Subtil eco.
On retrouve d ailleurs dans cette figure dedoublée de l ennemi du fasciste, l identité brisée, l identité qui n est pas identique à elle-même. L affirmation d une identité une des fascites se dement dans leur vision de leur ennemi.
Essai très court (une cinquantaine de pages, dans un texte écrit gros), extrait si je comprends bien de ses Cinq questions de morale, ce petit bouquin s’articule en deux parties.
La première remet dans son contexte l’Italie de la fin de période mussolinienne et de la libération, en y replaçant le petit Umberto, encore gamin, curieux, qui ne comprend pas encore tout mais qui prend conscience que le monde dans lequel il a grandi, avec un parti unique et une vision déformée du monde, est en pleine évolution : il assiste à la remontée à la surface de différents partis politiques, jusque-là clandestins (et donc invisible) et à l’ouverture au-delà des frontières. Il grandit donc dans un monde où le fascisme italien est censé se trouver derrière, dans le rétroviseur, mais où le mot « fascisme » devient celui qui désigne toutes les dictatures de droite ayant régné en Europe durant ce siècle. Cela amène donc une interrogation, à savoir qu’est-ce qui fait que le mot soit appliqué à des phénomènes politiques voisins mais pas tout à fait comparables ? Il détaille par exemple les différences entre fascisme et nazisme, insistant entre autres sur la dimension anti-chrétienne du second, inapplicable sur le premier.
De là, et ça constitue sa seconde partie, il s’interroge sur la possibilité d’un fascisme commun, d’une structure, d’un cadre applicable à tous les mouvements en dépits de leurs différences. Une sorte de recherche des dénominateurs communs. Il développe donc l’idée d’une sorte de fascisme primitif, ancestral, presque atavique, qu’il nomme Ur-fascisme. Ce faisant, il va à l’encontre d’une intuition qui voudrait que le fascisme soit quelque chose de nouveau (ce qui justifierait que les remparts ne soient pas prêts en vue de l’endiguer). Au contraire, Eco estime que le fascisme dans son expression dictatoriale ne vient pas de nulle part. Et sans retracer la généalogie (dans le capitalisme, dans le positivisme, dans la religion ou que sais-je encore…) il préfère établir la liste des caractères distinctifs de l’Ur-fascisme, partant du principe que le fascisme, qui finira par revenir, ne prendra pas la forme qu’il a déjà prise, mais adoptera une apparence nouvelle. Peut-être un « fascisme en habits civils ».
Donc, une partie historique, et une partie prospective, pour faire court. Et cette seconde partie est glaçante. Car Eco décrit un Ur-fascisme dans ce qu’on connaît déjà (le traditionalisme, la haine de la modernité, le culte du chef, le racisme, le mépris du faible, la dénonciation du parlementarisme…) avec l’acuité qu’on lui connaît. Mais en décrivant ces mécanismes, il attire l’attention sur le fait qu’il y a certains traits caractéristiques que l’on peut identifier ailleurs que dans la fachosphère, et qui peuvent se retrouver par exemple dans ce qu’on appelle la droite républicaine. La méfiance envers le pouvoir parlementaire associée à l’idée que tout le monde peut être un « héros » (mépris de l’aristocratie politique en vue de la construction d’une nouvelle aristocratie), à la promotion de l’action pour l’action et à la figure du chef, leader et homme providentiel, tout cela compose un cocktail acide nourrissant le terreau sur lequel le fascisme peut prospérer.
Un texte qui appelle à la lecture et à la relecture, plus que jamais. Malgré l’aspect un peu aride d’une seconde partie, constituée d’une liste de paragraphes numérotés faisant l’effet d’un rouleau-compresseur.
Jim