Dans la foulée des épisodes de JLA que nous avons évoqués plus haut, John Byrne lance seul, sans Claremont, une nouvelle série Doom Patrol, à laquelle les chapitres de la Ligue servent de pas de tir. L’ensemble de la série a été compilé il y a quelques années dans un lourd volume cartonné intitulé Doom Patrol by John Byrne The Complete Series, qui reprend les épisodes de JLA, les dix-huit chapitres de la nouvelle série et deux rééditions datant de la seconde moitié des années 1980.
Il retrouve pour le coup le responsable éditorial Mike Carlin, avec qui il avait travaillé sur Fantastic Four puis Superman. Le résultat est une série très sympathique, mais qui peine à démarrer. Pour mille raisons. À mes yeux, la première d’entre elles est que Byrne, comme beaucoup des repreneurs du titre, impose ses nouvelles recrues au sujet desquelles il tarde à apporter information et caractérisation. L’autre écueil est que la série semble ne pas pouvoir trouver sa tonalité propre.
Preuve en est de la couverture du premier numéro, qui présente les membres de la Patrouille du Destin s’affichant sur un écran de la Ligue de Justice. Et effectivement, le Cercle, gang de vampires opposé aux deux équipes dans les épisodes de JLA, sont encore dans la nature, et les Justiciers demeurent dans les parages. L’intrigue centrale n’est donc pas finie ? Le projet de Byrne a-t-il été greffé artificiellement sur la série de la Ligue par Carlin, afin de gagner du temps avant le lancement de Justice League Elite (qui est la suite des épisodes de Joe Kelly mais sera publiée en mini-série séparée et non dans le titre mensuel) ? On sent l’indécision éditoriale, les changements de dernière minute…
Autre signe du manque d’identité du titre, la présence de Faith dans les parages. Carlin cherche visiblement à éloigner certains héros secondaires de la série JLA, et la jeune justicière fait donc ici de la figuration.
Il faudra donc deux épisodes pour que la Patrouille se débarrasse des scories de l’intrigue précédente. Byrne trouve cependant le temps de dérouler son subplot sur le sudiste fantôme hantant l’extérieur du repaire qu’occupe le groupe. Mais la série avance à petits pas et les choses démarrent réellement dans le troisième épisode, qui présente le groupe seul, sans alliés et sans ennemis, sur la couverture : l’image, reprise pour l’omnibus, est parfaite pour un numéro 1. Le décalage se fait toujours sentir.
Les épisodes 3 et 4 reprennent une idée byrnienne classique, celle de la race partageant en secret la Terre depuis des temps immémoriaux, thème déjà exploité dans Alpha Flight ou Superman. Les designs, faits de bulles et de cocons, ne réservent aucune surprise à qui a lu ses Namor, par exemple.
Les épisodes 5 et 6 plongent les héros dans le monde souterrain des matchs de gladiateurs robotiques. Occasion pour eux de croiser à nouveau le chemin de Verdalian, un spécialiste de la robotique ayant travaillé avec Niles Caulder. Byrne commence à dérouler quelques fils concernant le passé du groupe. Un passé qui, de toute façon, ne peut pas aller bien loin puisque le scénariste et le responsable éditorial ont décidé, pour des raisons saugrenues, de faire comme si le groupe apparaissait seulement maintenant dans l’univers DC. Le scénariste continue à développer, aussi, le personnage de Nudge, cette jeune rebelle au grand cœur dont les coups d’éclat ne semblent pas tellement crédibles. Elle est sympathique, mais pas réellement touchante, et même un peu agaçante à force de grommeler et de faire cavalière seule.
Dans l’épisode 7, Byrne lance une nouvelle intrigue durant laquelle la Patrouille Z affronte un nouvel ennemi capable de renvoyer quiconque est pris dans le rayon de son arme à un état antérieur de l’évolution. Le récit s’ouvre que la séquence où Rita Farr est transformée en guenon préhistorique géante, et voit également J’onn J’onzz devenir un martien préhistorique. La présence du méchant est l’occasion de glisser quelques indices concernant Vortex, une autre recrue du groupe.
C’est à ce moment que Byrne commence à creuser le passé de Nudge et de son ami simiesque Grunt. Et pendant que la Patrouille cherche à soigner Negative Man auprès de Metamorpho (et bien entendu, ça se passe mal), la jeune fille tente de remonter le fil afin d’identifier qui est véritable ce singe à quatre bras : il s’avérera qu’il s’agit d’un camarade de classe dont le cerveau a été placé dans la tête d’un singe génétiquement modifié par une savante folle. Byrne a l’occasion de donner à sa série un schéma plus vaste, mais il ne fait que sous-entendre quelques liens entre chaque intrigue. En revanche, il rajoute un peu de dinguerie à son récit, et c’est pas plus mal.
Alors qu’il explique les origines de Nudge et Grunt, il se plonge dans le passé de Niles Caulder, faisant apparaître un fantôme désireux de se venger. C’est plutôt pas mal, d’autant qu’il a séparé ses personnages et que chaque intrigue avance (voire dégénère) séparément. Il était temps, mais la série est alors très agréable : les agissements de Nudge ne relèvent plus du cabotinage mais disposent d’une véritable justification, Caulder est humanisé à cause de ses hantises, la présence de Metamorpho met bien en valeur le caractère de monstres de foire de l’ensemble du casting… Il parvient même à greffer le sudiste fantôme dans le récit.
Dans Doom Patrol #13, il lance Steele dans un voyage temporel à l’occasion de quoi l’homme-robot projette sa conscience dans son moi passé, avant son accident fatal. Reprenant le principe du voyage temporel de Kitty Pryde (Byrne, l’air de rien, fait ses X-Men à lui, une fois de plus, profitant des ressemblances fondamentales entre les deux séries…), l’auteur dévie rapidement, envoyant son héros dans plusieurs époques et même plusieurs versions (je n’ai pas vérifié, mais il me semble que Steele atterrit à un moment dans la Terre alternative de la série Generations), puisqu’il croise la Doom Patrol originelle, celle qui est morte dans l’explosion de l’île.
À se demander pourquoi il a tant bataillé pour imposer une version « neuve » du groupe si c’est pour revenir au passé historique de l’équipe. Mais si la conclusion de l’histoire est assez plate, rappelant certains délires SF sans conséquence dans ses Fantastic Four, le parcours du personnage est trépidant, c’est bien mené et plutôt bien caractérisé (et, pendant deux épisodes, Byrne est encré par Terry Austin : c’est pas aussi chouette qu’à l’époque, mais c’est quand même pas mal).
Byrne conclut ce diptyque vigoureux et agréable par une belle scène d’émotion, ouvrant sur l’idylle impossible entre Steele et Rita. Doom Patrol #15 est une belle réussite, où les héros affrontent un mutant qui vieillit de manière accélérée par absorbe l’énergie vitale de ses victimes, et la représentation graphique de ses pouvoirs rappellera sans nul doute la saga de Proteus : décidément, Byrne est obsédé par son passé x-manien. C’est aussi l’épisode où les pouvoirs de Nudge déraillent.
Byrne est-il sur le point de faire sa « Dark Nudge Saga » ? Sans doute, mais la série ne connaît pas un grand succès, et elle s’interrompt à l’épisode 18, l’auteur bouclant les différentes intrigues autour de la nature temporelle et Vortex à cette occasion. Les trois derniers chapitres de cette série qui avait enfin trouvé sa tonalité et son rythme de croisière alignent les révélations (notamment sur les origines de Negative Man) et Byrne parvient à tricoter un récit cohérent intégrant tous les aspects du groupe.
C’est un peu dommage que le titre ait mis tant de temps à démarrer : la qualité des dernières aventures est plus grande que celle des premiers chapitres. Une série qui aura trop tardé à balancer ses munitions, mais qui finit par dresser le portrait d’un groupe où l’amitié et l’entraide sont de mise. Il semble clair que Byrne voulait en faire une sorte de récit initiatique collégial, peut-être rêvant de renouveler l’exploit de ses Next Men, mais il aurait peut-être eu meilleur jeu à accepter le passé de l’équipe et à foncer plus tôt au cœur de ses intrigues.
Jim