Ranger des comics, c’est pas simple. Genre, j’ai une étagère « Batman », tout un pan. Donc, j’y mets aussi les séries périphériques : Batgirl, Nightwing, Robin… Et puis, bien sûr, avec toutes les VF auxquelles j’ai participé, ça s’est rapidement rempli. Donc j’ai mis les autres séries ailleurs, dans mon étagère « DC » (qui est en double rayonnage). Avec des piles par terre, en plus. Et puis j’ai fait quelques cadeaux (notamment les VF en question, et donc, j’ai recommencé à mettre les séries annexes dans la même étagère… Sauf que ça ne rentre pas : pour Robin, j’ai mis le début là et la suite ailleurs… Et puis j’ai oublié. Et récemment, je me suis mis à chercher les recueils du Robin de Chuck Dixon, et impossible de les trouver : j’avais oublié que le rayon était séparé en deux parties… Quel souk !
Mais tout content de retrouver les premiers TPB, je les ai ressortis. Ça fait bien longtemps que je n’ai pas remis le nez dans cette série, et mes souvenirs sont lointains. Donc j’ai ressorti le recueil Robin: A Hero Reborn. Cette compilation, sortie en 1991, donc dans la foulée de l’arrivée définitive du personnage (opérée entre Detective Comics, Batman et la mini-série en 1990-1991), a plein de choses pour me plaire : une couverture inédite par Brian Bolland, une introduction signée Chuck Dixon (qui raconte ses doutes face à la présence d’un adolescent coloré aux côtés de Batman, en oubliant de préciser que c’est son travail sur Airboy, et donc sur un personnage jeune, qui a attiré l’attention de Denny O’Neil), un papier proche de celui des comics de l’époque (donc pas terrible) mais qui permet de retrouver cette sensation de produit populaire propre aux histoires de super-héros.
Le recueil s’ouvre sur Batman #455 à 457, une aventure du Chevalier Noir qui enquête sur de mystérieuses agressions commises par des citoyens de Gotham hors de soupçon : il comprend vite que les coupables ont agi dans un état de crise. Il parcourt la ville à la recherche d’indices tandis que son jeune protégé, Tim Drake, qui vient de perdre sa mère et dont le père est l’hôpital, reste au manoir. (D’ailleurs, les épisodes de Detective Comics racontant le calvaire du jeune homme ne sont pas réimprimés ici, ils seront compilés dans un autre recueil en 1993, on y reviendra, mais effectivement, à la relecture de ce triptyque pourtant passionnant, on sent bien qu’il manque des infos, même si ce n’est pas rédhibitoire).
Pendant que Batman baguenaude, Tim fait son enquête en exploitant la base informatique de la Batcave. Et il finit par identifier le criminel derrière les attaques : le Scarecrow. Tim parvient à convaincre, au téléphone, Gordon d’allumer le Bat-Signal, ce qui déconcentre le héros suffisamment pour qu’il se retrouve prisonnier de son ennemi.
Tim interviendra pour sauver son mentor, mais sans utiliser le costume de Robin. Les explications sont plutôt très bien trouvées et la caractérisation est réussie. Alan Grant, le scénariste, louvoie entre les attentes du lecteur et fournit un récit qui met en valeur les qualités de Tim, à savoir la débrouillardise et le courage. Le jeune personnage est moins drôle et insouciant que Dick Grayson, moins sombre et torturé que Jason Todd, et cet équilibre, on le doit beaucoup à Grant.
J’aime beaucoup ces épisodes, ce triptyque en particulier, notamment parce qu’il s’agit de numéros qui comptent parmi les premiers que j’ai achetés au début des années 1990, quand j’ai commencé à me procurer de la VO. Le dessin de Breyfogle, son Batman pyramidal, les jeux de cape, les traits de vitesse, c’est toute une époque, des récits trépidants consacrés aux personnages. Et puis, ouais, on voit aussi Vicky Vale, dans ces chapitres.
Donc, à la fin de Batman #457, Tim Drake adopte une nouvelle version du costume de Robin. Une version, dit-on, qui a été dessinée par Neal Adams (Denny O’Neil en parle dans le recueil suivant). Le personnage va donc désormais voler de ses propres ailes. Ce numéro est daté de décembre 1990, et le premier volet de la mini-série Robin de janvier 1991, signe que Denny O’Neil orchestre un développement de son personnage sur le long terme, avec une évidente ambition.
Dans une sorte d’émulation de Batman, Robin part à l’étranger se former. Il se rend à Paris, un Paris un peu crapoteux où il s’inscrit à un dojo privé d’électricité et d’eau courante. Chuck Dixon, le scénariste, mixe le dépouillement des lieux d’entraînement aux clichés sur la France. Plutôt que montrer la simple formation du jeune héros auprès de maîtres accomplis, Dixon choisit de lancer Robin dans une mésaventure où il croisera le chemin de plusieurs personnages nouveaux (ou ancien, dans le cas d’une d’eux).
Tout commence avec Clyde Rawlins, un ancien membre d’une agence américaine, enquêtant sur un trafic de drogue. Chuck Dixon, qui est familier du personnage du Punisher, réinvestit en Rawlins la caractérisation qu’il a utilisée pour Frank Castle, celui du combattant déjà mort à l’intérieur. Autres personnages, voici Lynx, une jeune combattante qui veut monter dans la hiérarchie des gangs, et King Snake, un trafiquant de stupéfiants opérant sur plusieurs continents. En plus de ces deux protagonistes nouveaux, Dixon ramène Shiva, maîtresse ès arts martiaux provenant de la série Richard Dragon que Denny O’Neil écrivait dans les années 1970.
L’enquête de Rawkins attire les représailles des troupes de King Snake, aristocrate aveugle à la force colossale et aux moyens, financiers et logistiques, vertigineux. Rapidement, les associés découvrent qu’il projette de récupérer un produit chimique créé durant la Seconde Guerre mondiale pour un usage inconnu. L’aventure les mènera jusqu’à Hong Kong où ils parviendront à empêcher King Snake de répandre la peste bubonique.
L’enquête en elle-même est sympathique et exotique. On sent la patte d’O’Neil, qui apprécie les menaces un brin jamesbondiennes et les héros globe-trotters, comme il l’a prouvé dans ses propres récits batmaniens. Même le dessin de Tom Lyle n’a pas encore acquis cette raideur qui le caractérisera plus tard, et l’encrage de Bob Smith arrondit bien des choses et minimise les hachures qu’on verra se développer plus tard.
Mais le gros intérêt de cette mini-série en cinq parties, c’est l’apprentissage du héros, qui, véritablement, profite de ces expériences nouvelles. Il apprend à se battre auprès de Clyde ou de Shiva, mais également il choisit son équipement, ses armes, ses trucs à lui. Dixon prend soin de mettre la poursuite internationale au premier plan, sans trop insister sur l’évolution du jeune héros, et pourtant, à la fin du cinquième épisode, quand il revient à Gotham et retrouve son mentor, le justicier juvénile est transformé.
La série est un succès qui surprend tout le monde dans la rédaction. La légende veut que le premier numéro ait été promptement réimprimé afin de répondre à la demande croissante, un phénomène observable déjà quelques mois plus tôt pour les épisodes de Batman. La nouvelle version de Robin emporte l’adhésion par sa modestie et son parcours. Le personnage est lancé.
Jim