peuvent pas !
Il devient membre de ceux qui luttent, dans l’ombre et depuis des années, pour compenser l’inaction de ceux qui pourraient faire, mais n’osent pas !
Il devient le Rôdeur Sombre, le vengeur qui veille, l’ombre qui hante !
Il est la terreur des criminels – et des monstres qui les créent !
Il devient… Mask !
Woow ! À quand la suite ?
De celle-ci ? Ou d’autres travaux ?
De celle-ci. Mais comme je suis curieux, je veux bien les autres travaux
J’ai une nouvelle à corriger mais j’hésite à la proposer à un éditeur professionnel.
Pour celle-ci, il n’y a pas eu de suite car j’ai quitté l’éditeur amateur, qui n’a rien fait du personnage (mais a repris ma version de Black Terror, si tu connais).
Non. On le trouve où ?
Le personnage de base est libre de droits, et a été utilisé dans divers comics (Project Superpowers ou Terra Obscura, par exemple).
Black Terror - Wikipedia
L’éditeur Arcadia Graphic Studio a publié du contenu libre de droits « re-mastérisé » et traduit dans quelques numéros du magazine Forgotten Generation.
Arcadia Graphic Studio: Forgotten Generation 6 se présente : Black Terror !
J’ai rédigé le scénario d’une nouvelle version, féminine, de Black Terror qui a été publié dans le numéro 5.
Arcadia Graphic Studio: Forgotten Generation 5 se dévoile : Black Terror
Elle s’appelle Jean Roland et est la Black Terror III de cet univers.
Arcadia Graphic Studio: Arcadia Graphic Studio présente ses troupes : Black Terror III
J’ai aussi rédigé une nouvelle sur le Black Terror II de cet univers.
Arcadia Graphic Studio: Prose : Black Terror - Anaheim, USA - 16 juillet 1955 : L’enlèvement
Black Terror - Anaheim, USA - 16 juillet 1955 : L’enlèvement
« Lai… laissez-moi tranquille… », murmure l’homme. Apeuré et perdu, il tente de comprendre ce qu’il se passe, alors qu’il vient de se réveiller en sursaut ; sa vision est floue, tout est sombre. Mais un coup s’abat violemment sur son crâne, comme seule réponse, et vient impacter douloureusement sa joue. Il halète sous le choc – puis tressaille, en se rendant compte qu’il ne voit rien.
L’obscurité la plus complète ; les ténèbres, les plus absolues. La peur l’étreint… terrible, entêtante, étouffante, agressive.
La peur du noir. Un relent de l’enfance, de cette enfance à laquelle il tient tant et qu’il veut servir – mais dont il aurait bien évacué cet aspect.
« La ferme », réplique une voix lourde et brutale, appartenant à celui qui le soulève en glissant des mains massives sous ses aisselles. L’homme tente bien de bouger, de se défendre, mais il en est empêché par des cordes, qui enserrent poignets et chevilles ; il ne peut pas grand-chose.
« Mais… mais je… j’ai… », tente-t-il encore, en essayant de bouger pour se défaire de ce qu’il sent être un sac, sur son crâne. Son tissu sec et rêche se colle de plus en plus à sa peau. S’il pouvait réfléchir posément, il se dirait qu’il transpire, qu’il respire mal, et c’est pour cela que le sac se rapproche et l’étouffe ; mais il ne peut pas raisonner, là – il panique. « Laissez… LAISSEZ-MOI ! », hurle-t-il aussi fort que possible.
« Braillard, va. Ferme-la ! », répond son geôlier, à l’accent vulgaire et familier. Ce dernier le fait lourdement tomber, face contre terre. Le choc est rude, mais moins que celui provoqué par un coup violent dans ses reins, qui le fait geindre de douleur. Se recroquevillant sur lui-même, l’homme tente de faire face et de supporter la souffrance – mais sa respiration haletante, sa peur et le reste sont de trop ; il craque.
Des larmes envahissent ses yeux, des gloussements faibles s’échappent de ses lèvres, et son corps entier est secoué de spasmes. Il a peur, il a peur de mourir, d’être encore frappé, de finir ici – il a peur de ne pouvoir finir ce qu’il a commencé, de ne pouvoir ouvrir ce parc qui compte tant pour lui.
Il panique, il craque, et il a mal : cocktail infernal pour un preneur d’otage, déjà lassé par la situation.
« Put… mais qu’est-ce que tu fous ? », lance une autre voix, une deuxième voix ; un deuxième kidnappeur, a priori, apparemment surpris, mais qui dispose d’un ton plus distingué. « Tu devais l’endormir avec du chloroforme, bon sang ! »
« Ca a pas marché », réplique sobrement le premier enleveur. A ses côtés, l’homme lutte contre les larmes ; hors de question de les leur offrir. Il ne donne rien pour rien, jamais.
« Pas possible, crétin ! La dose était énorme ! Qu’est-ce que t’as fichu ? », lance, agressivement, le nouveau venu, dont la voix se rapproche.
« Ouais, ouais, ben… ben j’l’ai oublié, voilà ! », répond le premier, crispé.
« Mais… mais bon sang ! Ca devait être facile ! On l’enlève, on demande une prime, on le rend ! Il s’en serait même pas rendu compte ! T’as tout fait foirer ! », hurle le second, incapable de retenir sa frustration.
« Ouais, ben… ben on peut encore, et… euh… », tente le premier, qui réalise sa bourde.
« Mais non ! Il t’entend ! Il nous entend ! Il t’a peut-être vu ! Tout est fichu ! », conclue le second, en brassant de l’air comme s’il tournait encore et encore autour de la victime, qui tente quelques exercices de respiration ; ils ne fonctionnent pas.
« Ouais, ben… ben… », murmure le premier, dont la voix s’étouffe elle-même, comme un enfant pris la main dans le pot de confiture.
« Imbécile ! Le plan était parfait ! On allait… »
KLANG
« Bon sang, qu’est-ce que c’est ? », interroge le second, interrompu en pleine frustration.
« Ben… ben… », tente encore le premier, toujours troublé.
« Va voir ! Va voir, et rends-toi utile ! », ordonne le second – qui se fait obéir. Si l’homme enlevé ne peut toujours rien voir, il sent les mouvements autour de lui, dont les pas du kidnappeur qui claquent sur le sol ; ses sens reviennent, a priori. Ses sens, et son esprit.
Il commence à se souvenir, même si les images sont floues. Il était… chez lui. Non. A l’hôtel. Il était à l’hôtel. Il prenait un drink, dehors ; seul. Il méditait. Il rêvassait, en répétant encore son discours. Il préparait l’allocution du lendemain, la présentation, l’ouverture. Il vérifiait ses notes, pour que ça se passe au mieux. Surtout, il griffonnait en profitant du drink. Toujours le même dessin, bien sûr ; une vieille habitude. La souris ne le quittera jamais, et il aime la retrouver durant ses temps de solitude. Et… et…
Et il a été pris ; agressé. Une forme immense, massive, comme un boxeur – mais un des bas-fonds, une brute vicieuse et sadique. Des coups ont été portés, il a été projeté au sol, passé à tabac… puis, plus rien.
Plus rien, jusqu’à ce qu’il se réveille, et tente de s’échapper ; jusqu’ici.
Revenu à ses sens, plus conscient, plus intelligent aussi, l’homme décide de ne pas bouger, cette fois-ci ; de ne rien tenter. Il demeure sur son flanc, recroquevillé, en haletant moins difficilement qu’avant. Il tente d’en savoir plus, de comprendre ce qu’il se passe – mais il ne voit rien, toujours.
Tout juste peut-il compter sur ses autres sens. Le toucher, qui lui permet de sentir le béton, sous sa peau et ses mains ; du béton dur, brut, comme le sol d’un hangar. Une hypothèse qui se confirme, car son odorat lui révèle un relent fort, puissant, désagréable ; de l’essence, de l’essence pure. Et l’ouïe, bien sûr, l’ultime source d’informations, qui lui a permis d’entendre les échanges entre les deux kidnappeurs – et d’entendre la suite, maintenant.
« Mais qu’est-ce que… »
KAPOW
Un choc, brutal, vient interrompre le second kidnappeur, le truand. Mais, alors que la victime peut entendre un autre bruit, celui d’un impact contre ce qui pourrait être un mur, puis des objets qui tombent, il comprend – il comprend que ce premier choc est différent des autres ; plus sourd, plus lourd, plus… familier.
C’est un coup ; ce premier choc fut un coup. Porté contre le truand.
« Hey… HEY ! », hurle l’homme enlevé, en bandant ses muscles et en s’emparant d’une bouffée de courage. « HEY, AIDEZ-MOI ! »
« La… la ferme ! », réplique une voix qu’il connaît : celle de la brute qui l’a agressé lors du drink. Il frissonne en se remémorant les coups portés.
« Pas très poli, ça », lâche soudain une autre voix – une troisième, plus forte, plus intense, plus sûre ; plus jeune, aussi.
Mais, alors que la victime se préparait à subir de nouveaux coups, ou à entendre de nouveau quelques répliques… plus rien. Plus aucun bruit.
Alors qu’il demeure dans l’obscurité, que la peur du noir demeure, il pourrait paniquer – s’il ne sentait pas du mouvement, autour de lui. Il a l’impression de nombreuses bourrasques, de nombreux déplacements autour de lui… et, soudain, les bruits reviennent ; et confirment ce qu’il pensait.
BIM
KAPOW
ZLAM
Et bien d’autres, encore, même si son ouïe semble dépassée. Il halète encore, frissonne sous ce masque, mais tente de se redresser – de se relever. Profiter de l’événement, fuir.
Cependant, alors qu’il semble sur le point de réussir, de se remettre, il sent… quelque chose ; sur son épaule. Une présence. Une poigne. Une main.
Amie ou ennemie ?
Il n’a guère le temps de se poser la question – car son visage est, soudain, agressé d’une manière abominablement brutale ; mais merveilleusement réjouissante.
La lumière.
Son masque est arraché, ses yeux échappent à l’obscurité, et ses paupières battent pendant plusieurs instants, sous le choc ; mais, si douleur il y a, elle est agréable – et il en vient à soupirer, de soulagement, en entendant la fameuse troisième voix.
« C’est terminé, Monsieur », glisse celui qu’il a pensé être l’agresseur du truand et de la brute ; son sauveur. Sa vision retrouvée le lui confirme, même s’il ne tarde pas à en être stupéfait.
« Mais… mais vous êtes… », murmure l’homme enlevé en voyant mieux, entre le flou et les effets trop clairs. Il découvre la silhouette de celui qui l’aide à se relever et défait ses liens, en des gestes bien simples et rapides.
« Je suis ici pour vous aider, Monsieur », répond l’autre doucement, en formant un sourire simple. Lentement, la victime peut le détailler, et confirmer son sentiment ; c’est bien lui.
Il a toujours ce costume d’un noir profond, qu’on retrouve tant sur son masque, un loup, et la combinaison, mais aussi sur les bottes, les gants et le caleçon long, même si les rebords de ceux-ci sont soulignés par un léger liseré jaune. Une ceinture et un tour de cou dorés prolongent l’allure, tandis qu’une cape bleue en extérieur, rouge en intérieur complète la vision qui s’offre à lui. Avec, évidemment, ce symbole blanc sur le torse, une tête de mort surmontant deux os en croix.
C’est bien lui, oui : Black Terror.
Héros de New York et de la Guerre depuis quatorze ans déjà, depuis les premières unes de 1941. Capable de soulever des tanks, de battre les sprinteurs à la course, de résister aux balles ; le top de la condition physique humaine, et au-delà. Mais sa présence ici choque l’homme enlevé, elle le heurte, le choque, parce que…
« Vous… vous êtes mort ! », ne peut-il s’empêcher de glisser, alors qu’il réussit à tenir droit sur ses jambes, et n’en est pas peu fier.
« Ne croyez jamais les journaux, Monsieur », répond avec un sourire presque amusé son sauveur. « Ceux-ci le pensaient aussi, et voyez où ils en sont. »
Voyant le héros désigné une zone avec son index, l’homme se retourne – et découvre ce dont il parle ; ceux dont il parle.
Un homme, fin et aux vêtements distingués, inconscient au milieu de pièces de moteur, dérangées sur des étagères écroulées – le truand. Un autre, patibulaire et mauvais, allongé au sol, le visage en sang – la brute.
« Ils… ils… », commence-t-il en se crispant en les découvrant enfin de visu.
« Ils vous ont enlevé, en effet, et se préparaient à demander une rançon à votre frère Roy, Monsieur. J’ai eu vent de leur plan, et suis intervenu à temps », répond Black Terror avec une voix égale, serein.
« Mais… comment… », interroge-t-il en bégayant.
« J’ai mes sources, Monsieur. Ce n’est pas à vous que je vais rappeler qu’un magicien doit conserver le secret de ses tours, n’est-ce pas ? Mais je crois que le temps du départ est venu, Monsieur », avance le héros en levant ses yeux. L’homme fait de même, et découvre qu’ils sont bien dans un hangar… d’hélicoptères, en fait. Et le toit est ouvert.
« Le… le départ ? », interroge-t-il en n’étant pas en état de comprendre.
« Vous avez été enlevé en fin de soirée, Monsieur, et le jour va se lever. Vous êtes attendu pour une certaine inauguration – et je ne saurais accepter que les enfants soient déçus par l’événement », réplique Black Terror en glissant un bras musclé sous les aisselles de l’enlevé.
Celui-ci ne ressent pas, cette fois-ci, la moindre crainte. Le soulagement demeure… même s’il s’efface rapidement, quand le héros utilise ses pouvoirs pour les ramener à bon port !
Il le dépose en quelques instants à son hôtel, vers ses proches qui l’attendaient. Bien entendu, Black Terror ne reste pas, et n’est plus vu dès qu’il a laissé l’homme à ses amis et ses assistants. Il a beau le chercher, demander à ce qu’on le retrouve… rien n’y fait.
Black Terror a disparu – et le programme de la journée reprend, malgré les perturbations.
Comme le héros l’a dit, une inauguration est annoncée, et les enfants en attendent beaucoup. Même enlevé, même maltraité, il refuse de les décevoir, ou de changer ce fameux programme.
Aujourd’hui, en ce 17 juillet 1955, il a été sauvé par Black Terror alors qu’on le croyait disparu – et il saura s’en souvenir ! Aujourd’hui, il va réaliser son rêve, transformer sa vie, ouvrir son parc et offrir un peu de joie aux enfants.
Et ce ne sont définitivement pas deux idiots avides d’argent, incapables de s’organiser, qui vont l’en empêcher… ou alors, il ne s’appelle plus Walter Elias Disney !
Plus tard.
Plus tard, à Anaheim, le parc Disneyland est inauguré par Walt Disney, qui réalise ainsi un de ses souhaits, et enclenche une nouvelle étape dans sa quête de divertissement. L’émission Dateline : Disneyland est un succès extraordinaire sur la chaîne ABC, et l’ouverture au public le lendemain est une réussite totale.
Tous les invités sont repartis ravis et enchantés de l’événement, mais aussi de l’émotion dégagée par Walt lui-même, qui a semblé encore plus humain, encore plus avide de profiter de l’instant et de faire plaisir aux autres.
Et, parmi ces invités, un jeune homme s’efface en esquissant un léger sourire ; mission accomplie, pense Tim Roland. Ce dernier fut jadis l’assistant du premier Black Terror et entend désormais prendre sa place, laissée hélas vacante par sa disparition.
Que tremblent les criminels, que les victimes se reprennent, que les faibles se réjouissent : la vague Noire de la Terreur, qui s’oppose au Mal, ne s’est pas arrêtée… elle a pris une pause, mais repart, et ne s’arrêtera pas avant d’avoir redressé tous les torts !
Mais c’est super ! J’ai adoré lire. Bien écrit avec une simplicité incroyable. Tu en as d’autres ?
Merci, ça me touche beaucoup que tu me lises et que tu apprécies, notamment cette simplicité que je recherche beaucoup.
Je vais checker ce que j’ai d’autres en stock. Merci encore.
Avec plaisir ! Il est normal pour moi de féliciter naturellement la personne qui a écrit un texte (poème, nouvelle, roman, …) que j’apprécie beaucoup. La simplicité n’est pas donnée à tout le monde ! J’imagine que tu as passé ton temps à reformuler pour trouver exactement ce que tu voulais écrire sans entrer dans la complexité. C’est très fort, je trouve.
Et impatient de lire ce que tu as en stock
Merci. As-tu un genre de prédilection ?
(je suis tout rouge, là !)
je lis de tout. Étant de nature curieuse, je n’ai pas de préférence sur le genre ou le style.
Merci. Steampunk aussi ?
Oui bien sûr !
@X-Force je dois récupérer des fichiers sur un disque dur externe mais j’ai trouvé deux nouvelles anciennes qui me semblent correctes.
Contrôles
20/05/2012
06h00.
Le réveil sonne, mais Warren est déjà debout. Une grimace de douleur suit les deux chocs électriques supposés l’éveiller « en douceur » : comme chaque matin, il se dépêche de tapoter deux fois sur son oreillette pour que ça s’arrête. Il déteste ces machins, mais les responsables ont décidé de les imposer à leurs Contrôleurs, allant même jusqu’à fixer un horaire particulier pour le début de chaque journée.
Lui qui ne peut dormir au-delà de 05h00 a essayé de plaider sa cause pour s’éviter ces douleurs matinales – sans résultat. Les responsables refusent les exceptions et les éléments rebelles dans leurs troupes ; il sait avoir été espionné suite à cette simple demande.
Depuis, il fait profil bas et accepte les autres obligations de tout bon Contrôleur, et en réalité de tout bon citoyen du Consulat Planétaire : le MoNETcle, la lunette ronde greffée sur son œil droit lui permettant d’obtenir immédiatement les informations et les ordres de ses responsables ; le cathéter L, pour Liquides, dans le creux de son coude gauche ; le cathéter N, pour Nourriture, dans le creux de son coude droit ; et surtout l’élément indispensable à toute vie sur Terre depuis trois générations : le cathéter E sur la tempe gauche.
Warren ne l’utilise jamais – officiellement. Ses responsables sont persuadés qu’il est un membre des conservateurs, ces groupes de moins en moins nombreux de citoyens refusant les « évolutions » et préférant encore tout ressentir naturellement, sans aide mécanique et sans Contrôleurs.
Tous ont pourtant ce cathéter E, car tous ont eu leurs greffes à la naissance ; ils ont simplement décidé à l’âge adulte de ne plus l’utiliser.
Malheureusement, ces conservateurs sont destinés à disparaître, les jeunes générations ne supportant guère l’idée de se passer des cathéters E depuis les dernières enquêtes d’opinion sur MoNETcle. Warren sait qu’un jour lui et les autres Contrôleurs devront chasser les derniers « rebelles » et les anéantir, car les responsables en auront assez de ces petits imbéciles. Ce jour n’est pas encore venu, mais il n’est de toute façon pas l’un d’entre eux.
Debout face à sa fenêtre d’un mètre carré, un luxe pour un appartement du six-cent-douzième étage, il fixe d’un regard morne la ville devant lui, l’amoncellement d’immeubles reliés les uns aux autres par des ponts métalliques et des plateformes de circulation.
Il n’a plus vu la terre ferme depuis deux décennies, et ses plus jeunes collègues n’y sont même jamais allés ; ça ne les dérange pas. Tant qu’ils ont leurs cathéters E, ils ont un but dans l’existence et se défoncent pour l’obtenir.
Warren n’est plus comme ça : il ne rejette pas publiquement les cathéters, il n’est pas un conservateur. C’est juste qu’il n’en consomme pas – officiellement.
Dans son appartement de dix mètres carrés, dans son espace de solitude, dans l’angle mort où les caméras ne peuvent le voir, il s’injecte chaque semaine ce dont il a besoin pour tenir – et ne pas oublier. Ne pas les oublier.
07h42.
Le chef hurle les derniers avertissements alors que ses troupes se dispersent déjà, une fois les ordres de mission reçus. Le « Con-Con » comme ils l’appellent dans son dos, le Contrôleur des Contrôleurs, essaye d’asseoir son autorité en les menaçant, mais personne n’y fait attention ; malheureusement pour lui, il n’y a pas encore de cathéter à autorité.
Warren attend, dans un coin, que ses jeunes collègues finissent de se préparer – lui l’est déjà, bien sûr. Vêtu de sa combinaison noire habituelle, avec les coques de protection aux genoux et coudes, à la nuque et aux différents points sensibles du corps, il en profite pour vérifier que le MoNETcle et l’oreillette fonctionnent bien.
Le poids de son arme, semblable aux révolvers des Temps Anciens, est lourd sur son flanc droit, comme l’immense sac de doses E dans son dos. Chaque jour, il a l’impression que le chargement est plus pesant, même si les rapports des responsables indiquent qu’il n’en est rien. Joie de la propagande.
Ses jeunes camarades fixent leurs casques, vérifiant plusieurs fois que les attaches se mêlent bien à la combinaison pour les protéger ; ils abaissent même les grilles de protection sur le nez et la bouche, ce qu’il ne fait quasiment jamais.
Warren hausse les épaules en les regardant, tellement terrifiés à l’idée de faire leur boulot. Ils donnent l’impression de partir à la guerre, alors que les Contrôleurs sont reconnus et craints par tous les citoyens. Lui n’abaisse quasiment jamais les grilles, et n’en a jamais eu vraiment besoin.
Il se sent vieux en observant ces gamins, qui n’ont rien connu et se shootent aux cathéters E en espérant avoir des « fix », même si les responsables l’interdisent. Il se sent vieux en voyant ces types qui n’ont même pas vingt ans et qui se croient au-dessus de tout, alors qu’il a vu à l’extérieur du Centre de Contrôle de l’Arrondissement des gosses du même âge qui mendient pour quelques doses E.
Warren sait déjà qu’aucun de ses collègues ne leur a jeté un coup d’œil, qu’aucun n’a fait attention à ceux qui auraient pu être à leurs places si le hasard génétique avait été différent.
Oui, Warren se sent vieux : il sait déjà que l’essentiel de sa carrière est derrière lui et qu’il est devenu trop cynique pour tout ça. A vingt-huit ans, il est à une paire d’années de la retraite ; il ne sait même pas s’il tiendra jusque-là.
09h34.
L’enfant pleure alors que sa mère est allongée sur le sol, inconsciente. Depuis dix minutes, déjà, le bébé de quelques mois à peine, dans son landau-volant, essaye d’attirer l’attention et l’aide des citoyens qui passent à ses côtés – sans succès.
Les badauds marchent sans réagir, plongés dans leurs séries, livres, jeux ou journaux préférés qui passent sur leurs MoNETcles ; certains s’injectent même quelques doses de L, N ou E sans penser pouvoir faire quelque chose pour lui. Warren a malheureusement l’habitude de ce genre de scène, mais ça le choque maintenant. Les doses E n’ont pas que du positif.
Au XXIIIe siècle, la Terre est entièrement recouverte de villes : des immeubles géants, monstrueux, ont remplacé les espaces verts, qu’on ne peut plus découvrir que dans des reconstructions 3D de Paradise and Associates, l’entreprise reine dans la réalité virtuelle écologique. L’Humanité est riche de plusieurs dizaines de milliards d’âmes, empilées les unes sur les autres dans des micros appartements à l’intérieur de tours inhumaines. La terre ferme n’est plus qu’un cloaque pollué où survivent, selon les rumeurs, quelques mutants terrifiants.
L’agriculture est quasiment impossible. Les prisons ont été transformées en zones d’habitation depuis très longtemps. Les citoyens naissent et vivent dans les mêmes espaces, et accèdent à leurs emplois par héritage : l’ascenseur social est bloqué et ne peut plus fonctionner avec une telle masse de population.
Depuis trois générations, le Consulat a décidé de transformer la répression et la valorisation sociale en utilisant une avancée technologique basée sur les besoins vitaux pour prendre une décision drastique – et changer tous les rapports sociaux.
Grâce à l’invention d’un système complexe où des doses de liquides et de nourritures peuvent être injectées en quelques secondes grâce aux cathéters, ce qui a permis le remplacement des champs agricoles par des usines de production rapide de rations alimentaires, les Consuls ont étendu la technique au bien le plus précieux de chacun : les émotions.
Comment récompenser les plus méritants dans un monde où les avancées sociales sont devenues impossibles vu la masse des citoyens et les corruptions en augmentation ? Comment sanctionner ceux qui le méritent quand la planète n’a même plus de place pour de simples logements ?
En créant des doses E… des doses d’émotions.
Le Consulat a mis en place tout un système de redistribution des « bons points » et « mauvais points » : ceux qui agissent de façon positive ont droit à des surplus de Joie, de Bonheur, de Plaisir suite aux rapports des MoNETcles et de leurs supérieurs hiérarchiques ; ceux qui agissent contrairement aux lois en vigueur sont poursuivis pour recevoir des surplus de Peur, Tristesse, Douleur, Déprime, etc.
Et ce sont les Contrôleurs qui sont chargés d’injecter à chacun ce qu’il mérite au moyen de leurs armes et de leurs réservoirs de doses E.
Le monde entier est désormais concentré sur la recherche absolue de doses E supplémentaires, de « fix » d’émotions pour ressentir plus encore que ce que le corps peut apporter.
Cela a eu hélas des conséquences violentes au niveau criminel : désormais, le meurtre a été remplacé comme acte le plus effroyable et inhumain par… le vol d’émotions. Des scientifiques ont ainsi mis en place des systèmes permettant d’aspirer les différents sentiments d’autrui : l’Aspirateur E.
Les victimes s’en sortent avec un coma de plusieurs jours et d’énormes difficultés à retourner dans la société, incapables de ressentir « naturellement » quelque chose pendant un temps indéfini. Généralement, elles deviennent encore plus droguées aux doses E et finissent par aspirer elles-mêmes chez autrui ce qu’on leur a pris.
Accroupit devant l’enfant terrifié et sa mère inconsciente, Warren sait déjà qu’elle subira le même sort et que ses chances de retrouver une vie normale sont minuscules.
Un monstre vient de détruire deux vies pour quelques secondes d’extra émotion. Le poids de son arme et des doses dans son dos s’alourdit encore.
11h47.
Le vieillard hurle en s’écroulant, abattu par une dose de Terreur ; les trois citoyens autour de lui l’accompagnent quelques secondes après. C’est ce qui arrive quand un Contrôleur loupe son tir – quand un gamin joue au cowboy.
Warren roule sur le sol en entendant les cris de terreur des autres badauds, qui n’ont pas besoin cette fois-ci d’une dose E pour connaître la peur ; apparemment, quelques pervers s’injectent de tels produits dans des soirées privées pour en « profiter ». Là, ils sont servis avec une intervention des Contrôleurs qui tourne mal, et qu’il ne voit pas bien se terminer.
Leur cible s’enfuit devant Warren et ses trois camarades, qui essayent de comprendre ce qu’il vient de se passer. L’adversaire, un vieillard de trente-sept ans, slalome entre les les citoyens, poussant certains d’entre eux pour s’approcher d’un pont censé faire le lien entre deux immeubles ; plus loin, il espère attraper une plateforme de transport collectif, et ainsi échapper à sa juste sanction.
Tandis que deux Contrôleurs tentent d’injecter de la Joie et du Plaisir aux victimes, Warren ordonne par signes au responsable de cette catastrophe de se mettre en retrait et de les couvrir ; il en a assez fait pour le moment.
Serrant fort la crosse de son arme, Warren essaye de suivre le rythme de la cible. Dans son dos, il sent ses doses chargées et prêtes à l’emploi : le Consulat permet évidemment aux Contrôleurs de punir ceux qui le méritent avec un tir direct d’émotions extrêmes sur l’ennemi. Evidemment, une telle utilisation n’est prescrite qu’en cas d’extrême urgence : la visée est peu fiable et amène souvent des erreurs, des victimes – comme aujourd’hui.
L’adversaire est désormais sur le pont, affolé et terrifié. Warren et les siens ont été informés qu’il a voulu profiter des travaux de pointe d’un de ses collègues et ainsi gagner quelques doses E supplémentaires ; malheureusement, il a été découvert et a refusé d’assumer sa faute. Il a eu un comportement violent vis-à-vis de ses supérieurs et a tenté de s’enfuir – enfin, il est en bonne voie pour s’enfuir.
Arrivant lui-même au début de la passerelle, Warren fixe de loin l’ennemi, qui est déjà sur la plateforme autour de l’autre immeuble. Plusieurs citoyens apeurés sont couchés sur le sol ou collés contre les grilles du pont, attendant, espérant une solution rapide et efficace à cette crise. Il ne sait pas comment leur offrir ce qu’ils veulent.
Les secondes s’écoulent, terribles, tandis que Warren sent les regards inquiets de ses collègues sur lui. Par réflexe, il règle son arme sur une dose spéciale, vise, suit la trajectoire de l’ennemi et tire finalement, alors que ce dernier n’est plus qu’à quelques mètres de son objectif.
Autour de l’ennemi, une demi-douzaine de citoyens attend le transport, et tous s’écroulent, rongés par une crise d’Angoisse et de profonde Dépression ; la cible fait de même.
Alors que Warren range son arme dans son fourreau et que ses collègues foncent vers les victimes pour s’occuper d’elles, il voit déjà le mail de réprobation du « Con-Con » apparaître dans son MoNETcle. Il n’est pas habitué à ce genre d’alertes, et il sait que ça va attirer l’attention sur sa propre situation.
Ça ne l’arrange pas – ça ne l’arrange pas du tout.
Ce sera plus difficile de voler quelques doses E spécifiques pour sa propre consommation comme ça. Ce sera plus difficile de s’injecter des « fix » de Dépression, mais il n’a plus le choix : c’est la seule chose qui lui permet de ne pas aller un peu mieux, de ne pas continuer à vivre sans sa femme et son fils, de ne pas peu à peu oublier leurs corps, leurs visages, leurs rires – et il ne peut pas se permettre d’en arriver. Il leur doit bien ça.
14h56.
Le technicien en chef siffle et frappe dans ses mains ; la dizaine de personnes qui compose l’assistance réunie dans la chaîne de production le suit rapidement. Warren n’est pas à l’aise mais sourit, derrière son casque et son immense combinaison, en saluant la foule en compagnie de l’heureux élu.
Avec son collègue, Warren est venu pour récompenser un citoyen technicien qui a brillé sur son poste de travail. En explosant les scores de production, en conservant même le soin et la qualité des produits, il fait la fierté de son immeuble et de son entreprise. Après vérification de ses résultats, pour éviter le drame de la matinée, les Contrôleurs sont venus pour lui injecter plusieurs doses E positives et le mettre en avant devant ses collègues.
De la propagande, la moitié du boulot en réalité.
Jadis, Warren trouvait dans ces activités un certain réconfort : ça lui permettait d’avoir une action positive pour les citoyens, de faire quelque chose de « bon », de « bien » ; maintenant, il sait qu’il n’en est rien. Tout ça n’est que de la poudre aux yeux, un show destiné à tenir la population par le bâton et la carotte – plus la carotte, ici.
Les doses E ne sont que des leurres, des « fix » pour tenir une société rongée par la surpopulation et le manque d’avenir. Les Contrôleurs ne sont que les marionnettes du Consulat, encore plus espionnés et traqués que ceux qu’ils doivent surveiller.
Warren y a cru, mais a perdu la foi quand sa femme n’a pas supporté d’échouer dans sa tentative d’obtenir des doses E supplémentaires en travaillant plus et mieux. Alors qu’elle s’était donnée plus que jamais dans son entreprise, elle a été dépassée sur le fil par une collègue. Anéantie par cette défaite, persuadée de ne jamais pouvoir obtenir de nouvelles doses vu le travail qu’elle avait abattu pour aucun résultat, elle a préféré s’abandonner à une dépression bien naturelle et se suicider avec leur jeune enfant.
En quelques jours à peine, et sans qu’il puisse réellement voir quelque chose, elle s’est précipitée dans une spirale négative où elle n’a vu aucune sortie – hormis l’abandon définitif, avec son fils, duquel elle n’a pas accepté d’être séparée.
Tout ça parce qu’il n’a pas été là pour la rassurer et la consoler, lui qui a été trop pris dans son « fabuleux » et « indispensable » travail de Contrôleur. Il en est venu à oublier ceux qu’il n’aurait plus jamais.
Alors que quelques flashes de MoNETcle-photo crépitent autour d’eux, Warren sent qu’il aura besoin de doses vraiment plus fortes ce soir. La perte des siens remonte à des années, et il sent régulièrement que les propagandes du Consulat, que les Alertes Bonheurs et tous les autres mails qu’il reçoit ont un impact : son moral remonte par moments, ses souvenirs d’eux sont un peu moins précis. Il lui arrive à nouveau de sourire, de faire moins de cauchemars.
Il ne peut pas l’accepter.
Tandis qu’il injecte dans le cathéter E de l’heureux élu une dizaine de doses de Bonheur, de Plaisir, de Joie et d’autres sentiments positifs, il prépare déjà mentalement son « fix » du soir. Pour être mal. Pour être déprimé. Pour penser à ce qui manque dans sa vie.
Pour penser à ceux qu’il a perdus et qu’il ne doit plus jamais oublier.
17h32.
L’infirmière murmure quelques conseils de dernière minute avant de disparaître derrière une porte coulissante. Warren se retrouve seul dans la pièce de huit mètres carrés, perdue à l’intérieur de la Tour Hôpital du secteur. Il a l’habitude.
Chaque semaine, il vient se recueillir auprès d’un comateux, victime deux ans plus tôt d’un Aspirateur E particulièrement violent. L’adolescent, dix-sept ans à peine, n’a montré aucun signe d’évolution positive et semble condamné, selon les médecins, à demeurer pendant des années encore dans cet état catatonique – et Warren y compte bien.
Les infirmières et docteurs sont persuadés qu’il vient ici car il se sent responsable de l’état du garçon. Il les a laissés imaginer une histoire épique où un Contrôleur courageux a tenté de stopper un vil voleur d’émotions de s’en prendre à la victime mais a malheureusement échoué, et vient depuis chaque semaine en espérant voir l’intéressé s’éveiller enfin et le remercier. La réalité est bien différente.
Warren ne sait rien de ce type, ni de son histoire. En intervention à cet étage quelques mois plus tôt, pour donner quelques doses E positives à un employé zélé et apprécié, il a repéré cette chambre silencieuse et abandonnée, et surtout ce patient.
Celui-ci se remet trop lentement pour que les appareils, les capteurs E rudimentaires de la Tour Hôpital, puissent détecter une évolution positive importante, mais sa combinaison de Contrôleur est plus avancée – et lui permet depuis deux ans de voir que l’adolescent retrouve peu à peu des émotions. Qu’il vole chaque fois qu’il vient le voir.
Evidemment, Warren ne cible que les émotions négatives : Dépression, Tristesse, Douleur, etc. En un sens, il lui rend service en le débarrassant des « mauvais » sentiments, mais il sait très bien qu’en aspirant avec son arme de Contrôleur ces émotions et en les stockant dans des doses vides qu’il garde pour lui, il empêche un réveil rapide du comateux.
Il se sent coupable, oui. Il se déteste d’agir ainsi, de devenir aussi monstrueux. Il se sent aussi dégueulasse que les voleurs d’émotions, que les drogués qu’il croise dans la rue et qu’il poursuit. Il se dégoûte.
Et c’est bien ça qu’il recherche.
19h22.
La plateforme est silencieuse. Les citoyens sont rentrés dans leurs appartements et attendent, agglutinés devant leurs télévisions, les résultats des loteries et des tirages au sort censés leur apporter des doses E supplémentaires. S’injectant des doses N et L selon leurs besoins, sans même regarder, ils sont entièrement passifs devant la propagande consulaire.
Warren, lui, sort enfin du Centre de Contrôle de l’Arrondissement. Il a dû rédiger un long rapport à envoyer avec son MoNETcle sur l’incident de la matinée ; il a essayé de se dédouaner au maximum, mais sans trop charger non plus ses collègues. Les responsables n’aiment ni les erreurs, ni les balances.
Alors que la nuit tombe enfin sur les immeubles immensément hauts et terribles de la ville, le Contrôleur fait claquer ses bottes sur le pont qui doit le ramener chez lui. Comme d’habitude, il voit quelques silhouettes, quelques ombres qui s’agitent à peine sur les plateformes et devant les entrées, espérant quelques doses, quémandant un peu de pitié ; jamais personne ne leur répond.
Lui-même n’y faisait pas attention avant que sa vie perde tout son sens – lui-même avait été obsédé uniquement par sa réussite et ses doses E.
Maintenant, il sait, il voit ces masses informes qui espèrent ce qui n’arrivera jamais. C’est en perdant tout qu’il a commencé à tout voir, mais ce n’est pas pour ça qu’il y a fait quelque chose. Jusqu’à aujourd’hui.
Sans savoir pourquoi, Warren s’arrête devant l’une d’entre elles – un jeune garçon. De dix ans, à peine. Accroupi au milieu du pont, les épaules voutées, recouvertes d’un drap délavé par le soleil. Les cheveux sales et longs, rongés par la crasse et le manque d’hygiène. La peau émaillée de blessures, de cicatrices et d’infections. Le regard fixé devant lui, vaincu et abattu.
Un zombie, un drogué – un monstre. En manque de dose, sûrement depuis que ses parents l’ont abandonné après lui en avoir trop donné pour éviter les pleurs d’un bambin certainement difficile ; un phénomène malheureusement courant, et totalement occulté par le Consulat.
Dix ans. L’âge que son propre fils aurait si sa femme n’avait pas décidé d’en finir – s’il ne l’avait pas abandonné. S’il ne les avait pas oubliés.
Warren sent dans ses poches le poids des doses E négatives, qu’il garde pour lui, mais surtout celui des doses positives, dans son dos. Le « Con-Con » lui permet toujours de garder son matériel sur lui, pour intervenir dans son immeuble en cas de souci. Un privilège issu d’une carrière quasiment exemplaire.
Oui, le poids de ces doses E positives se fait plus lourd, et la tentation de les lui donner, de réparer sa faute devient de plus en plus forte. Ce serait comme d’aider finalement le petit, de s’occuper finalement de lui, même si ce n’était pas le bon. Ce serait faire une bonne action, enfin, et ne plus se laisser aller à ses seuls besoins, à ses seules psychoses.
Ce serait agir contre ces horreurs, d’avoir un impact positif, enfin. D’être utile. D’être vraiment « bon ».
Ce serait simple, facile – et efficace. C’est ce que le gosse veut. C’est ce que tout le monde veut.
C’est ce qui tue tout le monde.
Warren s’accroupit et oublie le poids des doses E, négatives ou positives. Il sourit, pour la première fois depuis des années, et parle à voix basse, comme un murmure.
Avec des mots simples, il propose aussi quelque chose de simple. Avec un geste simple, il propose une main, une aide.
Et, après quelques secondes, l’enfant comprend – et l’enfant accepte, aussi fou que cela paraisse.
Pas de doses E ce soir, ni pour l’un, ni pour l’autre. Pas de « fix », pas de télévision, pas de propagande – pas d’émotion artificielle.
Juste un homme abandonné qui offre à un enfant abandonné un abri, un coin chaud et la possibilité de parler, de partager – et de s’entraider.
Juste un homme qui essaye d’offrir et de s’offrir de vraies émotions en aidant un enfant abandonné qui pourrait être le sien : la Joie, le Plaisir, le Bonheur seront plus durs à obtenir comme ça, seront plus difficiles à garder et à retrouver. Ça demandera des efforts, des déceptions, des manques, mais… s’il y arrive, s’ils y arrivent, ce sera bon. Ce sera naturel. Ce sera vrai.
Et ce sera bien plus précieux que toutes les doses E du monde.
La loi du marché
28/10/2013
Les sons reviennent en premier.
Avant la vue, avant l’odorat, avant les sensations physiques, les sons l’accueillent à la sortie de son trop long sommeil. Des bruits de métaux qui s’entrechoquent, de pas lourds, des cris de surprise et des râles de douleur ; quelque chose se passe autour de lui, sa conscience s’éveille.
Des formes floues apparaissent devant ses yeux. Vaguement humanoïdes, massives, elles avancent lentement dans un caveau sombre et… malodorant. Des effluves de déchets, de pisse et de merde agressent son odorat ; une grimace se forme sur son visage, provoquant une douleur dont il n’avait plus l’habitude.
Il ne sent ni ses bras, ni ses jambes. Chaque seconde qui passe augmente la douleur qui martèle son crâne, et son esprit est envahi par des messages sensitifs contraires.
Il a mal – mais il sent soudain une pression sur ce qui doit être son épaule. Son ouïe encore balbutiante hésite, mais lui permet de comprendre les plus beaux mots de son existence.
« Hum. Le niveau est bon. Tu es libre, Zax Zazz. Le marché te réclame. »
La voix lourde et autoritaire couvre à peine un concert de bruits aigus, nerveux, électriques. Ses souvenirs brumeux lui font comprendre qu’il s’agit de lasers, qui atomisent des cibles qui n’ont même pas le temps de hurler – et il sourit, non pas du trépas de ses bourreaux, mais des souvenirs qui reviennent… et des cris de la foule qui ne tarderont pas.
Il n’arrive pas à communiquer – pour le moment. Si ses sens sont revenus, s’il peut maintenant mieux appréhender son environnement, différentes fonctions lui sont encore inaccessibles.
La parole, pour commencer, lui est pour le moment interdite. Il parvient à bouger la tête, à respirer, mais ses bras et ses jambes demeurent encore immobiles – ah, et sa nuque est trop douloureuse quand il la sollicite trop, ce qui limite ses mouvements.
Zax Zazz n’a aucune conscience du temps qui passe… depuis quand il a été libéré, depuis quand il était emprisonné. Il alterne entre un repos sauvage et quelques phases d’éveil, où tout n’est que brumes et conversations incompréhensibles.
« Réveillé ? Rapide. »
Des pas lourds s’approchent de lui. Une nouvelle pression s’exerce sur son épaule, et il force ses paupières pour mieux distinguer son libérateur.
« Le niveau est toujours bon. Tu le mérites. »
Un léger picotement dans la nuque, suivi d’une brutale douleur au crâne, et tout s’éclaire. Sa vision s’améliore, son ouïe capte mieux les bips et bruits habituels d’une console de pilotage : il commence à comprendre où il est.
« La voix reviendra bientôt. Prêt pour ton comeback, Zax Zazz ? »
Il fixe son sauveur, un homme de taille moyenne, recouvert d’une armure bleue et grise qui double sa carcasse. Avec une lame rangée dans son bras gauche, une sorte de laser dans son bras droit, un réacteur brillant sur son torse et un jetpack dans le dos, il est clairement un guerrier – mais il ne fait pas partie de l’Armée du Consulat, il n’en porte pas les couleurs.
Pire, son visage trahit son appartenance à une caste utile mais mal vue dans son monde. Avec une queue de cheval brune, une boucle d’oreille en or et deux lames bleues tatouées sur son œil gauche, il représente dignement les Marchands.
Être récupéré par l’un des leurs n’est pas bon signe pour sa situation, mais Zax Zazz n’en a cure.
Il acquiesce, avec un grimace en forme de sourire. Il a déjà tout prévu pour son retour – et pour le retour du succès.
« Je… faim… »
Sa voix n’est qu’un souffle, mais la Marchande comprend. Avec son crâne rasé et une immense cicatrice au-dessus du front, qui barre tout son visage, la jeune femme n’affiche nulle émotion, nulle expression. Avec des gestes automatiques, mécaniques, elle le nourrit en lui offrant une sorte de purée informe et sans goût.
En un autre temps, il aurait hurlé son mécontentement et aurait tout fait pour qu’elle perde son emploi après lui avoir offert un tel traitement – mais ce temps n’est plus, et n’est pas encore revenu. Pour le moment, il doit se contenter de cela, et apprécier que son corps accepte une telle nourriture pour reprendre des forces.
Grâce aux injections régulières du Marchand principal, il découvre que la vie reprend peu à peu ses droits dans ses membres fatigués. Il sent que ses doigts et ses pieds bougent légèrement quand il se concentre, mais ses jambes et ses bras refusent encore ses ordres.
Ca viendra, il le sait. Sa voix, sa très chère voix, lui revient enfin, et c’est là le plus important.
« Laisse-nous. »
Le Marchand congédie sa collègue, et s’assoit en face de Zax Zazz. Il porte toujours son armure de combat, et son hôte parvient à deviner derrière lui une fenêtre sur l’espace que leur vaisseau traverse à très grande vitesse, certainement. S’il ne sait pas où il était retenu, il espère qu’ils ne sont plus trop loin du Consulat – l’attente devient longue avant de retrouver la foule.
« Qui… »
Chaque mot, chaque syllabe est une douleur, entendue et comprise par le Marchand. Celui-ci pose à nouveau sa main sur son épaule, et pose un regard rapide sur un écran de son avant-bras gauche.
« Hum. Niveau en baisse, mais toujours bon. Tu mérites ta réponse, et tu as subi beaucoup. Je suis Byzance Constantin. Marchand. J’ai été engagé pour te ramener. »
Sa voix est sèche, ses mots directs. Ce n’est pas dans sa nature de perdre son temps.
« Mes employeurs considèrent que ton retour serait bien vu sur le marché. Et nous obéissons à sa loi. Dors. »
Il se relève, et laisse Zax Zazz s’enfoncer à nouveau dans l’inconscience. Une grimace, une esquisse de sourire passe sur son visage alors que les souvenirs d’une vie passée, et bientôt future, refont définitivement surface.
Zax Zazz, le plus grand chanteur du Consulat.
Zax Zazz, l’icône musicale au service des puissants, l’idole d’une jeunesse obsédée par le besoin de plaire à ses maîtres, à ses aînés.
Zax Zazz, l’artiste dont les excès modèlent les modes et les goûts de tout un peuple, et amusent ceux n’osent pas aller aussi loin que lui.
Zax Zazz, le dépravé qui est allé trop loin, qui a lassé et usé. Dépassé, moqué, transformé en plaisanterie puis en figure de pitié. Poussé jusqu’à l’extrême pour espérer revenir et briller à nouveau.
Gonfler sa poitrine lui fait mal – mais il ne peut s’en empêcher.
Quelques minutes plus tôt, le Marchand lui a annoncé qu’ils approchaient du Consulat. S’il ne sait pas encore ce que les employeurs de Byzance Constantin ont prévu pour son retour, il sait que ce sera grandiose… c’est ce qu’il avait prévu.
Maintenant que tous ses souvenirs sont revenus, Zax Zazz se rappelle ce qu’il a fait, ce qu’il a dû faire pour en arriver là. Organiser son enlèvement, sa torture, son abandon aux confins de la galaxie et aux mains d’une race ennemie était un pari risqué – mais le marché a suivi.
Un comeback gagnant était la seule chance qui lui restait pour revenir sur le devant de la scène. Et la foule, les fans ont besoin de plus qu’un simple oubli de leur idole, qu’une bête histoire de mœurs ou de drogue. Beaucoup d’autres ont tenté, et de moins en moins réussi, ce type de retour.
Lui, Zax Zazz, ne peut se contenter d’un comeback tiède, qui ne dure que quelques semaines.
Sa carrière, son impact sur le Consulat méritent un vrai retour, qui dure, qui marque. Et qui nécessite un sacrifice à la hauteur.
Il voit déjà les titres sur le système d’information des MoNETcles, si les lentilles implantées dans le crâne et reliées au Réseau sont toujours en circulation. Il entend déjà les pleurs de celles qui fantasmaient sur lui, en découvrant son corps certainement ravagé par les tortures. Il sent déjà le dégoût mâtiné de désir de ceux qui entendront son histoire.
Zax Zazz bouge à peine les bras et les jambes, mais ça viendra – ça reviendra. Les premiers jours seront compliqués, mais le Consulat débloquera à nouveau des fonds et la science lui ramènera ce qu’il a perdu.
« Hum. »
Il sent autant qu’il entend Byzance Constantin à ses côtés. Quand tout lui reviendra, il ne sera pas oublié.
« Ah. »
Zax Zazz sent à nouveau la pression de sa paume sur son épaule. Depuis le début du voyage, il a commencé à s’habituer à ces petits gestes simples mais justes, ces démonstrations de chaleur… quand il ne savait rien de son environnement, quand il ne connaissait plus rien de lui-même, ils lui ont permis de tenir et de s’apaiser. Il ne pensait pas qu’un Marchand soit capable d’autant d’humanité.
« Niveau faible. »
Zax Zazz essaye de tourner la tête, mais sa nuque est trop douloureuse. Le picotement se fait plus intense, alors que Byzance Constantin intensifie sa pression sur son épaule.
« Qu… quoi… »
Le picotement devient souffrance, et il sent son os crisser sous la main du Marchand.
« Trop faible. »
Byzance Constantin le lâche, et lui place juste devant les yeux l’écran de son avant-bras. Des schémas binaires montrent une évolution en chute libre d’un graphique de puissance… quelque chose a démarré très haut, et est désormais à un niveau quasi nul.
« Mes employeurs assurent leurs arrières, ils ne font pas de pari. Le marché était en manque d’artiste, et les nouveautés ne donnaient pas satisfaction. Le comeback était accepté, selon les sondés, et tu as fait beaucoup pour espérer une chance. Ils te l’ont donné – mais le niveau est trop faible. »
Le Marchand le lâche, et s’avance. Derrière lui, dans la fenêtre du vaisseau, on entraperçoit la Terre. Quelques minutes encore et elle sera complète.
« Je lance le principe de ton inconscient sur les ondes depuis le début. Ca attire, ou ça repousse les sondés. Et les sondés ne te suivront pas, ils ne sont même pas intéressés par ton inconscient. Trop vieux, trop daté, trop ringard… trop extrême. Te faire oublier, OK. Te faire enlever, OK. Te faire torturer – non, et pas par cette race. Ils t’ont trop pris. Les cyborgs, ça marchait l’an dernier. »
Il lève son bras droit, et sort son laser de son gant. Zax Zazz ne réagit pas : son cœur est déjà froid. Il sait exactement ce qu’il va se passer, ce qu’il va dire.
« Mes employeurs n’ont pas d’argent à perdre avec les échecs. »
Au loin, un tiers de la Terre apparaît – il n’en verra rien de plus. Il l’a bien cherché : il aurait dû se contenter d’une lente déchéance, de quelques apparitions dans des émissions de seconde puis troisième zone. Il s’est approché trop près de la Lumière, il a grillé.
« Ca n’a rien de personnel. »
Non, il le sait. Byzance Constantin est un Marchand. Il obéit aux ordres, et à l’argent. Son sort est logique – prévisible. Il est un produit daté, avarié. Son élimination est terrible, mais normale.
C’est la loi du marché.
« C’est la loi du marché. »
BZZZT.