Discutez de Quetzalcoatl
J’ai toujours fait un peu l’impasse sur les productions de Mitton dans la collection « Vécu » de Glénat. De loin, j’avais l’impression que c’était surtout un prétexte pour mettre en scène des séquences de cul à peu de frais.
Et puis hier, j’ai trouvé le premier tome de Quetzalcoatl, à pas cher sur un salon, et je me suis laissé tenter. Et je dois avouer que ma première impression n’était pas tout à fait infondée. Seulement, Mitton a un talent évident pour la mise en scène, qui fait passer la pilule.
L’action se passe en 1525 au Mexique. Le prétexte du récit est de suivre deux missionnaires (dont le fragile Frère Tancrède), dont le but est de recueillir la confession d’une jeune autochtone. Si les supplices imposés par l’Église font l’objet d’une réprobation évidente par l’auteur, et si la structure du récit (la confession amenant des flash-backs) permet aussi de mettre en évidence la découverte d’un monde incompréhensible à la vision catholique, il n’en demeure pas moins que l’auteur fait montre d’une certaine complaisance dans la retranscription du sexe violent et imposé (et non partagé). L’insoutenable description d’un viol sous couvert de rituel et de superstition matérialise cette ambivalence.
Mitton parvient à créer de l’humour, notamment grâce aux réactions de Frère Tancrède, ce qui permet de désamorcer, en partie, le caractère horrifique de certaines scènes (les sacrifices humains, fatalement, sont également représentés). L’album est dense, bavard, plutôt bien écrit avec un sens du rythme évident et une certaine variété de niveaux de langue. Cela dit, l’auteur aurait sans doute pu faire preuve d’une plus grande pudeur dans ses représentations.
Jim
Le deuxième tome voit les autorités catholiques locales confrontées au soulèvement des peuples du coin. Pendant ce temps, les deux ecclésiastiques continuent l’interrogatoire de la jeune femme, dans des conditions plus décentes et plus humaines.
L’album est donc composé de séquences dans les sous-sols du monastère, occasion pour Mitton de dessiner des décors sombres et poisseux, et de scènes situées dans le passé, narrant le périple de la jeune femme, sorte de prostituée sacrée promise aux lupanars de luxe (ou alors au sacrifice). Là, le style de Mitton est efficace pour représenter les grands espaces.
Fidèle à sa réputation (et pour ce qui est de sa production chez Glénat, je le connais essentiellement de réputation, justement), l’auteur glisse quelques scènes de sexe (explicites dans les dialogues mais assez dissimulées) et de violence. Il parvient à montrer la civilisation aztèque sous un jour vraiment peu amène, appuyant sur de nombreux aspects (mépris des femmes, commerces des hommes, anthropophagie, sacrifices humains…) et si cela contribue à rendre sympathique son héroïne épuisée, ça a également pour conséquence de faire disparaître toute trace de sympathie à l’égard de son peuple.
L’ensemble est riche, généreux, un brin bavard mais les dialogues s’enchaînent très bien et le bullage est propre et fluide. Quelqu’un sait s’il lettrait lui-même ses planches (les crédits ne précisent rien, on est donc amenés à songer qu’il assure cette partie-là aussi) ? C’est très régulier et très agréable.
Jim